Article publié le 1er juin 2018 sur Le Média presse
Donald Trump a décidé de taxer l’acier et l’aluminium importés depuis l’Union européenne, le Canada et le Mexique à hauteur de 25% et 10%. Les principales victimes ont vivement réagi à cette attaque économique. Des représailles pourraient suivre. Mais que signifie ce regain soudain de protectionnisme américain ? L’Union européenne peut-elle vraiment riposter ? L’économiste David Cayla répond pour nous à ces questions.
David Cayla est enseignant-chercheur à l’université d’Angers et membre du collectif des Économistes atterrés. Il est l’auteur avec Coralie Delaume de La fin de l’Union européenne (Michalon, 2017) et de L’économie du réel, à paraître le 18 juin prochain (De Boeck Supérieur).
Le Média : Les États-Unis viennent d’annoncer des mesures protectionnistes touchant notamment l’Union européenne. Quelles pourraient être les conséquences pour cette dernière ?
David Cayla : Économiquement, je pense que les conséquences ne seront pas nécessairement tangibles. Pour l’instant, les mesures ne concernent que l’acier et l’aluminium. Le risque serait que les taxes s’élargissent à d’autres produits et touchent le secteur de l’automobile. L’Allemagne serait alors directement affectée. Mais il ne faut pas se méprendre. Trump ne met pas en œuvre une véritable politique protectionniste qui viserait à réguler le commerce mondial pour, par exemple, mieux prendre en compte les impératifs sociaux et écologiques. Il entend au contraire servir les intérêts des grandes entreprises américaines. Son objectif est de créer un rapport de force politique pour défendre les intérêts du capitalisme américain et obtenir des avantages de la part de ses partenaires commerciaux. On l’a vu dans le cas chinois. L’annonce des mesures protectionnistes n’a eu qu’un seul effet : arracher aux autorités chinoises quelques concessions en faveur des intérêts économiques américains. Les États-Unis peuvent se permettre ces oukases car leur puissance économique reste aujourd’hui incontournable.
En fait, les véritables enjeux pour l’Union européenne sont plutôt politiques. En visant spécifiquement l’Allemagne (rappelons que l’Allemagne est le pays qui dégage le plus d’excédents commerciaux au monde… devant la Chine !) Trump joue sur la division européenne. Les Européens seront-il tous unanimes à défendre les excédents allemands sachant que ces mêmes excédents sont des facteurs de déstabilisation interne du Marché unique ?
L’Union européenne a décidé de faire appel à l’OMC pour sanctionner les États-Unis. Cette requête a-t-elle des chances d’aboutir ?
Oui. Il y a d’ailleurs des précédents. L’OMC dispose d’un organisme de règlement des différends qui justement autorise un pays à exercer des mesures de rétorsions. Encore faut-il que les Européens s’entendent sur la nature de ces mesures et que celles-ci soient considérées comme proportionnées par l’OMC. La procédure peut néanmoins aller assez vite. À la fin des années 1990 de nombreux conflits similaires avaient opposé les États-Unis et l’Union Européenne sans que ces conflits n’engendrent de guerre commerciale. La spécificité aujourd’hui est que la présidence américaine semble jouer la stratégie du fou : paraître jusqu’au-boutiste afin de paralyser toute riposte de la part des Européens. Car ces derniers ont une peur bleue de déclencher un conflit commerciale durable qui pourrait affecter les intérêts des entreprises européennes.
Cette annonce prouve-t-elle que finalement l’Union européenne est la dernière à croire encore au libre-échange ?
Je ne pense pas que les États-Unis renoncent réellement au libre-échange. L’idéologie libre-échangiste est profondément ancrée dans la pensée anglo-saxonne. En réalité, le protectionnisme est agité comme une menace dans le cadre de la construction d’un rapport de force commercial et diplomatique. D’ailleurs, on peut relever que les États-Unis ont parfaitement compris que toute négociation commerciale relève d’un caractère diplomatique autant qu’économique. L’accord avec la Chine doit ainsi être analysé dans un contexte plus large dans lequel les États-Unis sont engagés dans une offensive globale pour préserver leur influence en extrême orient.
À ce titre, le véritable problème de l’Union européenne est de vouloir signer des traités commerciaux tout azimut sans jamais chercher à développer une diplomatie cohérente. Les Européens voient l’économie comme un système neutre, détaché de toute considération politique ou géopolitique. Le fait même que le libre-échange soit gravé dans le marbre des traités (article 206 du TFU) stérilise toute diplomatie commerciale. En effet, cela interdit à l’UE d’exercer la moindre menace crédible. Le libre-échange européen n’est d’ailleurs qu’un des aspects de sa croyance fondamentaliste dans le marché. Un marché pur, neutre, qui serait détaché de toute dimension politique ou sociale. C’est cette croyance qui la pousse à signer des accords commerciaux techniques et dépourvus de toute vision stratégique.
Les États-Unis ont-ils vraiment à gagner à une guerre économique ?
Je ne crois pas qu’ils s’aventurent jusque-là. En réalité, Trump se comporte en dirigeant d’entreprise cynique qui cherche à effrayer pour obtenir des avantages commerciaux. Mais au fond, on constate qu’il revient toujours à la table des discussions et qu’il évite toute mesure susceptible de déclencher une guerre commerciale. Ainsi, après s’être retiré avec fracas de l’accord trans-pacifique négocié sous Obama, l’administration américaine se dit aujourd’hui prête à réintégrer l’accord, pourvu qu’elle obtienne quelques concessions. À mon avis, les États-Unis n’iront jamais jusqu’à déclencher une guerre commerciale.
Photo : Donald Trump
Crédits : Gage Skidmore/ Flickr