Article initialement publié le 27 juillet 2018 sur Le Média presse
L’image est aujourd’hui célèbre : sur le podium, deux athlètes noirs américains le poing levé, en référence au Black Panther Party. Elle intervient dans un contexte politique très particulier.
C’est à Baden-Baden, en 1963, que l’histoire s’est noué. Le 18 octobre, le Comité international olympique, réuni dans la ville allemande où se réfugie le général de Gaulle lors des événements de Mai 68, décide que les J.O. auront lieu pour la première fois dans un “pays en voie de développement”. La capitale mexicaine devance Détroit, Lyon, mais aussi Buenos Aires. Cependant personne ne peut anticiper à ce moment le contexte politique national et international et son poids dans la compétition.
DE L’ASSASSINAT DE MARTIN LUTHER KING À TLATELOLCO
1968 est une année très spéciale. Le 4 avril, Martin Luther King est assassiné, à l’âge de 39 ans. Trois ans après Malcolm X, le mouvement contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis perd son autre grande figure. Pourtant le combat est loin d’être fini. Le flambeau avait déjà été repris un an et demi plus tôt. Le 15 octobre 1966, le Black Panther Party for Self-Defense (BPP) voit le jour à Oakland, en Californie. Inspirés par Mao, Frantz Fanon et Malcolm X, Bobby Seale et Huey P. Newton montent un groupe révolutionnaire, antiraciste, anti-impérialiste et marxiste-léniniste, qui aura un écho planétaire. En 68, le BPP a déjà atteint l’âge de la maturité. Le mouvement pour les droits civils n’est pas le seul à bouillir aux Etats-Unis. Depuis 1964, le mouvement d’opposition à la guerre du Viêt Nam, démarrée neuf ans plus tôt, a pris de l’ampleur et crée une nouvelle génération de militants politiques, pacifistes et anti-impérialistes, voire tiers-mondistes. Enfin, Bob Kennedy, favori pour être investi par le Parti démocrate, est tué le 6 juin 1968, cinq ans après son frère John.
De l’autre côté de l’Atlantique, la situation est aussi explosive. Tout le monde a en tête le mouvement étudiant et ouvrier de Mai 68, mais il n’est pas le seul. Plus à l’Est, la Tchécoslovaquie est en ébullition. Alexander Dubček, Parti communiste tchécoslovaque, veut introduire un “socialisme à visage humain”, en rupture avec l’URSS. Une nouvelle constitution plus démocratique, qui reconnaît l’égalité entre Slovaques et Tchèques, est mise en place. Les libertés de la presse, d’expression et de circulation sont introduites. L’URSS voit néanmoins d’un mauvais œil cette prise d’autonomie d’un de ses satellites. Prague est occupée en août par les troupes du Pacte de Varsovie, soit plus de 400.000 soldats. La petite révolution en cours est écrasée. A la rentrée 1968 règne alors un vent de contestation et une aspiration à la liberté, réprimée par la bourgeoisie. Le Mexique, où doivent se dérouler les XIXe Jeux olympiques d’été, cette fois en octobre à cause du climat local, est lui aussi touché.
Le pays a connu cinquante-huit ans auparavant, une révolution, qui a mis fin au système féodal qui régnait alors. Issu du Parti de la révolution mexicaine (PRM), le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) est au pouvoir depuis 1946. Alors qu’il se présente comme un parti de gauche, membre de l’International socialiste, il satisfait en réalité d’abord la bourgeoisie. A partir de juillet, les étudiants mexicains et imitent leurs homologues français. Le régime doit alors faire face à une contestation estudiantine sans précédent. A quelques jours des J.O., celle-ci ne faiblit pas. Le PRI, instrumentalisé par la CIA, soupçonne l’URSS et Cuba d’être derrière cette révolte. C’est ainsi que le 2 octobre, à 18 heures, les soldats postés sur les immeubles entourant la place tirent sur 8.000 étudiants désarmés sur la place des Trois Cultures à Tlatelolco. Dans le même temps, les dirigeants du Conseil national de grève étaient conduits au “Camp militaire n°1”. La presse officielle affirme qu’il s’agit d’affrontement entre soldats et étudiants. Le nombre de victimes est encore aujourd’hui sujet à débat. Le gouvernement parle de 44 morts, quand l’opposition en évoque plus de 300. Quoiqu’il en soit, le PRI fait la démonstration de son autoritarisme, 10 jours avant d’accueillir des J.O. qui feront date.
UN PODIUM CONTESTATAIRE
C’est dont le 12 octobre que Mexico accueille les jeux, les premiers à plus de 100 pays (112 exactement). La délégation américaine arbore dans sa large majorité – Blancs et Noirs confondus – sur son veston un badge portant l’inscription « Olympic project for human rights » (« Projet olympique pour les droits humains »). Certains craignent un sabotage, mais les athlètes afro-américains expliquent qu’ils désirent juste porter la lutte pour les droits civiques. C’est chose faite, quatre jours plus tard, le 16 octobre, lors du 200 m le plus célèbre de l’histoire. En 19 s. 83, l’Américain Tommie Smith explose le record mondial, suivi par l’Australien Peter Norman (20 s. 06) et par son compatriote John Carlos (20 s. 10). Le champion se permet même de relâcher ostensiblement son effort durant les derniers mètres de la course, en levant les bras au ciel en signe de victoire.
Le lendemain, lors de la montée sur le podium, Smith et Carlos sont vêtus de chaussettes noires montantes, symbole de la pauvreté des Noirs. Les deux coureurs lèvent un poing ganté de noir, symbole associé au Black Panther Party, en baissant la tête, fuyant du regard le drapeau national. Dans le même temps, le vainqueur porte un foulard et le troisième un maillot ouvert. Les deux sont des références explicites au lynchage et l’esclavage des Noirs, qui les aliènent encore. A ce moment, plusieurs autres athlètes américains portent le badge « Olympic project for human rights », tout comme Peter Norman. Ce dernier, qui estime que le combat pour les droits civiques « est aussi celui de l’Australie blanche », est un acteur à part entière de la scène. C’est lui qui suggère aux deux Afro-américains de partager la seule paire de gants, Carlos ayant oublié les siens. Il pose également sa paire de Puma Suede pour rappeler que les afro-américains n’ont même pas le moyen de s’offrir ce type de chaussures. Le moment est figé par le photographe John Dominis. « Après ma victoire, l’Amérique blanche dira que je suis Américain, mais si je n’avais pas été bon, elle m’aurait traité de “négro” », explique John Carlos aux journalistes. Tommie Smith, lui, affirme n’avoir « d’autre but que de dénoncer la pauvreté des noirs américains ».
Les sanctions tombent immédiatement, comme les insultes et autres menaces de mort. Avery Brundage, président réactionnaire du Comité international olympique, juge ce geste scandaleux et demande aux officiels américains l’exclusion de Carlos et Smith. Doug Roby, président du Comité olympique des États-Unis, finit par renvoyer les deux athlètes, qui ne participeront plus de leur vie à d’autres J.O. Peter Norman, lui, ne sera pas autorisé à participer aux jeux de 1972, qui se dérouleront à Munich, par le Comité olympique australien. Mais peu importe, le geste fait mouche. Le lendemain, trois autres vainqueurs afro-américains du 400 m, Lee Evans, Larry James et Ron Freeman, se présenteront sur les marches du podium avec un béret noir, autre référence à l’injustice qui persiste, sans se faire exclure. Quelques jours après ils remportent le 4 x 400 m et dédient leur médaille à Smith et Carlos. Cinquante ans après, les deux athlètes demeurent des héros politiques, comme on n’en trouve plus dans le monde du sport.
Article initialement publié le 26 juin 2018 sur Le Média presse
Derrière le spectacle capitaliste, le football reste un sport populaire et collectif. Mais pour combien de temps ?
Depuis le jeudi 14 juin, c’est parti pour un mois de football. Difficile d’échapper au sport le plus populaire du monde et à la deuxième compétition sportive la plus regardée (avec 3,2 milliards de téléspectateurs pour l’édition 2010), juste après les Jeux olympiques. Pendant des semaines, les journalistes vont nous gratifier de leurs commentaires sur la qualité du jeu ou des buts. Le coût exorbitant de la Coupe du monde, qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros, les droits TV, sans oublier les salaires indécents des joueurs, seront aussi évoqués. Anne-Sophie Lapix a d’ailleurs lancé les hostilités. « La Coupe du monde de football débute demain et on va pouvoir regarder des millionnaires courir après un ballon » a rallié la journaliste lors du journal de 20h de France 2 du 13 juin. « Mépris de classe », s’est alors excité la toile, la forçant à présenter ses excuses. Si derrière la détestation du foot peut se nicher du dédain pour la populace, juste bonne à s’aliéner, ce n’est pas toujours le cas. Car, avouons-le, ce sport se rapproche chaque jour de l’indécence capitaliste. Pourtant, il est impossible de le résumer à cela. Le philosophe socialiste Jean-Claude Michéa a expliqué que dans le ballon rond, « il reste donc, en réalité, d’innombrables zones d’autonomie populaire à défendre. » Car le foot demeure plus complexe qu’il n’y paraît et oscille encore entre pratique populaire et spectacle capitaliste.
« Le sport est un phénomène de civilisation tellement important qu’il ne devrait être ni ignoré ni négligé par la classe dirigeante et les intellectuels. » Pier Paolo Pasolini
Au commencement était le passing game… ou presque
On l’oublie souvent, mais le football est à l’origine un sport aristocratique. Né dans la première moitié du XIXe siècle, il est pratiqué dans les public school, écoles privées victoriennes. Il véhicule alors les valeurs d’aloirs : les joueurs se doivent d’être héroïques. L’organisation stratégique et la solidarité collective sont inexistantes. Le dribbling game, est alors en vogue. Tout bascule le 31 mars 1883. Ce jour-là, le Blackburn Olympic se hisse en finale de la FA Cup, plus vieille compétition de football créée douze ans auparavant. Il s’agit du premier club ouvrier qui parvient à ce niveau, avec, en prime, un jeu très collectif. En remportant 2-1 le match décisif face aux Old Etonians, équipe issue de la plus prestigieuse école du pays, Eton, Blackburn inaugure une nouvelle ère. Il transforme le football en sport populaire et met au goût du jour le passing game. Le ballon rond ne sera plus jamais le même. Quelques décennies plus tard, George Orwell dira que « personne ne peut joueur au football tout seul. » Enfin, cette victoire accélérera paradoxalement aussi le passage au professionnalisme impulsé par les clubs du bassin industriel. C’est ainsi, comme le souligne Michéa dans Le plus beau but était une passe (Climats, 2014), le foot devient « le premier sport moderne dont les classes ouvrières britanniques […] se sont très vite approprié l’essentiel de la pratique. » Au point de devenir, selon la formule de l’historien marxiste Éric Hobsbawm, la « religion laïque du prolétariat britannique ». C’est le rugby qui reprendra le flambeau du sport aristocratique et amateur.
Nouveau symbole de la lutte des classes, le football subit alors le mépris des élites. Peu à peu, il se diffuse par-delà la Manche et touche tout le Vieux Continent, ou presque, et l’Amérique latine. Le cofondateur du Parti communiste italien Antonio Gramsci voit dans ce sport un « royaume de la liberté humaine exercé au grand air. » Mais pas pour longtemps, car les chefs d’Etat comprennent rapidement l’intérêt qu’il peut présenter pour eux, en terme de contrôle des masses. Ainsi, l’Italie fasciste remporte la deuxième et la troisième Coupe du Monde, en 1934 et 1938. De même, le Real Madrid, club chouchou de Franco, glane les cinq premières Coupe des clubs champions – ancêtre de la Ligue des Champions – de l’histoire, entre 1956 et 1960. Dans Comment ils nous ont volé le football (Fakir éditions, 2014), François Ruffin et le regretté Antoine Dumini évoquent aussi le cas du mondial de 1966, la peu glorieuse “World Cup des arbitres”. La raison de ce surnom est simple : les erreurs d’arbitrage ont joué un rôle décisif dans le sort des équipes durant la compétition. En pleine guerre froide et décolonisation, le Nord décide de prendre sa revanche sur le Sud et l’Est. La Coupe du Monde anglaise en sera le théâtre. Entre fautes non sifflées et expulsions injustifiées, l’arbitrage s’avère être catastrophique. Les Sud-américains sont vite écartés de la compétition – en commençant par la Seleção de Pelé archi-favorite et double tenante du titre, jusqu’aux Argentins traités d’ »animals » par le directeur technique anglais –, puis c’est au tour de l’URSS. La finale oppose l’Allemagne à l’Angleterre. Le pays organisateur remporte le seul titre mondial de son histoire, dans des conditions plus que discutables. Douze ans plus tard, le mondial remporté par l’Argentine à domicile sert de vitrine à la dictature militaire en 1976.
Pourtant des espaces d’autonomie subsistent. Le Brésil gagne à nouveau en 1970, avant l’Argentine en 1978. Le FC Barcelone constitue un bastion de résistance populaire au Real Madrid. Enfin, des joueurs se montrent héroïques, comme le Chilien Carlos Caszely qui refuse de serrer la main de Pinochet lors de la Coupe du monde 1974. Enfin, comment ne pas évoquer le club brésilien de Corinthians, et de sa star, le Dr Sócrates, qui défend radicalement la démocratie et l’autogestion en pleine dictature militaire dans les années 1980. Enfin, la ferveur et le beau jeu persistent. Des entraîneurs comme Gusztáv Sebes, sélectionneur du Onze d’or hongrois des années 1950, ou Bill Shankly, qui a façonné le FC Liverpool dans les années 1960 et 1970, se revendiquent du socialisme ou du communisme. Mais le capitalisme achèvera ce que les régimes autoritaires avaient tenté, en soumettant complètement le football.
La marchandisation du football
L’élection du brésilien Joao Havelange à la tête de la Fédération internationale de football association (FIFA) le 10 juin 1974 fait entrer le football de plein pied dans le capitalisme. Le businessman ne s’en cache pas, il est « là pour vendre un produit appelé football. » Le ballon rond s’intègre au fil du temps à la société du spectacle, « l’accomplissement sans frein des volontés de la raison marchande », d’après Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle (éditions Gérard Lebovici, 1988). Des contrats juteux avec Adidas et Coca-Cola, nouveaux sponsors officiels de la FIFA, garantissent des entrées d’argent supérieures au nécessaire. Un nouveau pallier est franchi en décembre 1995, avec l’arrêt Bosman. Ce décret de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), qui porte le nom de son inspirateur, le médiocre défenseur belge Jean-Marc Bosman, garantit la liberté de circulation des joueurs au sein de l’Union européenne. Accordé pour les meilleures raisons du monde, ce droit va s’avérer être le meilleur allié du capitalisme en favorisant l’inflation des transferts et des prix des superstars. Ensuite, Sepp Blatter, qui devient directeur de la FIFA en 1998, accélère les choses.
Les niveaux d’endettement des clubs, de plus en plus détenus par des milliardaires ou des fonds financiers, atteignent des records, pendant que les bulles sur les transferts et les droits TV – qui éclateront probablement un jour – enflent. Les joueurs Africains ou d’Amérique latine, aux coûts plus faibles se prolétarisent. Leurs conditions se rapprochent parfois de l’esclavage. Le jeu aussi subit des transformations. La mondialisation harmonise les jeux. Fini le joga bonito brésilien, « football de poésie » selon Pier Paolo Pasolini (Les terrains : écrits sur le sport, Le Temps des cerises, 2012), la Seleção s’adapte à la rationalité européenne. De plus en plus d’équipes jouent pour encaisser moins de buts que leurs adversaires, plutôt que de jouer pour en marquer plus. Le catenaccio ultra-défensif, pratiqué par les Italiens se diffuse. En 1998, Aimé Jacquet fait même triompher l’équipe de France avec pour mot d’ordre « le beau jeu est une utopie ». Le culte de la performance transforme les joueurs en robots transhumains. Johan Cruyff, et ses soixante clopes par jour ou les attaquants rock’n’roll comme George Best ne sont plus. Avant les joueurs, jusqu’à Platini, pouvaient ressembler à nos voisins. Aujourd’hui, malgré une technique exceptionnelle Cristiano Ronaldo ne dégage rien. Les prolétaires sont tenus à l’écart de certains stades, comme en Angleterre où le prix des places a augmenté de manière démesurée.
Enfin, les institutions footballistiques font tout pour préserver les grandes nations ou les grands clubs des grandes compétitions, en augmentant les places qualificatives, afin d’éviter des éliminations surprises, coûteuses sur le plan financier, quitte à tuer le suspens, élément crucial dans le foot. L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano résume parfaitement la situation dans Le Football : Ombre et lumière (Climats, 1997) : « L’histoire du football est un voyage triste, du plaisir au devoir. À mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer. En ce monde de fin de siècle, le football professionnel condamne ce qui est inutile, et est inutile ce qui n’est pas rentable. […] Le jeu est devenu spectacle, avec peu de protagonistes et beaucoup de spectateurs, football à voir, et le spectacle est devenu l’une des affaires les plus lucratives du monde, qu’on ne monte pas pour jouer mais pour empêcher qu’on ne joue. La technocratie du sport professionnel a peu à peu imposé un football de pure vitesse et de grande force, qui renonce à la joie, atrophie la fantaisie et proscrit l’audace. »
Une réalité plus nuancée
Existe-t-il encore des raisons de se passionner pour le football ? Dans leur livre, Antoine Dumini et François Ruffin trouvent dans le foot amateur, avec l’exemple de l’Olympique eaucourtois, des raisons d’espérer. Les auteurs rappellent ces bénévoles animés par « la joie de jouer pour jouer » et l’envie de transmettre leur passion, loin de tout calcul économique. Ils évoquent « le miracle des maillots pliés », repris en décembre dernier par le député lors d’un discours mémorable dans l’hémicycle. François Ruffin entend par-là le travail de l’ombre de ceux qui apportent l’aide logistique qui permet au foot amateur d’exister. N’oublions pas que le foot professionnel n’existerait pas sans ces îlots de solidarité et de désintéressement. Rappelons-nous aussi que le foot amateur nous nourrit régulièrement d’exploits en Coupe de France, comme celui des Herbiers, club de troisième division qui a réussi à se hisser en finale cette année face à l’ogre parisien. Ajoutons ceux qui maintiennent allumées les braises de la rébellion contre le système, comme le Red Star ou le Ménilmontant FC 1871, club antifasciste et autogéré. Il est néanmoins un peu simpliste de croire que seul le foot amateur ou semi-professionnel peut encore procurer du plaisir. Car c’est d’abord parce que les sportifs de haut niveau procurent des émotions incomparables qu’ils transmettent leur passion aux amateurs.
« Par bonheur, on voit encore sur les terrains, très rarement il est vrai, un chenapan effronté qui s’écarte du livret et commet l’extravagance de feinter toute l’équipe rivale, et l’arbitre, et le public dans les tribunes, pour le simple plaisir du corps qui se jette dans l’aventure interdite de la liberté », souligne Edouardo Galeano. Les premiers matchs de cette Coupe du Monde, de l’extérieur de Quaresma contre l’Iran à la frappe de Coutinho face à la Suisse, en passant par la tête de Yerry Mina sur une passe remarquable de James Rodriguez, sont là pour nous le remémorer. La dernière Ligue des champions nous a aussi gratifié de deux formidables retournés madrilènes, de Cristiano Ronaldo en quarts de finale contre la Juventus Turin et de Gareth Bale en finale face à Liverpool. « Il y a dans le football des moments qui sont exclusivement poétiques : il s’agit des moments du but. Chaque but est toujours une invention, est toujours une subvention du code : chaque but a un caractère inéluctable, est foudroiement, stupeur, irréversibilité. Telle la parole du poète », théorisait Pier Paolo Pasolini. Près de 43 ans plus tard, la logique marchande n’a pas encore tout détruit et les propos du poète restent d’actualité… Mais pour combien de temps ?
Article initialement publié le 31 mai 2018 sur Le Média presse
En annonçant son départ du Real Madrid, où il a tout gagné, Zidane crée un petit séisme dans le monde du foot. L’entraineur va paradoxalement devoir faire à nouveau ses preuves, après avoir pourtant battu tous les records.
« J’ai pris la décision de ne pas continuer. » C’est avec ces quelques mots que Zinédine Zidane a annoncé une des décisions les plus difficiles de sa vie, cinq jours après sa troisième victoire d’affilé en Ligue des champions. « Je pense que c’est le bon moment pour tout le monde », a-t-il renchéri. Pouvait-il réellement en être autrement ? Ce genre de champion ne peut pas se satisfaire de la victoire et a toujours besoin de se surpasser, ce qui n’est pas possible quand on survole les débats depuis trois ans. Le Français a expliqué son choix : « Je devais le faire. Je souhaite à cette équipe de continuer à gagner, et pour ça elle a besoin de voir autre chose, d’entendre un autre discours. » Et ajoutons que dans le football contemporain 29 mois pour un entraîneur, c’est presque long. A titre de comparaison, parmi les 16 entraîneurs présents en huitième de finale de Ligue des champions, seuls quatre dépassent Zizou en termes de longévité : Allegri (Juventus), Pochettino (Tottenham) – qui selon les premières rumeurs pourraient le succéder sur le banc des Merengue –, Klopp (Liverpool) et Senol Güne au Besiktas.
Un parcours exceptionnel
Deux questions se posent à ce jour. La première : où ira Zidane, qui affirme avoir besoin de temps pour réfléchir ? Vers un autre grand club ou remplacer son ancien coéquipier Didier Deschamps à la tête de l’équipe de France ? « J’étais joueur de cette équipe de France, oui ça serait bien, un jour de l’entraîner, mais pour le moment il y a un entraîneur en place (Didier Deschamps) qui fait un boulot formidable, mais oui j’ai cet objectif, cette ambition », a déjà prévenu Zizou en mars 2015. Petit bémol : Deschamps est en contrat jusqu’en 2020. Il faudrait donc une démission du sélectionneur ou un mauvais parcours des Bleus en Russie, que personne ne souhaite, pour que cela se réalise immédiatement. La seconde question est plus subtile. Que vaut réellement Zidane comme entraîneur ? Car bien qu’il ait battu tous les records en moins de deux ans et demi, des doutes planent sur ses compétences réelles.
Les génies font rarement de grands coachs, les joueurs offensifs encore moins. Il y a certes eu Johan Cruyff, triple ballon d’or (1971, 1973 et 1974) et premier entraîneur barcelonais à remporter la Ligue des champions, en 1992, avec en prime un jeu flamboyant. Mais c’est à peu près tout. Alors quand en janvier 2016 Zidane prend la tête de l’équipe première, un doute subsiste : et si le costume était trop grand ? Laurent Blanc et Didier Deschamps semblaient taillés pour devenir coach. Mais Zidane ? L’idée ne lui a d’ailleurs traversé l’esprit que relativement tard. Il y est en fait presque poussé par la Maison Blanche, avec qui il a tout gagné comme joueur, dont la Ligue des champions en 2002 avec un but phénoménal, et par les circonstances. Mi-2009, il est élu ambassadeur du Real Madrid et devient conseiller du président Florentino Pérez. Deux ans plus tard, il remplace Jorge Valdano, comme nouveau directeur sportif des Merengue. Dans la foulée, il s’inscrit à la formation de manageur général de club sportif du Centre de droit et d’économie du sport de Limoges. Il y côtoie d’anciens joueurs comme Éric Carrière et Olivier Dacourt. Zidane reçoit son diplôme en janvier 2014. Quelques mois auparavant, l’ancien meneur de jeu devient l’entraîneur adjoint de Carlo Ancelotti. Zizou est notamment en charge de l’aspect tactique de l’équipe qui remporte la “Decima”, dixième Ligue des Champions du Real. C’est pourtant la suite qui est plus intéressante. Lors de la saison 2014-2015, le Français coache le Real Madrid Castilla, l’équipe réserve qui évolue en troisième division espagnole. C’est durant cette saison qu’il apprend réellement les rudiments du métier, en plus de décrocher le diplôme d’entraineur qui lui manquait encore. Zidane reste un an et demi à ce poste, avant de devoir remplacer au sein de l’équipe première un Rafael Benítez décrié par les supporters et les dirigeants. Les choses semblent alors précipitées et pourtant…
La suite, on la connaît tous : un titre de champion d’Espagne (2017), une Supercoupe d’Espagne (2017), deux Supercoupe de l’UEFA (2016 et 2017), deux Coupe du Monde des clubs (2017 et 2017) et surtout trois Ligue des Champions. Rappelons que Zidane a été le premier entraîneur à décrocher la prestigieuse compétition européenne deux fois consécutives, puis trois. N’oublions pas non plus qu’il a été le premier à la remporter dès sa première année sur le banc d’une équipe professionnelle. Le bilan est qu’il n’a jamais été éliminé en Ligue des Champions : du jamais vu. Pourtant, il est difficile de percevoir Zizou comme le plus grand coach, car ces trois titres semblent trop faciles.
Réinventer le métier d’entraîneur
Une chose est sûre, avec Zidane, point de révolution tactique. S’il semble attaché au 4-3-3 et prône un style offensif et une importante possession de balle, il admet volontiers ne pas « inventer le football ». En deux ans et demi, n’a pas laissé son empreinte sur le jeu du Real, ni fait preuve de fulgurance tactique, contrariement à Pep Guardiola, José Mourinho, Diego Simeone ou encore Jürgen Klopp son adversaire malheureux du 26 mai. Cette année le Real ne semblait pas plus fort que ses adversaires, que la Juventus Turin, le Bayern Munich ou Liverpool, qu’il a successivement battu. Les choix tactiques de l’ancien meneur de jeu sont bons, mais pas exceptionnels. Certains parleront du coaching gagnant de Zizou, qui fait entrer Gareth Bale, décisif et auteur du plus beau but en finale depuis… celui de son entraîneur en 2002. Certes, le Gallois n’est plus un titulaire indiscutable à cause de ses multiples blessures. Mais il demeure un grand joueur, le plus cher à ce jour du Real Madrid et le cinquième du monde (101 millions d’euros). Surtout, point de bouleversement tactique avec cette rentrée. Car, la force du Real, et donc de Zidane, réside dans un effectif exceptionnel, tant dans le onze de départ que sur le banc de touche.
Mais pourtant, la mayonnaise ne prenait plus sous Benítez, entraîneur pourtant reconnu. De son côté, le Français pour lui d’avoir été un très grand joueur, qui a en plus évolué au sein du club, respecté de tous, même d’un Cristiano Ronaldo souvent trop capricieux. Zidane a aussi l’avantage de connaître sur le bout des doigts la maison, qui compte en son sein beaucoup de jeunes pousses formées à domicile. L’ancien meneur de jeu a en quelque sorte réinventer son métier au Real, entre l’entraîneur, le manager sportif et le directeur des ressources humaines. Et il l’a fait avec un talent certain. Pourtant une question persiste : Zidane peut-il réussir hors du Real ? Les prochains mois seront décisifs. Quoiqu’il en soit, près de 20 ans après son doublée au stade de France face au Brésil, Zizou semble plus que jamais béni des dieux.
Article initialement publié le 25 mai 2018 sur Le Média presse
Le Liverpool FC s’apprête à affronter le Real Madrid ce 26 mai en finale de Ligue des Champions, treize ans après sa dernière victoire spectaculaire. L’occasion parfaite pour se repencher sur l’homme qui a façonné le club dans les années 1960 et 1970 : Bill Shankly. « Même le président Mao n’aurait jamais pu bâtir une aussi belle démonstration de force rouge », se vantait Bill Shankly, à propos de son équipe. Evidemment, l’entraîneur faisait référence au rouge qui orne toujours le maillot de Liverpool, mais pas seulement. Quand il quitte le banc du club en 1974, Liverpool n’est pas qu’un club de foot, c’est la fierté d’une ville ouvrière. Lorsque les joueurs de Shankly réalisent le doublée championnat d’Angleterre/Coupe de l’UEFA, le premier de l’histoire du club, l’Ecossais est plus qu’un entraîneur. C’est un « working class hero », pour reprendre les mots de John Lennon, lui-même originaire de la ville du Lancashire. Pourtant, les choses n’étaient pas écrites d’avance. « Si vous aviez vu Anfield [stade du club] quand je suis arrivé. J’ai dû moi-même apporter mon eau. Il n’y en avait pas assez pour rincer les toilettes », se remémorait-il dans la presse. Aujourd’hui encore, on ne peut rien comprendre de la ferveur populaire que suscitent les Reds, si on ne s’intéresse pas d’abord à ce personnage hors du commun qu’était Bill Shankly, disparu en 1981.
Un mec ordinaire
« Pour une fois, j’ai voulu écrire sur un type bien », résume David Peace, qui a consacré un roman à l’Ecossais, Rouge ou mort, paru en 2014. Plus qu’une simple biographie ou qu’une œuvre littéraire, The Times qualifie le livre d’ »épopée qui rappelle davantage Beowulf ou L’Iliade qu’un roman conventionnel sur le sport ». Quant au philosophe passionné de foot Jean-Claude Michéa, il affirme aux micros de France culture qu’il s’agit d’« un ouvrage majeur du socialisme« . A première vue, ces descriptions peuvent sembler exagérées. Pourtant, quelques mois après sa retraite, l’entraîneur constatait aussi « notre football était une forme de socialisme ». Néanmoins, point de théorie, ni de plan pour renverser la bourgeoisie dans le roman, comme dans la vie de Bill Shankly. Mais en racontant les quinze années de l’Ecossais à la tête de Liverpool, David Peace décrit un monde populaire, empreint de passion et de fraternité, cette fameuse “décence ordinaire” (“common decency”), que l’écrivain George Orwell avait perçu chez les ouvriers de Manchester ou les anarchistes de Catalogne. Enfin, Rouge ou mort nous raconte un football qui appartient définitivement au passé. Déjà, parce que Shankly était un entraîneur dont le travail s’inscrivait dans la longueur, ce qui n’est plus possible aujourd’hui, comme en témoigne le départ de l’anachronique Arsène Wenger du banc d’Arsenal. Ensuite, même en ayant été joueur professionnel et coach d’envergure internationale, il demeurait quelqu’un d’ordinaire.
Bill Shankly quitte l’école à 14 ans pour partir travailler à la mine, comme les autres adolescents de son village. Toute sa vie, il restera ancré dans la réalité. C’est ce qui explique qu’il peut s’exclamer avant une finale importante : « La pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est essayer d’éviter de se faire virer pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense ! » Il y apprend aussi le rejet des politiciens, des propriétaires miniers et des patrons quel qu’ils soient. Une vingtaine d’années avant d’arriver à Liverpool, Shankly est déjà rouge vif. « Liverpool était fait pour moi et j’étais fait pour Liverpool », résume-t-il. Mais s’il se sent communiste, son cœur est surtout au football. C’est par ce sport qu’il arrive à s’évader. Il joue dans son village et est repéré par l’équipe nationale d’Ecosse junior. C’est grâce à cela qu’il devient professionnel. Après une carrière honorable, mais pas fabuleuse, dans des clubs moyens en Angleterre, il prend sa retraite en 1949, à l’âge de 36 ans. Il démarre alors une carrière d’entraîneur, qui ne décollera que dix ans plus tard, à Liverpool.
Un coach extraordinaire
Lorsqu’il arrive en décembre en 1959, le club végète dans le ventre mou de la deuxième division anglaise. L’équipe phare de la ville est Everton. L’éternel rival a déjà pour lui 5 titres de champions d’Angleterre et joue les premiers rôles dans l’élite, depuis sa remontée en 1954. Les conditions ne sont pas évidentes. Le public est exigeant et la direction du club est très pressante. Shankly ne s’entend pas avec ses chefs. Il a une idée bien précise du foot et se bat pour l’imposer, même quand la victoire n’est pas au rendez-vous. D’après lui, « dans un club de football, il y a une sainte trinité : les joueurs, le manager et les supporters. Les présidents n’ont rien à voir là-dedans. Ils sont juste-là pour signer les chèques. » Cela finira par payer. La ferveur populaire est déjà là et transcende tout. Trois ans après l’arrivée de Shankly, Liverpool remporte la deuxième division et monte en première division. L’histoire est en marche. Deux ans après, en 1964, les Reds renouent avec leur glorieux passé, en étant sacrés champions d’Angleterre 17 ans après leur dernier titre.
Les matchs sont épiques, surtout les derbys avec Everton et les confrontations avec les voisins de Manchester United et Manchester City. Mais pas seulement, parce que le championnat comprend aussi Arsenal, Chelsea, Nottingham Forest ou Leeds. Autant d’équipes contre lesquelles il ne faut pas perdre, à domicile comme à l’extérieur, et où chaque action est disputée. David Peace décrit ainsi un match de l’hiver 1965 ainsi : « Sur le banc, le banc d’Anfield. Dans l’air glacial, sous le vent cinglant. Bill entend les chants, les chants de Noël. Ce sont 53.430 spectateurs qui chantent Noël. Pour dégivrer l’air, pour réchauffer le vent. Pour faire bouillir l’air, pour brûler le vent. Mais sur le sol, le sol pris dans la glace, sur le terrain, le terrain dur comme de la pierre. Il n’y a pas de réjouissances, les joies de Noël n’existent pas… » Shankly respire le foot. « Mon travail, c’est ma vie », explique-t-il. Le repos n’existe pas, car quand il n’est pas en train d’entraîner ou en compétition, il réfléchit tactique, au point que sa femme, qui l’accompagne sans cesse, passe malheureusement au second plan. « Le football, ce n’est pas une question de vie ou de mort. C’est bien plus important que cela », répète l’entraîneur. Le jeu se couple d’une philosophie de vie bien particulière.
Un grand d’Europe
« Ma vision du communisme n’a pas grand-chose à voir avec la politique. C’est un art de vivre. C’est de l’humanisme. Je crois que le seul moyen d’y arriver dans la vie, c’est l’effort collectif. J’en demande peut-être beaucoup, mais c’est la façon dont je vois le football », précise-t-il. Son football est socialiste. Certes, pas au sens du « football socialiste » du Onze d’or hongrois de la première moitié des années 1950 de Gusztáv Sebe, basé sur le passing game et l’offensive. Car ce « foot total » ne correspond pas au jeu anglais, moins esthétique que les jeux hollandais ou espagnol, mais plus physique. Il l’est parce que le collectif passe avant tout et que les joueurs sont en osmose total avec les ouvriers. Liverpool découvre logiquement avec la scène internationale. Lors de sa première compétition, les Reds arrivent en demi-finale de la Coupe des clubs champions, stoppés par un Inter Milan plus expérimenté à ce niveau. Quelques mois après, Liverpool découvre une autre compétition européenne. Vainqueur de la Coupe d’Angleterre face à Leeds, les joueurs se retrouvent en Coupe des vainqueurs de coupe. L’équipe de Shankly se hisse jusqu’en finale, au terme d’une compétition de longue haleine. Malheureusement, l’heure de gloire n’est pas encore arrivée et les Reds sont défaits par le vainqueur de la Coupe d’Allemagne, le Borussia Dortmund, en matchs aller-retour, en mai 1966, quelques semaines avant la seule victoire – litigieuse à domicile – de l’Angleterre en Coupe du Monde.
Liverpool joue dans la cours des très grands. Mais il lui manque encore quelque chose : un génie. Cette « recrue pas comme les autres », comme la décrit Peace, va se présenter à Shankly durant l’été 1971. En voyant Kevin Keegan, tout juste âgé de 20 ans, l’entraineur sait qu’il fera de grandes choses. Et il ne se trompe pas. C’est avec lui qu’il réalise le doublée et gagne sa première compétition internationale, la Coupe de l’UEFA. Par contre, la Coupe des clubs champions échappe encore et toujours à Shankly, éliminé au deuxième tour de l’édition de 1974. Il se retire la même année, après une ultime victoire en Coupe d’Angleterre. Il est alors remplacé par son adjoint de toujours, Bob Paisley. En neuf ans, ce dernier gagne tout dont six championnats d’Angleterre et trois Coupes d’Europe des clubs champions, un total de dix-neuf titres. Il devient l’entraîneur le plus titré du club, l’un des plus beaux palmarès d’Europe et Shankly a sa part de responsabilité. Car Paisley est son héritier, celui qui fait briller Keegan. Le numéro 10 remporte deux ballons d’or, en 1978 et 1979, alors qu’il vient de rejoindre Hambourg. Reconnaissant, il demande à Shankly de recevoir avec lui le trophée.
Pendant ce temps, le coach profite de sa retraite et observe la société. Pendant deux ans, avant de mourir, il assiste impuissant à la transformation de l’Angleterre, à l’affaiblissement de la classe ouvrière et à l’effondrement du syndicalisme, suite à la nomination de Margaret Thatcher comme Premier ministre. Il ne désespère pourtant pas. Il a quelque chose qui le fait vivre : le foot. Et enfin, il l’associe à une devise que ne doivent pas oublier les joueurs de Liverpool : « Le football est un sport simple, rendu compliqué par les gens qui n’y connaissent rien. »
Article initialement publié le 19 janvier 2018 sur Aleteia
La foi s’exprime de plus en plus dans le football, notamment grâce à l’influence des Sud-américains. Une équipe type des meilleurs joueurs de foot chrétiens qui ont évolué dans le championnat français.
Article initialement publié sur Aleteia le 1er août 2017
Une : Soren Stache | DPA | AFP
L’attaquant du FC Barcelone serait à deux doigts de s’engager au PSG et de devenir par le même coup le joueur le plus cher du monde. L’occasion de revenir sur le parcours de ce fervent chrétien.
Encart publié dans l’article de Ludovic Alidovitch intitulé “L’inconscient socialiste de Johan Cruyff” sur Le Comptoir
Une théorie très en vogue voudrait que Cruyff soit un homme de gauche. Après tout, le Hollandais vient de Betondorp, quartier d’Amsterdam réputé communiste et laïcard, portait les cheveux longs, symbole de rébellion dans les années 1970, et surtout n’a pas participé la Coupe du monde en Argentine en 1978… Beaucoup y ont vu un boycott de la dictature de Videla. Grossière erreur, comme le rappelle le So Foot de l’été 2015 dédié au Néerlandais.
Trois hypothèses cohabitent. La première vient de Cruyff lui-même. En 2008, dans une radio catalane, l’ancien joueur évoque une tentative d’enlèvement qui se serait déroulée en 1977 avec flingue sur la tempe et femme ligotée, alors que ses trois enfants dormaient dans une pièce à côté. Johan Cruyff explique qu’après cet événement il n’avait plus vraiment la tête au foot : « Mes enfants allaient à l’école accompagnés par la police, des policiers dormaient chez nous, j’allais aux matchs avec un garde du corps. Tout cela vous fait prendre conscience de beaucoup de choses. » Cinq ans auparavant déjà, en 1972, l’Ajax de Cruyff, vainqueur de la Coupe des clubs champions, dispute la finale aller de la Coupe intercontinentale en Argentine. « Le match est ponctué d’incidents et des rumeurs de kidnapping autour de certains joueurs hollandais circulent » note So Foot.
Mais cette explication fait de nombreux sceptiques. Une motivation économique pourrait également être à l’origine de ce choix. Cruyff a un contrat d’exclusivité avec la marque Puma, alors que la fédération néerlandaise est sponsorisée par Adidas. En 1974, le joueur s’en était sorti en arborant un maillot à deux bandes, au lieu de trois. Mais cette fois, Adidas ne veut rien laisser passer. Deux joueurs sous contrat avec Puma décident cependant de disputer la Coupe du monde avec deux bandes. Il s’agit des jumeaux Willy et René Van de Kerhof, qui seront sanctionnés en fin de compétition.
Pour d’autres, notamment ses ex-coéquipiers de sélection, Cruyff n’aurait pas participé au mondial argentin à cause de la jalousie de sa femme Danny. Pour Johnny Rep, ex-attaquant des Oranjes et de l’Ajax, « s’il n’est pas venu, ça n’a rien à voir avec la dictature en Argentine. Ni avec une tentative de kidnapping. Pendant la Coupe du monde 74, il y a eu cette affaire avec les femmes dans la piscine de l’hôtel (les Hollandais auraient participé à une orgie la veille de la finale contre l’Allemagne, ce qui expliquerait leur défaite, NDLR). À cause de cette histoire, Cruyff a eu de gros problèmes avec sa femme. Du coup, tout le monde savait qu’il ne viendrait pas en Argentine. »
Quelle que soit la vérité, Cruyff n’a jamais eu aucun mobile politique. Jean-Marie Brohm, membre du comité de boycott de la Coupe du monde en Argentine, explique d’ailleurs : « Nous n’avions jamais cru […] que Cruyff n’était pas allé au mondial 78 pour des raisons politiques. » Et pour cause, si personne ne connaît les convictions de l’ancienne vedette, une chose est sûre : il était très libéral et l’argent a toujours été son moteur. Il est d’ailleurs l’un des premiers symboles du foot business, n’hésitant pas à admettre cyniquement : « Je gagne plus que ce que je dépense… Mais combien je dépense ? Aucune idée. » David Endt, ancien attaché de presse de l’Ajax Amsterdam, résumait ainsi : « il pourrait être élu président, sérieusement… Et il serait très à droite ! Il a grandi dans un quartier socialiste, certes, mais son père était commerçant, il cherchait à se faire de l’argent et la manière de penser était plutôt droitière. »
Il y a trois ans jour pour jour, la planète football perdait un de ses plus éminents ambassadeurs : le docteur Sócrates. Capitaine de l’équipe de Brésil dans les années 1980, le milieu de terrain s’est illustré à la fois pour son jeu, mais également pour son militantisme. Pour l’anniversaire de sa mort, nous avons décidé de nous repencher sur ce joueur profondément révolutionnaire, issu d’une famille passionnée de philosophie.
Fakir Editions ne chôme décidément pas en ce début d’année et nous sort son troisième livre en autant de mois. Après l’Europe et le FN, la bande à Ruffin s’attaque au football. Alors que la Coupe du monde brésilienne approche, le ballon rond est un excellent prétexte pour analyser l’évolution de la mondialisation durant ces dernières décennies. C’est ce que s’efforcent de faire François Ruffin et Antoine Dumini dans Comment ils nous ont volé le football : la mondialisation racontée par le ballon.
Sport populaire par excellence, le football est devenu en quelques décennies une des industries les plus rentables du capitalisme contemporain. Mais quoi de plus normal pour un fait de société si important ? En effet, le ballon rond était destiné à suivre les dérives de notre société du spectacle. Les deux auteurs font démarrer l’histoire à la Coupe du monde 1966. Cette dernière est restée célèbre, pour des raisons peu glorieuses, car elle restera à jamais dans les mémoires comme la « World Cup des arbitres ». La raison de ce surnom est simple : les erreurs d’arbitrage ont joué un rôle décisif dans le sort de la compétition. En pleine guerre froide et décolonisation, le foot sert d’affrontement géopolitique entre les pays du Nord et ceux du Sud et de l’Est. Après deux titres remportés par le Brésil de Pelé (1958 et 1962), les Européens doivent reprendre leur sport. La Coupe du monde qui se déroule en Angleterre, pays inventeur du foot, est l’occasion parfaite. Entre fautes non sifflées et expulsions injustifiées, l’arbitrage s’avère être catastrophique. Les Sud-américains sont vite écartés de la compétition – en commençant par la Seleção de Pelé archi-favorite, jusqu’aux Argentins traités d’« animals » par le directeur technique anglais –, puis c’est au tour de l’URSS. La finale oppose l’Allemagne à l’Angleterre. Le pays organisateur remporte le seul titre mondial de son histoire, dans des conditions plus que discutables.
Les auteurs multiplient les histoires à l’image de celle-ci. La corruption du football est dans un premier temps politique. Le ballon rond a été par exemple l’instrument de blanchiment du fascisme franquiste, par le biais du club vedette du régime : le Real Madrid. Mais peu à peu, les intérêts économiques ont pris le pas. L’élection du brésilien à la tête de Joao Havelange à la Fifa (Fédération internationale de football association) en 1974 fait entrer le football de plein pied dans le capitalisme. Des contrats juteux avec Adidas et Coca-Cola garantissent les entrées d’argent. Depuis 1998, Sepp Blatter a pris la relève à la tête de l’organisation et a permis au foot d’être plus libéral et mondialisé que jamais. Il faut dire, qu’il est bien aidé par l’arrêt Bosman introduit en décembre 1995. Ce décret, relevant de la Cours de justice des communautés européennes (CJCE), qui porte le nom de son inspirateur (le médiocre joueur belge Jean-Marc Bosman), garantit la liberté de circulation des joueurs au sein de l’Union européenne. Une fois ce droit accordé, l’inflation en termes de transferts a pu pleinement exploser. A l’instar du philosophe Jean-Claude Michéa, Dumini et Ruffin voient dans l’arrêt Bosman le point de départ d’une nouvelle ère ultra-libérale du ballon rond. De la capitalisation des clubs et des championnats (en commençant par la Barclays Premier League anglaise), à la prolétarisation des joueurs du Sud (présentant des coûts de main d’œuvre plus faibles), en passant par les niveaux d’endettement records (et la bulle qui menace d’éclater) : cet ouvrage n’oublie rien. Mais, en marge de ce réquisitoire contre le foot business, ce livre montre que tout n’est pas gris. Les auteurs nous narrent l’histoire de Carlos Caszely, joueur et opposant au régime de Pinochet, évoquent l’exemple du club brésilien de Corinthians (et de sa star, le Dr Socrates) développant un modèle révolutionnaire (auto-gestionnaire et radicalement démocratique) ou encore parlent des coups de gueule des supporters contre l’argent-roi. L’immersion dans le monde amateur (auquel appartiennent les deux journalistes) nous rappelle que le foot reste un sport populaire et beau.
Cet ouvrage est un ouvrage de passionnés. Nos deux auteurs sont des amoureux du ballon rond, ce qui leur permet de garder le lien avec le peuple. Ce sont aussi des anticapitalistes convaincus. C’est ces deux élement qui font la différence. En dénonçant les travers du foot, Ruffin et Dumini défendent ce sport qu’ils adorent. Ils mettent aussi en évidence les dangers du capitalisme, fait social total pervertissant peu à peu toutes les sphères de notre monde. Bref, à quand un changement radical qui nous permettrait de récupérer ce qui a de la valeur dans nos vies, en commençant par le football ?
Ce week-end, du 14 au 16 février se déroule outre-Atlantique le traditionnel NBA All-Star game. Ce match de gala, qui oppose chaque année les plus grandes stars de la NBA (sous le format Conférence Est contre Conférence Ouest), est l’une des attractions majeures de la saison – au moins pour les fans – depuis une cinquantaine d’années. Véritable vitrine du basket américain, le All-Star game a permis de mettre en évidence de nombreux joueurs de légende. Évidemment, le plus prestigieux d’entre eux ne déroge pas à la règle : nous pouvons même affirmer qu’il a aidé Michael Jordan à entrer par la grande porte au Panthéon des basketteurs.
Le All-Star game avec son concours de dunk, son concours de shoots à 3 points et surtout son match final forme le principal événement de la saison de NBA avant les playoffs. Au milieu d’une saison régulière qui en général n’intéresse que les vrais passionnés, cet événement réunit chaque année des millions de téléspectateurs. Ce week-end, toute l’attention devrait se concentrer sur le duel au sommet auquel risquent de se livrer la star incontestée de la Conférence Est, Lebron James, et le joueur en forme du moment de la Conférence Ouest, Kevin Durant. Du côté hexagonal, nous suivrons particulièrement les performances de nos deux frenchiesTony Parker et Joakim Noah. Mais ce All-Star game peut aussi être l’occasion de se replonger sur la plus grande star de l’histoire basket mondial. En effet, durant sa première carrière, de 1985 à 1998, l’ancien meneur de Chicago Bulls a su marquer les All-Star game et y a écrit sa légende.
Acte I : 1985, le rookie of the year
Été 1984, Jordan âgé de 21 ans est draftéi par les Bulls en 4ème position. Equipe mineure de la Conférence Est, Chicago sera profondément bouleversée par cette arrivée. Tout juste auréolé du titre de champion olympiqueii, l’arrière devient vite l’attraction de la saison. Le numéro 23 s’illustre avec notamment 28,2 points par match en moyenne durant la saison régulière et réussit à qualifier son équipe pour ses premiers playoffsiii depuis longtemps – où elle se fait sortir rapidement dès le premier tour par les Milwaukee Bucks. Une performance qui lui permet d’être sélectionné pour le All-Star game du 10 février 1985 à Indianapolis.
Très populaire chez les fans, Michael est dans le 5 majeur aux côtés de son idole de jeunesse Julius Erving, mais aussi de Moses Malone, de Larry Bird et surtout du leader des Détroit Pistons, Isiah Thomas. Malheureusement, les événements ne tournent pas à l’avantage de Jordan. La jeune star montante de la Ligue a déjà la grosse tête. Le joueur flambe tant dans l’allure vestimentaire que dans le style de jeu. Il est également le nouveau chouchou des médias. Tout cela n’est pas au goût des vétérans, au premier rang desquels Isiah Thomas. Le « bad boy » organise un boycott contre le jeune arrière. Mis de côté par ses partenaires, Jordan ne shoote que neuf fois et inscrit 7 points en 22 minutes de jeu. Nous pouvons ajouter à ce tableau une défaite contre une Conférence Ouest trop forte, emmenée par Magic Johnson, Kareem Abdul-Jabbar et Ralph Sampson (élu MVPiv du match). Michael est quand même élu rookiev devant Hakeem Olujuwan.
Isiah Thomas : « Tu reconnais bien là le style du bad boy de Détroit »
Mais Jordan se venge rapidement. Dès le 12 février – soit deux jours après le fameux match – les Bulls rencontrent les Pistons de Thomas. Le jeune rookie effectue son meilleur match de la saison et peut-être l’un des plus marquants de sa carrière. Ce soir-là, il se mue en scoreur fou, avec 49 points. Il prend aussi 15 rebonds et effectue 4 interceptions. Meilleur joueur du match, il éclipse le meneur de Détroit, pendant que les Bulls reportent une belle victoire face à une équipe réputée meilleures (et demi-finaliste des playoffs de la Conférence Est). Mais la blessure reste. Le All-Star game de 1985 l’affecte profondément. Il se sépare de ses bijoux et décide de se recentrer exclusivement sur le basket-ball. Sa rancœur contre le bad boy ne disparaîtra jamais, au point que Jordan menace de ne pas participer aux Jeux Olympiques de 1992 s’il fait partie de la sélection. Au final, Thomas sera écartée de la Dream Team. Mais le plus important est que cette expérience modifie en profondeur Jordan qui voudra prouver qu’il est bel et bien le meilleur. La saison 1984-1985 s’avère encourageante et frustrante pour Jordan. Il est logiquement élu rookie de l’année et finit meilleur marqueur de la saison régulière avec 2313 points – il faut remonter à la saison 1969-1970 et à Kareem Abdul-Jabbar pour retrouver une performance aussi élevée d’un rookie. Pourtant, Jordan n’est pas le meilleur et Chicago est encore une équipe modeste du championnat. Mais il ne fait aucun doute pour personne que « A star is borned » comme l’exprime la couverture du Sports Illustred.
Acte II : 1988, premiers MVP
Pas de All-Star game en 1986 pour le sophomorevi, la faute à une blessure à l’os du pied qui lui fait passer une saison cauchemardesque. En 1986-1987, l’arrière des Bulls reprend sa progression. Il est le meilleur marqueur de la Ligue, enchaîne les exploits individuels et connaît à nouveau le All-Star game. Il remporte le concours de dunk et inscrit 11 points au cours d’une nouvelle défaite de la Conférence Est. Mais cela ne suffit évidemment pas. Michael Jordan est bon mais n’est pas encore considéré comme le meilleur. La saison 1987-1988 est celle de la consécration. Jordan est sur une autre planète. Il continue de scorer comme un fou. Il progresse aussi énormément dans le secteur défensif. Le numéro 23 de Chicago déclare même en début de saison : « J’aime jouer en défense, c’est un challenge. Je sais que beaucoup de gens ne me croient pas mais j’aimerais mieux être sélectionné pour la All-Defensive Team que la All-Pro Team. Un joueur qui joue aux 2 bouts du terrain, c’est comme ça que je veux qu’on se souvienne de moi ». Mais il doit encore confirmer afin d’être enfin considérer comme le meilleur… Le All-Star game qui se déroule chez lui, au Chicago Stadium, le 7 février 1988 est l’occasion parfaite.
Le show commence le samedi au concours Slam Dunk Contest. Jordan doit défendre son titre remportée l’année précédente. Parmi les 6 autres concurrents se trouve l’un des meilleurs dunkeurs de l’histoire de la NBA : Dominique Wilkins. Déjà vainqueur en 1985, le joueur des Hawks d’Atlanta est bien décidé à remporter le titre. Lors du premier tour, il finit d’ailleurs en tête devant le Bulls. En demi-finale, c’est Jordan qui prend l’avantage, de deux petits points seulement. Puis arrive la finale. Wilkins effectue deux dunks parfaits. Jordan est en retard de 3 points au moment du dernier dunk. Le joueur d’Atlanta se lance et réalise son dunk le moins bon de la série. Le numéro 23 est encore en course mais il va devoir se surpasser s’il veut l’emporter. C’est ainsi qu’il réalise ce qui reste encore à ce jour le dunk le plus spectaculaire de l’histoire du concours : Air Jordan s’élance puis s’envole de la ligne de lancer de franc jusqu’au panier. Le temps semble se suspendre pendant que le joueur est dans les airs : un dunk stratosphérique pour un concours d’un niveau exceptionnel. Le Bulls devient le premier joueur de l’histoire à reporter deux titres consécutifs. Si aujourd’hui encore certains disent que Wilkins méritait cette victoire plus que Jordan, une chose est sûre : à domicile, le joueur de Chicago est dans sa meilleure forme pour le All-Star game. Il veut entrer dans la légende et il va y arriver.
Air Jordan s’envole
Jordan est naturellement dans le 5 majeur, aux côtés de Larry Bird (vainqueur du concours à 3 points), Moses Malone, Isiah Thomas et son rival de la veille, à savoir Do Wilkins. De l’autre côté, il y a la sélection de l’Ouest menée par Magic Johnson face à laquelle Michael a déjà butée deux fois. Seulement présent 29 minutes, Jordan réalise une performance mémorable. Littéralement inarrêtable, MJ réussit un 74% au tir pour 40 points inscrits – deuxième meilleure performance à ce jour après les 42 points de Wilt Chamberlain en 1962. Mais l’arrière des Bulls est aussi intraitable en défense – dans un exercice où les joueurs brillent généralement surtout en attaque et font preuve d’un manque de motivation flagrant en défense – en prenant 8 rebonds, en effectuant 4 contres et 4 interceptions. Nous pouvons ajouter 3 passes décisives à ce beau tableau. C’est lui seul qui porte à la victoire une Conférence Est qui commence à prendre le large dès le deuxième quart-temps. Un vrai show de Jordan qui ne se termine qu’à la fin de la rencontre : l’arrière inscrit 16 points dans les 6 dernières minutes ! Une rencontre qui reste gravée dans les mémoires où Kareem Abdul-Jabbar pour sa 17ème (et avant-dernière) participation devient le meilleur marqueur de l’histoire des All-Star game. Le passage de témoin entre la star des Lakers et celle des Bulls est total ce soir-là.
Le MVP du All-Star game passe le reste de sa saison sur un nuage. Épaulé par Scottie Pippen arrivé en début de saison, il conduit les Bulls en demi-finale de la Conférence Est, où ils sont balayés par les Pistons d’Isiah Thomas. Mais peu importe… La star incontestée de la NBA c’est lui. Il est élu MVP pour la première fois, ainsi que meilleur défenseur. Pour entrer dans l’histoire de la NBA, il faut en général porter au moins une fois la bague du titre de champion. Mais Jordan n’en a pas besoin, il a déjà prouvé qu’il était le meilleur et tout le monde sait que le titre avec les Bulls n’est plus qu’une question de temps. Les Los Angeles Lakers de Magic Johnson, Kareem Abdul-Jabbar et James Worthy sont une nouvelle fois sacrés champions… Une dernière fois.
Acte III : 1998, la légende est écrite
Après deux titres pour les Pistons d’Isiah, l’heure des Bulls a enfin sonné. De 1991 à 1997, Chicago remporte 5 fois le titre. De son côté, Jordan est élue trois fois MVP. Il est le leader de la Dream Team qui survole les J.O. de Barcelone en 1992. Dix ans ont passé depuis le week-end de légende et Jordan est devenu la première star planétaire du basket. Durant son année d’absencevii, la NBA paraît fade. Air Jordan ne le sait pas en début de saison mais l’année 1998 est à la fois sa dernière saison avec les Bulls, son dernier titre de champion de NBA et l’apothéose de sa carrière. Bien que devenu star incontestée et incontestable de la ligue, Jordan n’a plus survolé le All-Star game comme il l’avait fait en 1988. Certes, en 1997, il inscrit à jamais son nom l’histoire en devenant le premier joueur à effecteur un triple-doubleviii en All-Star game (depuis Lebron James en 2011 et Dwyane Wade en 2012 ont réalisé le même exploit), avec 14 points, 11 rebonds et 11 passes décisives. Mais il est éclipsé par Glen Rice qui égale le record de points en un quart-temps et en une mi-temps décerné auparavant par Wilt Chamberlain.
Le All-Star game 1998 est aussi légendaire que celui de 1988 mais dans un tout autre style. Pas de concours de dunk cette année-là. MJ doit se contenter du match qui se déroule le 8 février, dans un Madison Square Garden de New York survolté, comme à son habitude. Aux côtés de Grant Hill, Shawn Kemp, Penny Hardaway et Dikembe Mutombo, le Bulls défie une excellente Conférence Ouest où se côtoient Karl Malone, Kobe Bryant, Gary Payton, Shaquille O’Neal, Kevin Garnett ou encore Tim Duncan. Pourtant, l’Est prend rapidement le large en menant de 8 points dès la fin du premier quart-temps et l’emporte facilement. Mais plus que le match, l’attention du public se concentre sur le duel qu’il se livre avec Kobe Bryant. Le jeune sophomore de 19 ans, est la nouvelle attraction de la Ligue. Vainqueur du concours de dunk l’année précédente, KB est présenté avec Allen Iverson – non sélectionné pour le All-Star – comme le futur Jordan. Quelques semaines auparavant, le Lakers a tenu tête à Air Jordan en inscrivant 33 points (contre 36 pour MJ) face au Bulls, dans match fou se déroulant en l’absence de Shaq et de Schottie Pippen. Michael doit montrer à cette génération montante (également incarnée dans un tout autre registre par Tim Duncan, rookie cette année-là) qu’il est encore le seul boss de la NBA. La tâche s’annonce portant compliquée, car la rumeur le dit malade et pas en pleine possession de ses moyens physiques. Cependant, la confrontation tourne quand même à l’avantage de l’arrière des Bulls, même si avec ses 18 points en 22 minutes Kobe est loin d’être ridicule. Jordan, de son côté, marque 23 points en 32 minutes et réalise un 55,6% au shoot. Certes, nous avons déjà connu l’arrière meilleur scoreur. Mais avec 6 rebonds et 8 passes décisives, il survole individuellement la rencontre et est le principal élément d’une excellente sélection de l’Est. En plus de son troisième titre de MVP, cette nuit-là, il entre sur le podium des meilleurs marqueurs du match de gala derrière Kareem Abdul-Jabbar et Oscar Robertson.
Michael Jordan, MVP 1998
Le reste de saison est une promenade de santé pour Jordan et son équipe. Les Bulls remportent face aux Jazz de l’Utah de Karl Malone leur second triplé durant les années 1990 (1991-1992-1993 et 1996-1997-1998). Jordan remporte son dixième et dernier titre de meilleur marqueur du championnat. Cette finale rencontre la plus forte audience, pour une série de finale, de l’histoire de la NBA. Le numéro 23 des Bulls est au sommet. Ce qu’il ignore, c’est que c’est la fin (ou presque). Le lock-outix, les départs de ses coéquipiers Rodman et Pippen, ainsi que du coach Phil Jackson ont raison de Jordan, qui annonce la fin de sa carrière le 13 janvier 1999. L’ère des Bulls de Jordan laisse place à celle des Lakers de Bryant (qui ont récupéré coach Jackson) et des Spurs de Duncan. Bryant, Iverson « The Answer » (car censé être la réponse à la question « Qui sera le successeur de Jordan ? »), puis à la fin des années 2000, Lebron James « The Chosen One » (« L’élu ») enchaînent les records. Pourtant aucun n’approche Jordan en termes de popularité. Le retour de l’ex-Bulls sur les parquets entre 2002 et 2003 pour sauver les Wizards de Washington aurait été anecdotique s’il ne lui avait pas permis de dépasser Abdul-Jabbar au palmarès des scoreur du All-Star (Bryant lui étant depuis passé devant depuis).
Plus qu’un spectacle, le All-Star game est toute une histoire. Evénement majeur de la saison de NBA, certaines éditions resteront à jamais dans les mémoires. Une chose est d’ailleurs certaine : les prestations de Jordan au All-Star seront à jamais mémorables. De ses dunks à ses performances de folies en match, Air Jordan y a forgé sa légende, qui a évidemment su dépasser ce cadre. Aujourd’hui c’est à Lebron James, à Kevin Durant, à Paul George, à Carmelo Anthony, à Dwayne Wade ou à Chris Paul de nous faire rêver, et nous ne doutons pas de leur capacité à le faire. Le roi est mort mais les princes ont fière allure !
i La Draft est un événement annuel présent dans tous les sports collectifs nord-américains où les équipes sélectionnent chacune leur tour – les positions dépendent en partie du hasard et en partie du classement de l’année précédente, par soucis d’équité, les équipes mal classées ont généralement la priorité – des sportifs issus de l’université, de l’école secondaire ou d’une autre ligue. En basket-ball, la Draft permet l’accès au championnat de NBA. Avec Michael Jordan avec John Stockton, Charles Barkley et Hakeem Olujuwon, la Draft 1984 est considérée comme l’une des meilleures de l’histoire de la ligue de basket.
ii Ce n’est qu’à partir des J.O. de 1992 que les joueurs de NBA sont autorisés à participer au tournoi. Avant la sélection états-unienne est composée de joueurs universitaires
iii Les playoffs sont la seconde phase du championnat de NBA. Les 8 meilleures équipes de la saison régulière à l’Est et à l’Ouest s’affrontent séparément dans des confrontations à élimination directe. A la fin, le vainqueur de chaque conférence s’affrontent dans une série de 7 matchs pour le titre de champion de NBA.
iv Le Most Valuable Player désigne le meilleur joueur d’une compétition.
v Un rookie est un joueur dont c’est la première saison en NBA
vi Un joueur est appelé « sophomore » lors de sa deuxième saison en NBA.
vii Jordan prend en 1993 une retraite anticipée suite à l’assassinat de son père. Il se met une saison au baseball, puis revient au cours de la saison 1994-1995.
viii Un joueur effectue un triple-double quand il enregistre au moins dix unités dans trois des cinq catégories statistiques (points, rebonds, passes décisives, interceptions et contres).
ix Un lock-out est une sorte de grève décidée par les employeurs.