Encart publié le 27 novembre 2013
Théologien protestant, philosophe marxien, sociologue et historien du droit, Jacques Ellul est un penseur majeur de la fin du XXe siècle. Comme Ivan Illich, anarchiste chrétien également, Ellul a rapidement été considéré par les théoriciens de la décroissance comme un précurseur. Le cœur de la pensée politique du bordelais se situe dans la critique de la technique (ou « système technicien ») largement développée dans deux triptyques : un sur la technique en elle-même (composé de : La Technique ou l’enjeu majeur du siècle, Le système technicien et Le bluff technologique) et l’autre sur la révolution anticapitaliste (composé de : Autopsie de la révolution, De la révolution aux révoltes et Changer de révolution : L’inéluctable prolétariat).
Se référant principalement à la pensée de Karl Marx, Ellul fonde une critique radicale du marxisme orthodoxe et du « communisme réel ». Si le capitalisme du XIXe siècle – analysé par Marx – était bien celui de l’accumulation capitaliste, pour Ellul le XXe est celui de la technique (« Si Marx revenait aujourd’hui, quel phénomène retiendrait-il pour caractériser notre société ? (…) Ce ne serait plus ni le capital ni le capitalisme, mais le développement de la technique, le phénomène de la croissance technicienne »). Selon lui, l’URSS n’a créé qu’une variante du capitalisme, étatique et bureaucratique mais tout aussi technicienne et créatrice d’une nouvelle forme de prolétariat. La célèbre formule de Staline, « l’homme est le capital le plus précieux » en est une parfaite illustration. D’après Ellul, les deux impératifs pour sortir du capitalisme sont la destruction de l’État (et non son dépérissement comme le pensait Marx) et la remise en cause du système technicien qui se développe de manière autonome et qui a pris le pas sur le politique et l’humain (« Il n’y a pas d’autonomie de l’homme face à l’autonomie de la technique »). L’État, pour lui, va toujours de paire avec le développement de la technique qui aliène l’homme et génère une croissance économique non soutenable d’un point de vue écologique.
Mais comme le note Serge Latouche dans son dernier ouvrage, ce dernier ne peut pas être entièrement considéré comme un décroissant. Pas seulement parce qu’il n’a jamais utilisé le terme mais aussi parce que sa critique de la croissance est selon lui stérile, Ellul ne proposant pas de projet politique alternatif. Fervent chrétien, il avait une conception minimale de l’action politique, préférant la dissidence individuelle à la révolution collective. Car avant toute chose, la pensée de Jacques Ellul est marquée par sa foi en Dieu : « Le christianisme, envisagé dans son rapport à la politique, dispose à l’insoumission, à la dissidence, à la récusation même de tout pouvoir, de toute hiérarchie ».