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Grimm, Perrault et les Mille et Une Nuits : si le sexe m’était conté

Article publié le 27 juillet 2013 avec  Lucie Bacon, Mathilde Hamet et Elyse Khamassi 

Il était une fois… tout bon conte qui se respecte commence par ces quelques mots qui font rêver les enfants et louper le début du film de la deuxième partie de soirée aux parents. Quand on creuse la morale et les non-dits de ces histoires souvent pleines de princes et princesses, on s’aperçoit que les contes adressent de puissants messages aux esprits conscients, préconscients et inconscients de nos chers chérubins. Ils leur permettent de dessiner les contours d’un comportement conforme à la morale. À travers les histoires du Petit Chaperon RougeRaiponce,Blanche-Neige et des Mille et Une Nuits, donnons corps à ce que disait le poète allemand Schiller : « Je trouvais plus de sens profond dans les contes de fées qu’on me racontait dans mon enfance que dans les vérités enseignées par la vie. »

La mise en garde du Petit Chaperon Rouge

Un enfant qui dès le plus jeune âge a eu l’habitude d’être bercé à la voix des contes a forcément déjà entendu l‘histoire du Petit Chaperon Rouge : les galettes et le petit pot de beurre, le loup, la forêt, le «Tire la chevillette, la bobinette cherra », le lit de la mère-grand, « Mère-grand, que vous avez de grandes dents » et le fatal destin du Petit Chaperon Rouge. Mais au-delà de la réminiscence enfantine, qui se souvient, dans la version de Charles Perrault, qu’il existait une morale à ce conte ? Si un enfant peut la comprendre aisément, la relire dix, vingt ou trente ans après, avec un recul certain, laisse apparaître une toute autre interprétation.

« On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces Loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus dangereux. »

Le message est on ne peut plus clair : « Non mesdemoiselles, ne parlez à aucun inconnu dans la rue, surtout si vous êtes mignonnes, vous risquez de passer à la casserole. »

Dans sa fameuse Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim livre une analyse plus poussée encore sur les interprétations du conte, en différenciant la version de Charles Perrault de celle des frères Grimm qui suivit, près d’un siècle plus tard.

Commençons par la dernière version : beaucoup plus soft et édulcorée, aucune morale n’est ajoutée à cette histoire. Si le thème central est bien la peur d’être dévorée, le Petit Chaperon Rouge reste bel et bien sauf, après les mises en garde de sa famille. Elle traverse le conte sur le fil d’un dualisme situationnel : d’un côté le principe de plaisir, de l’autre celui de la réalité. Le loup y apparaît comme un dangereux séducteur, il est l’image de la fascination, de l’attirance sexuelle, de l’excitation ressentie comme une angoisse. La fille se laisse séduire avant de redevenir prudente. Elle questionne, cherche des réponses, avec le loup ou chez sa grand-mère. Pour Bettelheim, le Petit Chaperon Rouge a la personnalité d’une ado qui lutte avec ses problèmes de puberté pour lesquels elle n’est pas encore mûre.

L’essence d’un conte est certainement l’imaginaire qu’il laisse transparaître et grâce auquel le lecteur, selon son âge, son expérience, sa perception, et même son humeur, peut construire sa propre histoire. Si différents niveaux de lecture sont possibles dans la version du conte des frères Grimm, Charles Perrault n’a quant à lui pas laissé le choix de l’interprétation.

Pour Bettelheim, Perrault nous confronte à un « excès de simplification » : avec la morale qu’il ajoute à l’histoire, aucune autre interprétation que la mise en garde contre l’agression n’est possible. Le loup est la métaphore parfaite de l’agresseur, à la fin triomphant. Le conte est privé de la délivrance, du réconfort attendu d’une histoire enfantine. Ce n’est clairement pas un conte de fées, c’est une mise en garde qui menace l’enfant dans ses désirs, dans ses comportements, dans ses actions.

Les Raiponce aux fantasmes d’une petite fille

« Il était une fois un homme et une femme qui connaissaient enfin le bonheur d’attendre un enfant. Derrière leur maison, il y avait un jardin appartenant à une terrible magicienne. Or, il arriva que la femme y aperçut ces magnifiques fleurs que l’on nomme “raiponces”. De ce moment, elle perdit complètement l’appétit. »

Les premières phrases de ce conte de Grimm nous plongent immédiatement dans une atmosphère sombre qui perdure jusqu’à la fin de l’histoire. Ce conte d’origine allemande et peu connu en France relate l’enfance d’une petite fille, Raiponce, dont la mère tient à manger les fleurs du même nom appartenant à une sorcière. Pour une poignée de fleurs en salade, le couple accepte que leur petite fille soit emportée par la sorcière à sa naissance. Elle grandit alors dans une tour, enfermée, avec comme seul lien avec l’extérieur ses longs cheveux servant d’échelle à sa tortionnaire.

« Raiponce avait de longs et merveilleux cheveux qu’on eût dits de fils d’or. En entendant la voix de la sorcière, elle défaisait sa coiffure, attachait le haut de ses nattes à un crochet de la fenêtre et les laissait se dérouler jusqu’en bas, à vingt aunes au-dessous, si bien que la sorcière pouvait se hisser et entrer. »

L’histoire est en place. Les parents aimants privés de leur enfant, la sorcière symbole de la belle-mère mettant barrières et interdits et une enfant aussi belle que douce. En souhaitant délivrer sa femme d’une frustration, le père crée une nouvelle frustration, celle de sa fille, élevée loin de son père et de son prince charmant. Seule dans sa tour, elle attend son prince charmant sur sa vaillante monture.

Cette fois, Bruno Bettelheim explique que ce conte réunit les fantasmes de la petite fille. « La petite fille désire se voir sous les traits d’une belle jeune femme, prisonnière d’un personnage de sexe féminin égoïste et méchant – douce définition de la belle-mère – qui met une barrière infranchissable entre elle et l’amant. » Cette barrière est triple. D’abord sous les traits du personnage de la sorcière. Puis une barrière physique, Raiponce étant emprisonnée dans une tour sans porte ni escalier. Enfin, l’obstacle géographique, cette tour est au milieu de la forêt. Mais où est le père, celui que la petite fille rêve secrètement d’épouser ?

Et Bettelheim de préciser que « le vrai père de la princesse captive est présenté comme un personnage incapable de se porter au secours de sa ravissante fille ». Dans ce conte, le père de la fillette est sous le coup d’un sortilège. Dans d’autres contes, il est bien incapable de faire obstacle à une belle-mère (Blanche-Neige) ou dans d’autres encore, il est mort (Cendrillon). C’est ce qui permet à la petite fille de répondre symboliquement à cette épreuve œdipienne, celle de faire la différence entre une figure paternelle réelle et aimée et un personnage qui n’existe pas encore mais qui sera son futur amant. Elle répond à cette frustration immédiate : elle ne peut pas épouser son père. Et elle se dédouane par la même occasion : ce n’est pas de sa faute mais de celle d’un personnage tiers forcément représenté sous des traits féminins… et laisse ainsi le champ libre à celui qu’elle ne connaît pas encore, son amant. Dès lors, la petite fille peut continuer à aimer son père tout en sachant qu’un jour son prince viendra

La petite fille laisse le champ libre à son amant. Dès lors, elle peut continuer à aimer son père tout en sachant qu’un jour son prince viendra…

Ce transfert d’attention du père vers l’amant est symbolisé par la chevelure de Raiponce. Ce sont ses tresses qui permettent d’établir un lien avec le Prince : « Les nattes se déroulèrent aussitôt et le fils du roi monta. » Relation que Raiponce annihile au détour d’une phrase : « Dites-moi, mère-marraine, comment se fait-il que vous soyez si lourde à monter, alors que le fils du roi, lui, est en haut en un clin d’œil ? » Elle commet un « lapsus linguae » freudien, un des rares lapsus présents dans les contes de fées. Et dévoile son secret tout en sachant que la sorcière l’aime et la protège. Pour cause, celle-ci ne la tuera pas mais l’abandonnera au milieu du désert. C’est d’ailleurs cet amour égoïste venant de la sorcière qui va la sauver. « Mais si impitoyable était sa cruauté, qu’elle s’en alla déposer Raiponce dans une solitude désertique, où elle l’abandonna à une existence misérable et pleine de détresse. » Avant cela et dans une ambiance toujours très réjouissante, cette infâme magicienne lui coupe ses belles tresses, et Raiponce se retrouve avec une coupe façon Chantal Goya. Après la lecture de ce conte, la petite fille pourra donc continuer à vouloir épouser son père, se dire que finalement sa belle-mère l’aime et attendre son prince gentiment.

Raiponce est un conte passionnant, pas seulement parce qu’il résout l’équation des fantasmes freudiens de la petite fille, mais aussi parce qu’il lui permet de s’affirmer en tant qu’acteur principal du conte. Pas comme cette feignasse de Cendrillon, qui attend son prince charmant en dormant sur un lit baldaquin payé par papa. Raiponce donne au Prince l’idée des petits morceaux de soie, et non l’inverse. « Si tu viens, lui dit-elle, alors apporte moi chaque fois un cordon de soie, j’en ferai une échelle et quand elle sera finie, je descendrai et tu m’emporteras sur ton cheval. » Mais point d’échelle, ni de cheval à l’horizon. Ce n’est pas le prince qui la délivrera. Le malheureux est piégé, devient aveugle et finira par errer dans la forêt à la recherche de sa belle. Les rôles sont inversés et c’est grâce à sa ténacité que Raiponce se délivrera du mal, retrouvera le prince et lui rendra même la vue au moment de la scène finale. Et comme à chaque fois : « they lived happily ever after… »

Blanche-Neige et l’entrée dans l’âge adulte

Si les contes de fée sont liés, dans l’imaginaire, aux stades les plus importants du développement de l’individu, Blanche-Neige est sans doute celui qui distingue le mieux les différentes phases du développement de l’enfance. Il pointe, selon Bettelheim, « les difficultés pubertaires de l’enfant de sexe féminin ».

Outre l’utilisation du chiffre trois qui, dans l’inconscient, est lié au sexe, le blanc, symbole d’innocence, contraste avec le rouge, symbole de désir sexuel.

Dans la version la plus connue, celle des Frères Grimm, la mère de Blanche-Neige se pique le doigt avec une aiguille, alors qu’elle coud devant une fenêtre. À la vue des trois gouttes de sang qui tombent sur la neige, elle déclare vouloir un enfant aussi blanc que ladite neige, aux lèvres aussi vermeilles que le sang et aussi noir de cheveux que l’ébène. Outre l’utilisation du chiffre trois qui, dans l’inconscient, serait lié au sexe, le blanc, symbole d’innocence, contraste avec le rouge, symbole de désir sexuel. Par ces mots, le conte prépare la petite fille à l’avènement du saignement sexuel, par la menstruation, et plus tard par la rupture de l’hymen. Si l’enfant ne le comprend pas a priori, le conte évoque d’emblée que la condition nécessaire à la conception d’un enfant, lui y compris, passe par ce saignement.

Blanche-Neige met également en garde les parents contre les luttes œdipiennes, via le personnage de la marâtre, remplaçant la mère morte en couche, et qui crève de jalousie face à l’amour que son mari le Roi porte à sa fille. Plus la jeune fille mûrit, plus elle s’embellit, au point de devenir « mille fois plus belle » que sa belle-mère la Reine. Le miroir, dans son extrapolation de la beauté de Blanche-Neige, semble parler avec la voix de l’adolescente pré-pubère, qui manifeste autant le désir de surpasser son parent du même sexe, qu’il ne le redoute, alors que l’attitude de la belle-mère devant son miroir rappelle que, comme dans l’histoire de Narcisse, trop d’amour de soi mène fatalement à l’autodestruction du personnage.

De cette rivalité mère-fille poussée à son extrême, naît l’injonction de la Reine au chasseur, figure paternelle de substitution dans de nombreux contes, de tuer Blanche-Neige et de lui rapporter son foie et son cœur. Selon la coutume primitive. Comme le rappelle Bettelheim : « On acquiert les pouvoirs et les caractéristiques de ce que l’on mange» En cuisinant et en mangeant les organes rapportés, la Reine espère ainsi s’approprier le pouvoir de séduction de l’enfant. Mais laissée libre par le chasseur, Blanche-Neige trouve refuge chez les sept nains.

Êtres masculins à la croissance avortée, au corps trapus et se faufilant facilement avec leurs pioches dans les cavités sombres et profondes, les nains ont une lourde symbolique phallique. Paradoxalement, ils sont totalement asexués et ignorent tout de l’amour. Restés au stade pré-œdipien, ils sont dénués de conflits intérieurs, c’est donc auprès d’eux que Blanche-Neige observe une période de latence ; la pré-adolescence, jusqu’au retour des troubles de l’adolescence, sous les traits de la Reine déguisée.

Grimée en vieille femme, celle-ci rend trois visites à Blanche-Neige et lui apporte tour à tour un beau lacet de corset, un peigne et une pomme, tous empoisonnés. L’intérêt accordé par l’adolescente au corset et au peigne, alors que les nains l’ont mise en garde contre toute visite étrangère, montre qu’elle cède à la tentation par l’envie de se rendre sexuellement désirable. Une faiblesse qui la ramène à son propre narcissisme, et montre une part de vanité qu’elle a désormais en commun avec sa belle-mère.

La pomme, quant à elle, symbolise l’amour et le sexe. De celle offerte à Aphrodite et qui sème la discorde, au fruit défendu que le serpent, symbole de virilité, offre à Ève dans le jardin d’Éden, la pomme, ou le fruit, marque l’abandon de l’adolescence pour la découverte de la sexualité. Également symbole de sein maternel, dans l’iconographie religieuse, elle est ici partagée entre la mère et la fille et met en exergue leur désir commun, plus fort que la jalousie, d’accession à une sexualité mûre. C’est en croquant la moitié rouge de la pomme, soit sa partie érotique, que Blanche-Neige met fin à son adolescence.

Une fois le poison dans ses veines, la jeune fille inconsciente est placée dans un cercueil de verre, qui sera confié au jeune et beau prince qu’elle attendait. Ce passage marque la mort de l’enfance, et le temps de la gestation avant la pleine maturité. Ce n’est que lors d’une secousse du cercueil que Blanche-Neige crache le morceau de pomme qui l’étouffait et se libère de « l’ oralité primitive qui représente toutes ses fixations immatures », selon Bettelheim. Elle devient réellement prête pour le mariage, symbole, ici, d’entrée véritable dans l’âge adulte.

Le conte met en avant les rivalités de l’enfant pré-pubère face à ses parents. Privé de la capacité d’identification à la figure maternelle, la petite fille s’enfonce dans un conflit œdipien qui l’empêche de grandir, et nous montre que la stagnation au stade pré-œdipien du développement, représentée par les nains, empêche la connaissance de l’amour et du sexe. Cependant, il dit aussi qu’il ne suffit pas de changements physiques et physiologiques. Pour être prêt à avoir des relations intimes avec un autre, l’adolescent doit encore grandir, sa personnalité doit mûrir et ses conflits internes et externes, être réglés.

Les Mille et Une Nuits ou la difficile intégration du moi

Cela peut sembler surprenant au premier abord : le conte aux plus fortes connotations sexuelles est un conte d’origine orientale. Ou plutôt, un recueil de contes, puisqu’il s’agit des Mille et Une Nuits. Conte arabe d’origine indo-persane, il narre l’histoire d’un sultan perse, Shahryar, qui a perdu foi en l’amour et d’une femme, Shéhérazade, qui va l’aider à retrouver sa confiance en la gente féminine. Trahi par son épouse, Shahryar finit par croire qu’il ne peut plus avoir confiance en aucune femme.

Dès lors, pris d’une pulsion sanguinaire, chaque nuit, le sultan épouse une vierge et la fait exécuter le matin suivant, afin de s’assurer qu’elle ne le trahisse pas. Voulant sauver son peuple, Shéhérazade, fille du vizir, décide de l’épouser. Pendant mille et une nuits, la jeune reine, aidée de sa petite sœur Dinarzade, raconte une histoire au sultan, s’arrêtant chaque fois à l’aube sur une fin ouverte, le forçant ainsi à la garder en vie une journée de plus afin qu’elle puisse finir le conte la nuit suivante. Finalement, Shahryar tombe amoureux de la belle, abandonne sa résolution et décide de la garder auprès de lui pour toujours. Voilà pour la trame. Et au-delà de l’érotisme omniprésent dans les contes narrés par les deux sœurs, l’histoire principale de ce recueil de contes peut être interprétée de deux manières.

C’est grâce aux contes, résolvants divers cas névrotiques, racontés par Shéhérazade, que nos deux héros réussiront leur intégration tout en créant plaisir et désir chez eux en leur permettant de surmonter leurs diverses frustrations.

La première interprétation se concentre sur l’individu. L’histoire présente deux personnages névrosés souffrants d’un déficit d’intégration du moi. Shahryar, suite au traumatisme qu’il a subi, est un individu dont le ça, centre des pulsions primitives, a pris le pas sur le moi. Shéhérazade, qui joue le rôle du moi du sultan, est au contraire totalement dominée par son surmoi. Radicalement détachée de son ça égoïste, elle est prête à sacrifier sa vie pour le bien commun. C’est grâce aux contes, résolvants en fait divers des cas névrotiques, racontés par Shéhérazade, que nos deux héros réussiront l’intégration de leur moi tout en créant plaisir et désir en eux, en leur permettant de surmonter leurs diverses frustrations. Cette tâche est favorisée par la présence de Dinarzade qui, en manifestant son envie d’écouter sa sœur, fait le lien entre celle-ci et le sultan.

La seconde interprétation, privilégiée par Malek Chebel, est sociétale. Conte anthropologique et sociologique, les Mille et Une Nuits décrit la manière dont les femmes arrivent à se soustraire de l’oppression masculine dans une société patriarcale. Dans un monde violent à leur égard, les femmes devraient féminiser le monde qui les entoure afin de l’adoucir. Celles-ci jouent alors le rôle d’initiatrices sexuelles face à des hommes tyranniques transformés en consommateurs compulsifs de libido. Une lecture des rapports homme-femme de l’époque qui n’est pas spécifique au monde oriental, puisque Christopher Lasch, dans La culture du narcissisme, constatait déjà que la courtoisie traditionnelle et le jeu de séduction n’étaient que des rituels raffinés permettant aux femmes d’adoucir la domination masculine, en Occident. Les Mille et Une Nuits sont donc bien plus que de simples contes initiatiques : ils décrivent à la fois la compréhension et l’acceptation du moi et les rapports de séduction entre hommes et femmes dans nos sociétés ultra-patriarcales.

Disney ou le dépouillement symbolique des contes

De la tradition orale au dessin animé, en passant par le genre littéraire, le conte de fées a connu de nombreux changements afin de mieux coller à son public. Pour adapter ce dernier à notre civilisation consumériste, Walt Disney a remplacé progressivement la mort, la violence et le sexe par le baiser rédempteur du prince charmant et le « happy end ». Ces changements ont été effectués pour coller à notre société embourgeoisée qui n’accepte plus de penser la violence et voit en l’enfant un consommateur lambda. Une fois dépouillés de leurs symboliques, les contes de fées n’arrivent plus à jouer leur rôle éducatif dans la sexualité de l’enfant et à favoriser son passage à l’adolescence.

La jeune fille n’apprend plus à dépasser symboliquement sa peur du jeune homme (représenté par le loup) et au jeune homme n’est plus enseignée la nécessité du dépassement des pulsions primitives. Car paradoxalement, en s’adoucissant, les contes ne démystifient plus les peurs originelles et en n’éveillant plus nos fantasmes, ils ne nous projettent plus en nous-mêmes, étape essentielle pour parvenir à notre propre maîtrise. Par leur caractère initiatique, entre peur et fantaisie, les contes aidaient le surmoi à intérioriser les interdits nécessaires. L’intégration du moi permettant une satisfaction convenable des désirs du ça devient impossible avec les contes actuels. Voilà l’une des approches qui permettent de comprendre la montée d’idéalisations du moi, des narcissismes secondaires et de fait, des situations de détresse sexuelle dans nos sociétés modernes.

Kévin Victoire

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