Archives du mot-clé Emmanuel Macron

Nicolas Framont : « Ce ne sont pas les Gilets jaunes qui ont rallumé la mèche de la lutte des classes, mais Macron »

Entretien initialement publié le 30 janvier 2019 sur Le Média presse

Nicolas Framont est sociologue, auteur notamment de Les Candidats du système (Bord de l’eau, 2017), co-rédacteur en chef de la revue Frustration et membre de la France insoumise. Il revient avec nous sur le mouvement des Gilets jaunes, quelques jours avant l’Acte XII.

Le Média : Comment qualifier la sociologie des Gilets jaunes ? S’agit-il de la « France d’en bas » ?

Nicolas Framont : Le mouvement des Gilets jaunes est déjà difficile à mesurer quantitativement – une même manifestation parisienne se découpant souvent en plusieurs cortèges autonomes, les comptages sont souvent aléatoires – mais alors sociologiquement, c’est encore plus difficile. D’autant que nous avons à faire à un mouvement que l’on peut découper en strate d’engagement, des porte-paroles identifiées qui doivent désormais consacrer leur quotidien à la cause aux citoyens qui marquent leur solidarité en posant le gilet jaune sur leur tableau de bord, en passant pour les habitants d’un quartier qui se relaient – parfois jours et nuits – sur un rond-point !

On sait en tout cas ce que n’est pas la sociologie des Gilets jaunes : les cadres et professions intellectuelles supérieures sont la catégorie sociale la moins solidaire du mouvement et qui se définit le moins comme tel, selon les enquêtes – nécessairement imparfaites – publiées sur le sujet. Une tendance confirmée par la composition très nette de la première manifestation des « Foulards rouges » à Paris le 27 janvier : des retraités aisés semblaient surreprésentés, avec des slogans et des symboles clairement identifiables à la partie politisée et bourgeoise de la population française : le drapeau européen, la référence répulsive aux « populismes », l’appel à « réformer », etc.

J’ai le sentiment que c’est le premier mouvement social très clivant socialement que nous connaissons depuis des décennies. On sait bien que même Mai 68, d’abord un mouvement ouvrier massif, était aussi celui des étudiants aisés du quartier latin. Depuis le début des années 2000, les mouvements sociaux à répétition ont comporté une frange de gauche diplômée et bourgeoise. Le Parti socialiste, monopolisé par des bourgeois mais se proclamant au service des classes populaires, a longtemps permis cette « mixité sociale » des clivages politiques en France. C’est pourquoi nombre de sociologues racontaient que la lutte des classes était enterrée et que les distinctions politiques seraient affaires de « valeurs », d’identité individuelle et non plus de position sociale. Comme souvent, les chercheurs ont décrit ce qu’ils voulaient voir plutôt que ce qu’ils voyaient réellement : un pays où le niveau montant d’inégalité rendait un retour de conflictualité de classe sur le plan politique inévitable. Dès 2013, je travaillais sur une enquête dont l’un des résultats majeurs était la montée d’un sentiment d’appartenance aux classes populaires et à l’idée que la société française était caractérisée par le conflit de classe. À l’époque, ce résultat a été traité comme une anomalie statistique ! Il décrivait pourtant un phénomène qui allait nous éclater au visage quelques années plus tard…

Je ne crois pas que ce soit les Gilets jaunes qui aient rallumé la mèche de la lutte des classes. Ce moment de franche affirmation d’un antagonisme social a eu lieu pendant l’élection présidentielle de 2017 : alors que les précédents candidats victorieux jouaient la confusion des genres et des classes – Sarkozy le grand bourgeois bling-bling mais au parler populaire, Hollande qui « n’aime pas les riches » tout en renonçant à toute fiscalité offensive … – Macron s’est adressé aux classes supérieures, en assumant (presque) sa position sociale, en proposant sans fard une vision néolibérale de la vie en société. Hymne européen lors de sa victoire (quoi de plus clivant socialement que l’attachement à « la belle idée européenne » ?), mépris de classe assumé, et surtout politique uniquement destinée aux classes supérieures : le patronat choyé par les ordonnances réformant le code du travail de septembre 2017, les riches particuliers comblés par la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, les financiers par l’adoption de la « flat tax »… « ni droite ni gauche : pour les bourgeois », aurait pu être son slogan. C’est donc bien la « France d’en haut » qui a ouvert les hostilités, et une absence de réponse populaire – celle que nous connaissons maintenant – aurait représenté une capitulation collective.

Est-ce que face à cette France de l’oligarchie agressive c’est une « France d’en bas » qui se mobilise ? Cette expression, reprise par de nombreux politiques au début des années 2000, remonte vraisemblablement à Balzac qui, dans son roman les Illusions perdues désignait ainsi les habitants de la « ville basse », ouvrière et populaire par contraste avec ceux de la « ville haute », bourgeoise et prospère, en prenant pour modèle la topographie bien marquée d’Angoulême.

Pour ma part j’ai tendance à considérer que cette expression s’ajoute à la longue liste des termes visant à euphémiser la violence des clivages sociaux dans un pays capitaliste où la frange supérieure se radicalise et monopolise de plus en plus de richesses et de pouvoir. De plus, c’est une expression ambiguë, qui peut sous-entendre une certaine infériorité intrinsèque du « bas » peuple en opposition à la « hauteur » de ses « élites ». Or, quand on sait que le fait d’être riche et puissant n’a absolument rien à voir avec une quelconque grandeur d’âme ou supériorité intellectuelle naturelle – notre système éducatif élitiste et les nombreuses études sur ses mécanismes montrant bien que la bourgeoisie se reproduit avec une rigueur mathématique et que le talent n’a rien à faire là-dedans – on ne voit pas bien en quoi ce sous-entendu serait pertinent.

Le mouvement des Gilets jaunes doit nous pousser à appeler un chat un chat : en France comme dans la plupart des pays du monde, il existe des classes populaires, caractérisées par le salariat et subissant une compression de leur revenu et une dépossession des moyens d’expression politique et médiatique. Et ce processus est orchestré plus ou moins consciemment par une classe bourgeoise, laquelle est caractérisée par la possession de patrimoine, la maîtrise de notre économie et la monopolisation de la représentation politique et des canaux médiatiques.

Beaucoup parlent de « France périphérique » pour qualifier les Gilets jaunes. Qu’en pensez-vous ?

Ce concept, popularisé par le géographe Christophe Guilluy, a eu le grand mérite d’éclairer la réalité du séparatisme social des plus riches : après des décennies de gentrification des centres-villes, une même classe sociale a réussi à en faire leur monopole. Cela a sans doute des effets sur la perception que les plus aisés ont du reste de la population.

Cependant, l’idée d’une France périphérique qui se distinguerait d’une part des centres-villes bourgeois et d’autre part des « banlieues » peuplées de Français « issus de l’immigration » est quand même assez éloignée des faits. D’abord, les centres-villes restent des lieux mixtes socialement, d’ailleurs très inégalitaires. Même Paris intramuros présente des variations de revenus énormes. Ensuite les banlieues sont globalement des espaces beaucoup plus hétérogènes que dans la représentation médiatique que les autres s’en font. Enfin, les petites villes et les zones périurbaines ne sont pas des espaces uniquement populaires et « blancs ». Pour le sociologue Eric Charmes, qui a enquêté sur le sujet, ce n’est pas un espace de relégation sociale.

La spatialisation des clivages sociaux a certainement un intérêt politique : quand des Gilets jaunes parlent des ministres qui, vivant dans les beaux quartiers parisiens, sont déconnectés de la vie réelle des gens comme eux, ils illustrent assez simplement ce qu’ils dénoncent. Et c’est vrai que la localisation d’institutions comme l’Assemblée Nationale, dans le très riche 7e arrondissement de Paris, ou le lieu de résidence du président de la République, dans la très chic ville du Touquet, joue un rôle dans la perception que nos représentants ont du reste de la population. Dans leurs travaux sur la bourgeoisie, les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon ont bien montré ce que vivre dans de « beaux » et monumentaux quartiers faisait à la mentalité des jeunes bourgeois : un sentiment d’importance, de grandeur historique, de légitimité à être ce qu’on est.

Est-ce que les zones commerciales de la France périphérique produisent l’effet inverse sur les citoyens de classes populaires ? Est-ce que les banlieues pavillonnaires aux maisons identiques font se sentir bien peu de chose ? Difficile à affirmer. Je crois que l’espace joue un rôle très important dans la formation de l’identité bourgeoise, mais parmi un grand nombre de paramètres (la façon de se tenir, l’éducation suivie, les pratiques culturelles jouent aussi un grand rôle). Autrement dit, pour les bourgeois comme pour les autres, le lieu où l’on vit est un paramètre parmi d’autres de notre identité sociale. Mais je crois que c’est important d’affirmer que ce qui joue d’abord un rôle crucial dans notre place dans une société clivée ce n’est pas donc tant notre lieu de vie que la position sociale qui a fait que nous y vivons.

Après, il est certain que l’éloignement de son travail et l’usage quotidien de la voiture, qui concerne tout particulièrement les périurbains, a joué un rôle dans le déclenchement de ce mouvement, lié à la hausse de la fiscalité du carburant. Mais ça ne définit pas les raisons profondes du mouvement. Je crois que s’il n’y avait pas eu d’augmentation de la taxe sur le diesel, autre chose aurait mis le feu aux poudres. Et les flammes de la contestation auraient pris ailleurs.

Les Gilets jaunes font preuve d’une vraie défiance à l’égard des médias. Pourquoi ?

J’ai du mal à répondre à cette question, parce que quand j’allume la télé sur C dans l’air, je suis moi-même pris d’une très grande rage, tant ce qu’on y raconte est biaisé, brouillon et à mille lieues éloigné de ce que je vois autour de moi. Quand je zappe sur BFM TV, j’écoute des « experts » et une simple recherche Google me permet de constater que « l’expert économie » travaille aussi pour un think tank libéral, que tel « chroniqueur politique » était aux jeunesses UMP, que tel « expert nutrition » intervient régulièrement pour le lobby de l’agroalimentaire. Quand j’entends un éditorialiste, de type Christophe Barbier ou Nathalie Saint-Cricq, je me demande de quel droit ces gens peuvent assener de telles opinions politiques en les faisant passer pour des vérités générales. Autant dire que j’ai plutôt du mal à expliquer la difficulté qu’ont certain à comprendre cette défiance.

Mais puisque ce n’est pas évident pour tout le monde, je peux proposer quelques pistes, et conseiller la lecture des chroniques de Samuel Gontier sur le site de Telerama, les analyses d’Arrêt sur Images et celles d’Acrimed.

D’abord, toute personne qui participe à un mouvement social sait ce que « traitement objectif de l’information » veut dire. Selon les opinions politiques des journalistes traitant votre mouvement, vous pouvez vous retrouver avec un article positif, encourageant et bienveillant, ou des données biaisées, une focale sur les échecs au détriment des réussites, sur la violence au détriment du pacifisme… Puisque l’analyse d’un mouvement social est un domaine qui se prête particulièrement bien à la spéculation (car il est difficile de comprendre les intentions d’une foule, de compter le nombre d’individus qui la compose, d’évaluer l’échec ou la réussite d’une mobilisation en particulier si des objectifs n’ont pas été clairement définis…), on peut se retrouver avec une succession d’articles qui, de semaine en semaine, annoncent chaque samedi une « mobilisation en baisse » et un « mouvement qui s’essouffle », et ce, alors même que les effectifs fluctuent et remontent… La plupart des chaînes d’infos en continu nous on servit cette « analyse » depuis début décembre, et voilà où nous en sommes… Forcément la confiance dans les médias en prend un coup !

Quand on a affaire de près à des plateaux de télévision, comme l’ont fait nombre de Gilets jaunes, et que l’on voit les choses de l’intérieur, le sérieux et l’objectivité médiatique – symbolisés par l’uniformité des visages maquillés et la blancheur du mobilier – pâtissent de la réalité vécue. Pour ma part, du haut de ma petite expérience des plateaux de chaînes nationales, j’ai pu constater comment un écharpage politique entre éditorialistes et pseudos-experts aussi acharnés que n’importe quels idéologues – on le voit pendant les coupures pubs et dans les loges, quand ils se racontent leurs vacances et qu’ils crachent entre amis sur Mélenchon et les cheminots – est travesti en « discussion sur l’Actualité entre Experts Informés ». J’ai moi-même pu bénéficier de cette comédie bien huilée : bien des journalistes sont contents de pouvoir me présenter comme « Sociologue » plutôt que de préciser que je suis membre de la France insoumise. Lorsque j’ai commencé à travailler pour son groupe parlementaire, et que le conflit d’intérêt devenait donc patent, certains journalistes m’appelant pour parler abstention ou « crise de la représentation politique » balayait cette utile précision d’un revers de main… S’ils le font pour moi, pour combien d’autres « experts » et « sociologues » le font-ils ?

Lire aussi : Anne Steiner : « La seule réaction syndicale à la hauteur des événements serait un appel à la grève générale et illimitée »

Alors évidement, tout cela tient à des conditions de travail, à une urgence perpétuelle et à cette obsession de trouver quelqu’un pour « commenter l’actu » ou de « décrypter un événement » (alors qu’il s’agit le plus souvent de donner son opinion plus ou moins bien informée). On sait bien que les millionnaires qui possèdent une partie de nos médias ne sont pas obsédés par la rigueur scientifique et la profondeur des analyses, car  vite il faut conclure avant la coupure pub ! Mais les médias de service public, qui ne sont pas soumis à ces logiques, sont-ils pour autant épargnés par la défiance populaire ?

Pas vraiment, car comme les médias privés, ils sont associés – à juste titre – à un système médiatique, qui passe par une série de réflexes professionnels (parler d’analyse plutôt que d’opinion par exemple, surjouer l’objectivité, suivre « le fil de l’actu » comme si votre vie en dépendait…) et par des prismes idéologiques relativement homogènes. Évidemment, les représentants de la profession auraient beau jeu de me répondre « Pas du tout, si vous voulez une analyse de gauche, achetez Libé, si vous voulez un prisme de droite, lisez le Figaro, c’est le plu-ra-lisme », mais qui croit encore en ces fariboles ? Les clivages politiques présents dans la presse papier (à quelques exceptions près) sont les clivages politiques existant dans la bourgeoisie, entre, disons, les bourgeois culturels et les bourgeois bling-bling. Les bourgeois du XIe arrondissement de Paris et ceux de Neuilly. Des bourgeois qui n’aiment pas les mêmes pièces de théâtres mais qui s’entendent sur l’impératif de la construction européenne, les bienfaits globaux du libre-échange, l’importance vitale de la « démocratie représentative » et le danger des « populismes ». Bref, Libé et le Figaro, pour les Français populaires, c’est blanc bonnet et bonnet blanc.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il existe de nombreuses analyses très crédibles pour expliquer cela. Je donnerai pour ma part une hypothèse, qui me semble trop rarement émise. Exercer le journalisme, apparaître sur un plateau télé pour « décrypter l’info » est devenu un privilège de classe. Selon le dernier »baromètre de la diversité » du CSA, les cadres et professions intellectuelles supérieures composent 60% des personnes qui apparaissent à la télévision. Dans les fictions comme dans les programmes d’information, ils apparaissent donc 6 fois plus qu’ils ne sont numériquement dans la population française. Sans surprise, les ouvriers sont sous-représentés. Dans les écoles de journalisme, les enfants de classes supérieures sont aussi largement sur-représentés. Dans une enquête pour Frustration, je prenais un exemple connu de tous pour illustrer cette surreprésentation bourgeoise à la télévision qui mène à une surexposition du point de vue bourgeois sur les choses : la météo des neiges. De décembre à mars, presque toutes les chaînes diffusent un bulletin météorologique et d’enneigement des stations de ski françaises, comme si cette info intéresserait tout le monde. Or, deux tiers des Français ne partent pas du tout en vacances l’hiver et seulement 8 % d’entre eux vont skier au moins une fois tous les deux ans. Et la moitié des effectifs de ces vacances sont cadres ou professions intellectuelles supérieures. À qui sert donc la météo des neiges ? Il n’y a donc pas besoin d’écouter Ruth Elkrief pour voir que le point de vue bourgeois s’impose sur nos écrans.

Est-il possible de qualifier politiquement ce mouvement ?

Je crois que les mouvements sociaux liés à la lutte des classes sont peu qualifiables politiquement. Ce ne sont pas des partis politiques, ils ne sont pas entièrement cohérents (ou ne feignent pas de l’être). C’est évidemment ce que leur reprochent les tenants de l’ordre établi, qui aimeraient que le mouvement entre dans le moule de la démocratie représentative (ou oligarchie élective) et tranche sur tout un tas de questions en « jouant le jeu ». C’est aussi ce qui rebute nombre de gens « politisés » qui ne savent pas bien où situer ce mouvement et donc mesurer sa respectabilité.

Or, je crois (comme beaucoup) que le mouvement des Gilets jaunes renoue avec une conception matérialiste de la politique, qui tranche avec l’idéalisme républicain. La politique était tellement devenue le propre des classes moyennes et supérieures, ces dernières décennies, qu’elle a été définie presque comme des idéaux détachés de sa condition et de son quotidien. Avec quelque part l’idée qu’on s’engage politiquement « pour les autres », un peu comme l’action humanitaire. D’où la confusion des esprits quant à des qualificatifs politiques qui perdaient tout leur sens à force d’être déconnectés d’enjeux matériels. En ce moment, un certain nombre de bourgeois politisés veulent « unir la gauche ». Mais lequel est capable de dire ce qu’ils entendent par là ? Ce n’est plus politique, c’est familial, clanique, traditionnel…

On voit bien que l’engagement politique d’un gilet jaune qui part bloquer le rond-point près de chez lui n’a absolument rien à voir avec les motifs d’un Raphaël Glucksmann, qui souhaite unir la « gauche pro-européenne ». Les Gilets jaunes qui ont démarré le mouvement ont fait un calcul simple et bassement matériel sur l’augmentation de leur dépenses de transport. Et ont conclu que cette fiscalité allait leur rendre la vie impossible. Puis ils se sont réunis, ils se sont battu, ont construit des revendications liées au partage des richesses et au fonctionnement de la démocratie. Pourtant, la plupart des gilets jaunes refusent de se qualifier politiquement. Le parcours d’un Raphaël Glucskmann n’a évidemment rien à voir avec ça. Lui ne cesse de se qualifier politiquement mais n’évoque jamais sa condition matérielle. Pourtant, qui est le plus politique ?

Légende : Gilets jaunes à République

Crédits : Koja

David Cayla : « La suppression de l’ISF n’incite absolument pas à l’investissement »

Entretien initialement publié le 11 décembre 2018

David Cayla est enseignant-chercheur à l’université d’Angers et membre du collectif des Économistes atterrés. Il est l’auteur avec Coralie Delaume de La fin de l’Union européenne (Michalon, 2017) et de L’économie du réel, qui est paru en juin dernier (De Boeck Supérieur). Il revient avec nous sur les mesures « sociales » d’Emmanuel Macron annoncées ce 10 décembre.

Lire la suite ici

Démosthène : « Macron est désormais perçu par beaucoup comme un pervers manipulateur »

Entretien initialement publié le 5 décembre 2018

Anonyme, « bien introduit dans les différents cercles de la macronie », selon ses propres mots, Démosthène est l’auteur du Code Jupiter : Philosophie de la ruse et de la démesure, qui vient de paraître aux Éditions des Équateurs. Il y dissèque la philosophie de Macron, libérale et machiavélique. Il revient avec nous sur son pamphlet.

Lire la suite ici

Benoît Duteutre : « Il y a une contradiction fondamentale entre le néolibéralisme et certaines valeurs qu’il prétend défendre »

Interview publiée le 17 décembre 2018 sur Le Média presse

Romancier et essayiste, Benoît Duteurtre est l’auteur de près d’une trentaine d’ouvrages. Il est lauréat de plusieurs prix, dont le Médicis et celui de la nouvelle de l’Académie française. L’écrivain vient de publier cette rentrée En Marche ! Conte philosophique. Nous l’avons rencontré chez lui pour discuter de ce roman.

Lire la suite ici

Le retour de la formation militante

Article initialement publié le 3 juillet 2018 sur La Vie

De l’institut de Marion Maréchal à celui de LREM, plusieurs écoles sont créées. Les partis prennent-ils à nouveau au sérieux la formation intellectuelle ?

Lire la suite ici

Parcoursup : un cauchemar pour les élèves

Article initialement publié le 24 mai 2018 sur Le Média presse

Avec environ un lycéen ou étudiant en réorientation sur deux sans affectation, le bilan de Parcousup semble à première vue pire que celui de son prédécesseur, comme en témoigne l’exemple du lycée Voltaire, à Paris.

Le 14 juillet dernier, plus de 600.000 bacheliers ou étudiants en réorientation se connectaient sur la plateforme Admission post-bac (APB) afin d’être fixés sur leur avenir immédiat. Si 84,3% d’entre eux avaient une affectation, soit plus qu’en 2016, les Français découvraient que 92 licences, contre 78 l’année précédente, avaient recalé des candidats par tirage au sort au sort. Cette méthode avait déjà été utilisée par 169 licences lors de la première phase et 115 pour la deuxième. De bons élèves, ayant obtenu leur diplôme avec mention “très bien”, se retrouvaient sans école pour la rentrée. Le gouvernement d’Emmanuel Macron avait alors promis de mettre fin à cette insupportable injustice. Pourtant, deux jours après les premiers verdicts de Parcoursup, la plateforme s’avère être un cauchemar pour la moitié des candidats, ainsi que pour leur parents et professeurs.

Parcoursup et la sélection

Bien que ne représentant qu’une proportion très faible des candidatures, le tirage au sort a sonné le glas de la plateforme APB et avec elle, probablement, le libre accès pour les bacheliers à l’université, sans sélection. Pour résumer, en 2016 et 2017, n’étant pas autorisées à sélectionner leurs étudiants, les filières universitaires qui se retrouvaient avec plus de candidats que le nombre de places fixées ont d’abord excluent les postulants des autres académies et ceux qui n’avaient pas choisi la licence en premier vœu. Elles ont ensuite dû se résoudre à cette roulette russe. En septembre, quelques 40.000 bacheliers se retrouvaient sur le carreau. APB était alors accusée de tous les maux. « C’était une vraie galère, ça buguait tout le temps et on ne comprenait pas comment ça marchant », nous explique Anaëlle, ancienne élève en Terminale ES au lycée Voltaire, dans le XIe arrondissement de Paris, aujourd’hui en première année de licence de sociologie à Paris VII Diderot. Malgré une année scolaire avec des hauts et des bas, la jeune femme avait obtenu son premier vœu dès la première session. Ce n’était cependant pas le cas de tout le monde. « La moitié de mes potes n’avaient pas eu d’affectation à l’issu du premier tour », prévient-elle. « Une partie d’entre eux, poursuit-elle, n’ont rien eu après le deuxième tour. Résultat après avoir fait des pieds et des mains, certains n’ont pas été à la fac cette année. » N’ayant pas créé de places supplémentaires dans l’enseignement supérieur, alors que plus de lycéens se présentaient cette année au bac, en raison du baby-boom de l’an 2000, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ne promettait pas de régler ce problème. Des bacheliers resteraient sur le carreau, nous savions qu’il en serait ainsi. Mais elle promettait plus de justice, car le tirage au sort est « la négation même d’une logique de progrès et de réussite individuelle et […] un non-sens social », ainsi que plus d’efficacité, avec Parcoursup.

L’histoire d’un naufrage

La plateforme offre de nombreuses nouveautés par rapport à son prédécesseur. D’abord, les candidats, lycéens ou étudiants de moins de 26 ans voulant se réorienter en première année, ne peuvent plus déposer que 10 vœux maximum, sans compter les “vœux groupes” pour les filières sélectives (médecine, prépas, écoles d’ingénieurs, etc.), contre 24 pour APB. Cette fois, il n’était plus possible de hiérarchiser ses choix. Enfin, dernière innovation, et pas la moindre, les établissements supérieurs avaient pour mission d’établir des notes, selon leurs propres critères, à partir des dossiers des élèves, bulletins du 2ème trimestre de terminal, avec avis du conseil de classe, compris, et des éléments demandés (CV, lettre de motivation, etc.). Environ 812.00 candidats, soit plus de 6 millions de vœux, se sont cette année prêté à l’exercice. Près la moitié d’entre eux, soit 393.000 jeunes, n’avaient aucune affection le 22 mai. Un chiffre qui a diminué à 375.500 le lendemain matin, grâce aux premiers désistements. Un an auparavant, l’annonce de la présence de 156.000 élèves encore sur liste d’attente avait suscité beaucoup de réaction. « APB n’était pas la panacée, mais Parcoursup réussit à faire bien pire », nous explique Raphaëlle, professeure de Sciences économiques et sociales (SES) et professeure principale au lycée Voltaire.

Si un peu plus de la moitié des candidats ont obtenu quelque chose, il existe de grandes inégalités entre les établissements, selon leurs réputations. Dans le lycée du XIe arrondissement, deux tiers des élèves n’ont eu aucune affectation, un désastre pour certain. « Pour eux [les élèves], c’est un gros coup sur la tête, plusieurs enseignants ont reçu des coups de fil d’élèves inquiets », nous confie Montserrat, qui enseigne l’espagnol dans le même lycée et qui est également responsable d’une classe de terminale ES. « Avec APB, poursuit-elle, nous pouvions pointer du doigt un système, là on va dire que c’est de la faute des élèves s’ils n’ont rien et en plus les faire culpabiliser. » « On revient sur ces quarante dernières années et on arrête avec les études de masse », constate-t-elle.

Oulématou, dont la terminale ES se déroule pourtant honorablement, avec les compliments au premier trimestre et les encouragements au second, fait partie de ceux qui n’ont rien. « Je le vis mal, ça m’a abattue », nous confie-t-elle. « Mes parents sont choqués », poursuit-elle. Parmi ses vœux, on retrouve des licences en AES, en éco-gestion ou en psychologie, jusqu’ici pas concernées par le tirage au sort. Sa copine Aurore, en terminale dans la même filière, se dit « dans le flou ». « J’espère au moins un des facs demandées (droits et info-com), mais je ne sais vraiment pas ce que je vais faire. » « Ma mère était là quand j’ai vu mes résultats, nous raconte-t-elle, elle était dégoûtée et plus stressée que moi. » Seule du groupe d’amies à avoir obtenu un vœu positif, Joya n’est pour autant pas très satisfaite. La seule licence de droit qu’elle a obtenue se trouve… en Normandie. « J’y ai postulé au cas où je n’avais rien, mais maintenant, je ne sais pas quoi faire. » Car, les élèves qui ont été pris dans des formations ont sept jours pour confirmer, afin de désengorger les listes d’attentes. Joya n’a pas très envie de quitter la région, mais elle « n’a pas trop d’espoir pour les licences à Paris » et a peur « de ne rien avoir si elle n’accepte pas ». Car, on touche là une des aberrations du système de Parcoursup : la non-hiérarchisation des vœux.

« Un gros échec, à l’image du gouvernement »

« Certains bons élèves sont pris dans dix formations, quand d’autres n’ont rien, c’est une absurdité bureaucratique. Je suis dégoûtée et révoltée », s’indigne Raphaëlle. Même son de cloche pour Fabrice, professeur de SES et professeur principal dans le même lycée. « Du moment où certains pouvaient occuper plusieurs places, ce résultat était prévisible ». Selon lui, « cela va se décompter au fur et à mesure, avec les désistements. » En effet, contrairement à APB, la plateforme sera mise à jour quotidiennement jusqu’au 5 septembre. En attendant, une commission d’accès à l’enseignement supérieur se met en place pour ceux qui ont postulé uniquement à des formations sélectives et pour lesquelles ils n’ont reçu que des réponses négatives. A partir du 6 juillet, date des résultats du bac, cette aide sera également proposée à ceux n’ayant que des “en attentes” à tous leurs vœux. Quelques jours avant, le 26 juin, s’ouvrira une phase complémentaire qui permettra à tous les candidats de faire dix nouveaux vœux. Des quotas de boursiers et de candidats “hors secteur” permettront aussi à des candidats mal classés de remonter.

« A terme, le résultat sera à peu près le même », estime Fabrice même, s’il faut craindre « qu’un peu plus d’élèves soient à la fin laissés de côté, vu qu’il y a plus de candidats et qu’il n’y a pas plus de postes. » Mais en attendant, les élèves seront sous pression. Pour Raphaëlle, Parcoursup se distingue d’APB, parce qu’elle est « de nature à décourager les élèves. » Elle prédit que « ceux qui n’auront toujours pas de réponse à l’approche de la rentrée risquent d’abandonner et de partir travailler au McDonald’s et grossir les rangs des travailleurs précaires. »

Pour le moment, les deux principaux syndicats étudiants, la Fage et l’Unef, ont chacun lancé leur traditionnel dispositif d’accompagnement aux lycéens : sos-parcoursup.fr et sos-inscription.fr. Dans le même temps, Parcoursup « fait le jeu d’écoles privées onéreuses – bonnes ou mauvaises –, qui permettent aux élèves d’échapper à la plateforme », constate Fabrice. A ce jour, le bilan de Parcoursup est donc largement négatif. « APB avait beaucoup de défauts, mais Parcoursup est une vraie régression », analyse Anaëlle, contente d’avoir obtenu son bac l’an dernier et échappé à ce cauchemar. « C’est un gros échec, à l’image du gouvernement », conclut-elle. Pour Raphaëlle, « le problème ne sera résolu que quand le gouvernement se décidera à augmenter le nombre de places dans le supérieur. »

Photo : Site Parcoursup

Crédits : Capture d’écran

Vers un nouveau cadeau aux plus riches ?

Article initialement publié le 2 mai 2018 sur Le Média presse

Dans un entretien à paraître le 31 mai prochain aux Etats-Unis, le président de la République explique vouloir supprimer “l’exit tax”, qui a pour objectif de lutter contre l’évasion fiscale des plus riches.

Emmanuel Macron a profité de son passage outre-Atlantique pour en mettre plein la vue aux Américains. C’est ainsi qu’en plus de sa rencontre avec Donald Trump, il a fait la une de Forbes. Désirant probablement être digne du titre de « leader des marchés libres » que lui a attribué le célèbre magazine pro-business, il a annoncé son souhait de défaire un dispositif mis en place par Nicolas Sarkozy afin de lutter contre l’exil fiscal : l’exit tax.

Contre l’exil fiscal

« Elle envoie un message négatif aux entrepreneurs en France, plus qu’aux investisseurs. Pourquoi ? Parce qu’elle implique qu’au-delà d’un certain seuil, vous allez être pénalisé si vous quittez le pays. Et c’est un gros problème pour nos propres start-up, parce que la plupart d’entre elles, considérant la France moins attractive que l’étranger, ont décidé de se lancer de zéro depuis l’étranger rien que pour échapper à cette taxe », explique Macron dans l’entretien qui paraîtra le 31 mai prochain, que nos confrères du HuffPost ont traduit.

Pour rappel, l’exit tax a été créée par celui que les Pinçon-Charlot, célèbre couple de sociologues, surnommaient « le président des riches », en 2011. Mais c’est sous Hollande, en 2014, qu’elle entre en vigueur. Elle a pour but de freiner l’exil fiscal des entrepreneurs les plus fortunés. Cet impôt taxe les plus-values mobilières à 28,3% les contribuables qui transfèrent leur domicile fiscal à l’étranger. Précisons qu’il ne touche que ceux qui détiennent un patrimoine mobilier supérieur à 800 000 euros ou au moins 50% du capital d’une entreprise. Pour résumer, les citoyens aisés qui s’exilent sont contraints de payer une taxe de 23,8% sur la différence entre la valeur actuelle de leurs actions et leur valeur d’achat.

Un cadeau aux plus riches

Pour notre président de la République, cette taxe est « une grosse erreur », parce que, selon lui, elle incite de nombreux créateurs de start-up à « lancer leurs projets à l’étranger » pour l’éviter. Pour Macron, les gens doivent être « libres d’investir comme ils le souhaitent ». Il a également critiqué le faible rendement de cette taxe, qui ne rapporte que 800 millions d’euros par an. Or, nos confrères de Marianne Emmanuel Lévy et Étienne Girard ont eu la bonne idée de rapprocher cette sommes au nombre de personnes imposables : entre 200 et 400 entre 2011 et 2014. « La taxe a donc rapporté environ… deux millions d’euros par contribuable. Une vraie machine à sous d’ultra-riches », relèvent-ils très justement. Ils concluent : « Cette suppression est la conséquence prévisible de la fin de l’Impôt sur la Fortune (ISF), mise en œuvre dès son entrée à l’Elysée. Avec la fin de l’exit tax, […] le compteur des cadeaux aux bienheureux et aux biens nés se montera à 6 milliards en 2019. » Autant d’argent qui n’ira pas aux services publics ou aux plus pauvres.

Photo : Capture d’écran de la couverture de Forbes

Macron déçoit sur les banlieues

Article initialement publié le 23 mai 2018 sur Le Média presse

Le président de la République a décidé de ne pas suivre le plan Borloo, certes ambitieux, mais pas révolutionnaire, dans ses « quelques nouvelles mesures » de politique de la ville.
« Que deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent l’un un rapport, l’autre disant “on m’a remis un plan”… Ce n’est pas vrai. Cela ne marche plus comme ça », a expliqué Emmanuel Macron ce mardi 22 mai à l’Elysée devant un parterre d’invités, parmi lesquels Jean-Louis Borloo. Par-delà la polémique autour de la formulation – certains l’accusant de “communautariser” ou de “racialiser” le débat public –, le président de la République a surtout décidé de ne rien faire ou presque pour les banlieues. Alors qu’il devait, selon le Premier ministre Edouard Philippe, annoncer un « plan de mobilisation » à destination des quartiers populaires, devant des centaines de personnes, élus locaux, entrepreneurs, responsables associatifs et habitants, Macron a déçu. Seules « quelques mesures » ont été avancées, lors d’un discours où le chef de l’Etat a préféré prôner un changement de « philosophie » plutôt que d’annoncer le déblocage de crédits spécifiques. « L’idée est de donner la parole aux acteurs de terrain, de partir de la base, des habitants, plutôt que d’apporter d’en haut des solutions toutes faites. Il y a déjà beaucoup d’expériences menées dans les quartiers qui pourraient être dupliquées ailleurs », a-t-il expliqué pour justifier sa reculade.

Un plan ambitieux, mais pas révolutionnaire

Dans son rapport de 164 pages remis le 26 avril dernier, l’ex- ministre de la Cohésion sociale préconisait 19 programmes pour les 1.300 quartiers prioritaires en métropole où habitent cinq millions de personnes. Pour rappel, Borloo proposait notamment d’investir massivement dans la petite enfance, en créant, entre autres, 30.000 places en crèches dans les quartiers à horizon 2022. Il était question de créer des cités éducatives qui regrouperaient écoles et collèges dans un même lieu dans une approche globale avec « une autonomie de pédagogie et de gestion renforcée », tout en garantissant la gratuité de la cantine dans les écoles et collèges REP et REP+. Borloo y défendait également la mise en place d’un programme sur les formations en alternance et en apprentissage inspiré du modèle allemand, la fondation d’un fonds d’investissement éducatif dans les quartiers pour la réhabilitation et la construction des 300 écoles et 100 collèges les plus dégradés, l’ouverture d’une Cour d’équité territoriale, ou encore la suppression de la mécanique du financement des associations au profit d’appels à projets avec un financement pérenne sur la base de leurs actions, comme l’exigent depuis longtemps les acteurs de terrain. Rien n’était vraiment cependant proposé afin de lutter contre les discriminations ou les contrôles au faciès. Le plan Borloo était donc ambitieux, mais souffrait aussi de lacunes. Il exigeait cependant des investissements colossaux, de l’ordre de 48 milliards d’euros, sans doute trop pour Macron.

Presque tout jeté

Le président de la République a affirmé : « Nous nous devons de veiller à une politique d’émancipation: que chacun retrouve sa dignité dans la République ». Il a insisté sur les réformes – très insuffisantes – déjà engagées en matière d’éducation (dédoublement des classes en CP, généralisation de la scolarisation dès 3 ans…). Il a annoncé que 30.000 stages de 3e allaient être proposés par les entreprises et l’Etat (moitié-moitié) afin de combattre « l’assignation à résidence » des quartiers. Macron a demandé aux 120 plus grandes entreprises françaises de prendre leur part dans la lutte contre le chômage qui sévit dans les quartiers. Le résident de l’Elysée a annoncé qu’elles seraient toutes soumises à des tests anti-discrimination au rythme de 40 par an dans les trois ans.

C’est sûrement la seule proposition de Borloo vraiment reprise, Emmanuel Macron s’est dit favorable à la création en juillet d’une « instance de recours pour les habitants comme les élus » et à un « débat d’évaluation sur l’équité territoriale au Parlement ». « Il y a des territoires en grande difficulté, et ils peuvent être très urbains, très ruraux, les raisons sont profondément différentes et […] il faut une politique de droit réel, d’effectivité des droits dans ces endroits de la République », a-t-il souligné. Enfin, il a insisté sur les questions régaliennes et sécuritaires. Il promet de finaliser « d’ici juillet un plan de lutte contre le trafic de drogue » car pour l’instant « on a perdu la bataille du trafic dans de nombreuses cités ». Macron s’est alors prononcé pour « un plan de mobilisation générale » contre ces « trafics internationaux » qui « conduisent aux pires des crimes ». Le président demeure, au passage, fermement opposé à la légalisation du cannabis.

Le 14 novembre dernier, lors d’un discours à Tourcoing (Nord), Macron appelait à « une mobilisation nationale pour les villes et les quartiers ». Finalement, comme l’égalité femmes-hommes, les banlieues ne seront pas la priorité du quinquennat.

Photo : Emmanuel Macron lors de sa présentation ce 22 mai

Crédits : Capture d’écran France info

Jérôme Fourquet : « La victoire de Macron a provoqué un phénomène de recomposition politique »

Entretien initialement publié sur le site Le Média presse

Jérôme Fourquet est directeur du département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’institut de sondage IFOP. Auteur de plusieurs ouvrages, ses travaux portent notamment sur les comportements politiques et électoraux. Il vient de publier aux éditions sur Cerf « Le nouveau clivage ». Rencontre.
Dans un article de L’Internationale situationniste daté de janvier 1963, Guy Debord écrivait : « Suivant la réalité qui s’esquisse actuellement, on pourra considérer comme prolétaires les gens qui n’ont aucune possibilité de modifier l’espace-temps social que la société leur alloue à consommer […]. Les dirigeants sont ceux qui organisent cet espace-temps ou ont une marge de choix personnel. » L’étude des résultats électoraux de ses dernières années dans les démocraties libérales occidentales semblent donner raison au père du situationnisme. Du Brexit à l’élection de Donald Trump une “fracture sociale” semble se dessiner entre des classes supérieures mobiles et bénéficiaires de la mondialisation néolibérale, vivant dans les métropoles, et des classes populaires sédentaires, habitant dans des zones précaires. C’est ce que constate Jérôme Fourquet dans Le nouveau clivage, où il analyse comment les fractures sociales et territoriales déterminent de nouveaux comportements électoraux, au-delà du traditionnel clivage gauche-droite.

Le Média : Selon vous, un nouveau clivage traverse les démocraties occidentales, de la France aux Etats-Unis, en passant par la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Autriche. Il oppose d’un côté, les tenants de la mondialisation néolibérale et du multiculturalisme, appartenant généralement aux classes favorisées, et de l’autre les défenseurs de la nation et des frontières. Pourtant, quand on regarde l’élection au premier tour de la présidentielle de 2017, nous voyons quatre candidats au coude-à-coude, entre 19,5 % et 24 %. N’assistons-nous pas plutôt à une partition de la France en quatre pôles politiques ?

Jérôme Fourquet : Le premier tour de la présidentielle a offert un bon panorama du paysage électoral français avec quatre candidats pesant chacun autour de 20%. De mon point de vue Fillon et Mélenchon incarnent le clivage gauche/droite traditionnel et Macron et Le Pen ce nouveau clivage. Ce dernier, qu’on pourrait appeler pour simplifier “ouvert/fermé”, n’a donc pas effacé le clivage historique mais l’a pour la première fois supplanté. Ce clivage ouvert/fermé avait déjà fait son apparition il y a 25 ans lors du référendum sur Maastricht. On l’avait retrouvé en 2005 lors du vote sur le TCE. Mais hormis ces scrutins portant sur l’Europe et dont la nature référendaire permettait d’amalgamer dans le camp du “oui” et dans celui du “non” des électorats composites, jamais ce clivage n’avait pu émerger de manière structurante lors des autres élections et notamment présidentielles où la logique gauche/droite demeurait dominante. Cette dernière n’a pas disparu, mais pour la première fois les deux finalistes de la présidentielle ont été des représentants de ce nouveau clivage. Alors que jusqu’à présent le mode de scrutin jouait en faveur de la persistance du clivage gauche/droite, le fait que Macron et Le Pen parviennent tous deux en finale a obligé les électorats des autres candidats à se positionner lors du tour décisif selon cette nouvelle logique. Une nette majorité des électeurs “orphelins” (c’est-à-dire des électeurs ayant voté pour les candidats éliminés au premier tour) s’est reportée sur Macron, mais une part significative de l’électorat Fillon et une frange de l’électorat Mélenchon ont opté pour Le Pen. Le second tour ne s’est plus organisé selon une logique de blocs gauche/droite mais en bonne partie sur le clivage ouvert/fermé.

Vous voyez dans Emmanuel Macron et Marine Le Pen les incarnations parfaites de ce clivage. Pourtant, alors que le référendum sur le TCE de 2005 nous a prouvé que les opposants à la mondialisation sont majoritaires (54,67 % de “non”), la candidate d’extrême droite s’est faite écraser au second tour. Comment l’expliquez-vous ?

Si les deux finalistes incarnent assez parfaitement cette nouvelle ligne de faille (que l’on a retrouvée aux Etats-Unis avec le duel Clinton-Bush ou en Grande-Bretagne lors du Brexit), le deuxième tour de la présidentielle revêtait néanmoins également une dimension de référendum anti-Le Pen assez marquée, ce qui a abouti à une expression imparfaite du niveau clivage. Le rêve de Marine Le Pen et de ses conseillers était de rejouer le référendum de 2005 et de fédérer derrière elle l’ensemble de la “France du non”. C’est d’ailleurs dans cette optique que sa campagne d’entre deux tours a ciblé en priorité les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Or seule une minorité d’entre eux (entre 10% et 15% selon les différents instituts de sondages) a voté pour la candidate du FN, le reste se répartissant entre un vote Macron et l’abstention ou le vote blanc.

La défaite de Marine Le Pen et le départ des frères Philippot du FN semblent réorienter ce parti vers l’extrême droite plus classique : national, libérale et identitaire. Dans le même temps, le thème de l’union des droites revient souvent sur la table. N’est-ce pas une preuve de la persistance du clivage gauche-droite ?

Nous sommes en fait à un moment charnière où, si l’on utilise une métaphore géologique, une plaque tectonique est en train progressivement de passer sous une autre. Ce processus de subduction ne s’effectue pas sans à coups et le mouvement n’est pas encore arrivé à son terme mais la dynamique me semble enclenchée. Edouard Philippe a employé lors du congrès de La République en Marche, il y a quelques mois, la formule « La poutre travaille encore ». Je pense que ce diagnostic est assez juste. La victoire de Macron a en effet provoqué (ou accéléré) un phénomène de recomposition politique majeur. Autour de lui s’est soudé ce que l’on pourrait appeler un bloc ”orléaniste 2.0” allant de Jean-Yves Le Drian et Manuel Valls à Bruno Le Maire en passant par François Bayrou et Daniel Cohn-Bendit. A ce bloc central, Macron et Philippe veulent agréger l’ensemble de la droite modérée (l’UDI et les juppéistes). L’agenda des réformes de ce début de quinquennat (réforme du code du travail, suppression de l’ISF, réforme de la SNCF) et les décisions récentes d’évacuation de la ZAD et des campus s’inscrivent dans cet objectif d’élargir à droite la majorité présidentielle, en cantonnant Wauquiez à la partie la plus droitière des Républicains.

Si l’on regarde les chiffres, on voit comment l’équilibre des forces a été modifiée ce qui bouleverse en profondeur la logique politique. On est passé d’une situation où deux blocs dominaient et organisaient le paysage. Il s’agissait du PS et des Républicains. Dans cette configuration, le centre existait, mais il était nettement dominé et dans un schéma d’élections à deux tours, il (Bayrou depuis plusieurs élections) jouait systématiquement la force d’appoint. Aujourd’hui, le bloc central macronien est devenu dominant (avec un poids oscillant entre 25% et 30%). La gauche et la droite de gouvernement n’ont pas disparu (et le clivage gauche/droite également), mais elles sont désormais réduites à la portion congrue (entre 10 et 15% des voix chacune, soit à peu près ce que pesait l’UDF puis le Modem). Coincés entre ce large bloc central (qui leur a happé de nombreux électeurs) et un pôle radical (France insoumise à gauche et le FN à droite), PS et Républicains sont aujourd’hui relégués en seconde division. Wauquiez a bien perçu que toute la frange modérée des Républicains (sans même parler des Constructifs et des centristes) était de plus en plus aimantée par le macronisme, les Européennes devant acter son entrée dans l’orbite présidentielle. S’il veut espérer jouer la finale en 2017, le leader des Républicains n’a donc d’autre choix, pour l’instant, que de tenter d’arracher au FN toute une partie de son électorat. Je ne crois pas du tout à un scénario d’une union des droites (au sens d’un accord d’appareils) mais plutôt à une lutte à mort entre Laurent Wauquiez et Marine puis sans doute Marion Le Pen pour devenir la force dominante d’un espace droitier, pouvant rivaliser numériquement avec le bloc macronien.

On le voit, « la poutre travaille donc bien encore » et si l’opposition gauche/droite n’a pas disparu, le paysage électoral qui se dessinera à la suite des élections européennes sera très différent de celui qui prévalait il y a encore un an et demi.

Votre livre montre que les électeurs d’Emmanuel Macron sont plutôt des habitants des métropoles ou d’enclaves aisées, appartenant aux classes diplômées et promoteurs d’un monde “ouvert”. Plutôt optimistes, ils ne s’inquiètent pas de l’immigration. Comment alors expliquer le raidissement du Président sur la question migratoire ?

De par son parcours et sa formation intellectuelle, Emmanuel Macron ressemble assez à son électorat de premier tour. Il est à l’aise avec un monde ouvert, qui pour lui est plus synonyme d’opportunités que de menaces ou de contraintes. Son logiciel alloue à l’économique une place centrale et les questions identitaires et migratoires apparaissaient comme secondaires. Dans l’enquête électorale de l’IFOP réalisée lors du premier tour, il est ainsi frappant de constater que l’item de la lutte contre l’immigration clandestine arrivait en dernière place (parmi une liste de 14 items !) dans la hiérarchie des préoccupations des électeurs d’Emmanuel Macron.

Or l’accession du candidat d’En Marche ! à la présidence de la République l’a manifestement contraint à adapter sa grille de lecture. Qu’il s’agisse d’antiterrorisme ou de flux migratoires, on a le sentiment que le locataire de Beauvau, Gérard Collomb, aux premières loges pour appréhender l’ampleur et l’acuité de ces défis, a briefé son jeune patron.

Enfin, votre livre montre l’importance de l’appartenance ethnico-culturelle. Le rejet de l’immigration et du multiculturalisme, ainsi que la peur des minorités a joué un rôle important dans le vote pour Trump, pour le FN ou en faveur du Brexit. Les minorités, pourtant souvent précaires elles-aussi, ont plus tendance à voter avec les tenants de l’ouverture et du néolibéralisme. Des personnalités comme Bernie Sanders ou Jean-Luc Mélenchon, critiques du libre-échange et refusant tout identitarisme ont-elles des chances de renverser la donne ? Un “populisme de gauche” pourrait-il réunir les classes populaires, par-delà les appartenances ethnico-culturelles ?

On a vu en Espagne que l’offre d’un “populisme de gauche” a permis à Podemos de réaliser un score important. Mais il faut rappeler que le contexte espagnol était très particulier avec une crise ayant très durement frappée la population. Autre différence majeure : la mémoire de l’expérience franquiste a, pour l’heure, bloqué tout développement d’un courant national-populiste. La situation politique et sociologique est toute autre de ce côté des Pyrénées. Le FN, en dépit de l’affaiblissement de l’image de Marine Le Pen, est durablement enraciné dans notre pays et notamment dans toute une partie des catégories populaires. Si ces milieux peuvent être sensibles à un discours social et à un “populisme de gauche” fustigeant “l’oligarchie financière”, la société française est désormais de facto une société muticulturelle. Hors le muticulturalisme génère une insécurité culturelle principalement dans les quartiers et les catégories populaires. Sans prise en compte de cette dimension, il sera très difficile aux tenants français d’un “populisme de gauche” de rallier une majorité de l’électorat populaire.

Crédit photo : Public Domain