Archives du mot-clé Marcel Gauchet

Marcel Gauchet : « Le non-conformisme est globalement passé du côté conservateur »

Entretien publié initialement le 14 octobre 2015 sur Le Comptoir

Philosophe et historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), le rédacteur en chef de la revue “Le Débat est un intellectuel complexe. Penseur de gauche, héritier du libéral Raymond Aron, critique du marxisme, ainsi que de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault – idoles de la gauche contemporaine –, Marcel Gauchet ne peut pas faire l’unanimité. Radicalement anticapitalistes, au Comptoir, nous ne nous retrouvons pas dans le réformisme du philosophe. Pourtant, nous considérons que le père de l’expression « fracture sociale » fait partie des intellectuels qui aident à mieux comprendre notre époque, notamment grâce à l’analyse de la modernité développée dans “Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion” (Gallimard, 1985). Nous avons mis de côté nos divergences pour discuter avec lui de sujets aussi vastes que la démocratie représentative, la modernité, les droits de l’Homme, ou encore le libéralisme.

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29 mai 2005: le «non» au Traité Constitutionnel, l’occasion manquée de la gauche de la gauche

Tribune initialement publiée le 29 mai 2015 sur Le Figaro Vox

Il y a dix ans, la gauche de la gauche s’était rassemblée pour dire non au Traité constitutionnel européen mais n’a pas su transformer l’essai. Kévin Boucaud Victoire analyse les raisons de cet échec.

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Le « charlisme », nouveau mythe républicain ?

Article initialement publié le 19 mai 2015 sur Le Comptoir

Quatre mois après le rassemblement du 11 janvier, est-il possible de ne pas être Charlie ? Rien n’est moins sûr, comme le prouvent les réactions démesurées – et la tribune d’excommunication du Premier ministre Manuel Valls – qui ont suivi la sortie du dernier essai un brin provocateur de l’anthropologue Emmanuel Todd intitulé « Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse » (Seuil). Une situation qui nous amène à nous demander si l’unanimisme autour du « charlisme », entendu comme la défense de la liberté d’expression et de la laïcité, ne tient pas du religieux.

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Vous avez dit « gauche réac » ?

Article publié le 6 mai 2015 sur Le Comptoir

La gauche n’a jamais semblé aussi divisée qu’aujourd’hui. Si certains se revendiquent clairement progressistes, d’autres, plus réticents, se questionnent davantage et s’attirent les foudres des premiers. Les insultes fusent, les coups bas pleuvent. Parmi ces attaques, le terme de « réactionnaire » revient quasi automatiquement pour qualifier quiconque ne s’inscrit pas dans ce mouvement en avant. Alors, existe-t-elle réellement, cette « gauche réac », ou n’est-elle qu’un fantasme ?

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Coralie Delaume autopsie le rêve européen

Blogueuse politique officiant sur divers supports, notamment sur L’Arène Nue qu’elle a créé en 2011, Coralie Delaume sort son premier ouvrage intitulé Europe, les États Désunis. En pleine crise prolongée des institutions européennes – autant sur le plan politique que sur le plan économique – et à peine deux mois avant les élections européennes, ce réquisitoire peut s’avérer très utile.

Le livre est organisé en deux grandes parties. La première concerne le trio institutionnel moteur de l’Union européenne, à savoir : la Commission européenne, la Banque Centrale Européenne (BCE) et la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). La seconde est une réflexion sur l’état actuel de l’Europe.

L’analyse institutionnelle permet de situer le cadre idéologique de la construction européenne. Née du discrédit jeté sur les nations et les peuples par les deux guerres mondiales, celle-ci repose sur deux piliers : le juridisme et l’économicisme.  Le problème provient du fait que cette création post-nationale et économique, en plus d’être profondément libérale,  implique des sacrifices démocratiques. Afin d’appuyer son argumentation, Coralie n’hésite pas à détricoter le « mythe Monnet » – mythe plus présent dans la tête de nos élites que dans l’esprit des gens ordinaires – ou à recontextualiser le rêve européen de Victor Hugo. Dans cette optique, la Commission européenne n’est qu’un « bastion du techno-atlantisme », à l’image de ce que Jean Monnet avait prévu, qui a pour mission principale de se substituer aux États. Cet organisme qui échappe à la démocratie (ou aux démocraties européennes pour être plus précis) concentre en son sein les pouvoirs législatif et exécutif – Montesquieu[i] et Rousseau[ii] doivent se retourner dans leur tombe. De son côté, la BCE indépendante des États – comme le veut l’orthodoxie libérale et surtout l’ordolibéralisme allemand, père de l’économicisme européen – est aussi très sévèrement critiquée par l’auteur. L’économicisme européen illustre parfaitement un paradoxe mis en évidence par Béatrice Hibou : « Plus on déréglemente, plus on bureaucratise »[iii]. La bureaucratisation de l’Union est mise en place par la CJUE. Coralie explique à juste titre qu’un excès de législation répond au défaut de législateur né de l’impuissance du Parlement européen. Une législation qui s’est mise en place par « petits pas » et qui est progressivement devenue supérieure au droit national[iv]. Celle-ci est comparée à une forme juridique du slogan TINA[v] si cher à Margaret Thatcher. De plus en plus complexe, elle a fini par transformer notre Constitution en vrai « chewing-gum » (5 amendements depuis 1992) à coups de traités mais aussi de droits dérivés.

Outre ce constat institutionnel et idéologique, le livre dresse un « beau » portrait de ce qu’est aujourd’hui l’Union européenne de façon plus concrète. Le problème du leadership européen, dont l’Allemagne ne veut pas réellement est d’abord évoqué. Pourtant, le moteur de l’Union se trouve aujourd’hui bien outre-Rhin. Le souci est que les Allemands veulent les avantages européens – un grand marché économique – mais ne veulent pas les inconvénients – la peur de « payer » pour les autres, pourtant nécessaire dans l’optique d’un saut fédéraliste. Les conséquences économiques de la monnaie unique et l’installation d’une Europe à deux vitesses sont parfaitement analyser. Au « Sud » les PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne : un acronyme méprisant et méprisable qui en dit très long sur la solidarité européenne) auxquels nous pouvons ajouter la France se débattent tant bien que mal pour enrayer le chômage (plus de 25% de la population active en Espagne ou en Grèce !!), alors que le « Nord » composé de l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas (même s’ils sont actuellement en difficulté à cause de l’éclatement d’une bulle immobilière) et la Finlande se porte relativement mieux. Ces conséquences économiques ne sont pas sans conséquences politiques, loin de là. Aujourd’hui, cette Europe qui bénéficie d’un culte quasi-religieux de la part de nos élites politiques, économiques et intellectuelles divise les peuples. En résulte une montée des nationalismes, des mouvements comme le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo ou encore des séparatismes au sein des régions riches coincés chez les pauvres (comme la Catalogne en Espagne). En France, l’Union européenne rime de plus en plus avec pessimisme, désillusion politique – surtout depuis que nos dirigeants se sont assis sur la volonté populaire et le rejet du TCE en 2005 – et montée du Front national, sorte de parti parasite qui grignote les miettes (de plus en plus importantes) qu’on lui laisse.

Brillant, instructif, nourri de références (de Marcel Gauchet à Patrick Artus en passant par Frédéric Lordon, Cornelius Castoriadis, George Orwell ou encore Jean-Michel Quatrepoint) et souvent drôle – l’ironie étant, dans ce livre comme ailleurs, un trait marquant de la plume de l’auteur – cet ouvrage   constitue une très bonne sortie de ce début d’année. La charge portée par Coralie Delaume contre cette Union européenne supranationale et néolibérale est sérieuse. Les critiques que je pourrais formuler à l’égard de ce livre sont très minimes. La première serait sur l’utilisation du mot « populisme » pour caractériser la montée du néonationalisme.  Certes, l’auteur met des guillemets pour parler du populisme, mais elle participe quand même au discrédit jeté par nos élites sur le concept de « peuple » et contribue à faire oublier que le populisme est à l’origine un mouvement entendant adapter le socialisme aux réalités populaires[vi]. Il serait certainement plus judicieux de parler de « national-populisme », forme dégénérée du populisme (et du socialisme selon Jean Jaurès[vii]) qui exacerbe le peuple au sens national et l’essentialise. La seconde critique concerne les raisons de l’absence de débats sur l’euro. Si Coralie a raison de montrer que nos élites politiques font preuves d’une irrationalité criante pour éviter toute remise en question de la monnaie unique, elle oublie aussi d’expliquer que c’est aussi parce qu’elle correspond à des intérêts de classes (même si la question est très brièvement soulevée). La construction européenne doit en partie beaucoup aux lobbys de la classe dominante (au premier rang duquel l’European Round Table, grand lobby industriel) qui a tout intérêt à la sauver quitte à mettre à la rue tous les peuples européens.

Mais si la perfection n’est pas de ce monde, cet ouvrage est  à se procurer d’urgence par tous ceux qui défendent l’idée d’une Europe des nations, dont on oublie trop souvent qu’elle correspond à l’idéal internationaliste de Jaurès[viii].

Boîte noire :


[i] Voir De l’Esprit des lois (1748)

[ii] Voir Du Contrat Social (1762)

[iii] La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, 2012

[iv] L’auteur rappelle que cette supériorité a commencé en 1964 avec l’arrêt Costa contre ENEL

[v] Acronyme de « There is no alternative » ou en français « Il n’y a pas d’autre alternative » signifiant qu’il n’y a pas d’autre option possible que le capitalisme néolibéral mondialisé.

[vi] C’était en tout cas la préoccupation du mouvement Narodniki russe du XIXème siècle qui a créé en 1901 le Parti socialiste révolutionnaire (SR), tout comme du People’s party américain qui s’est également constitué au XIXème siècle.

[vii] A propos du général Boulanger dans L’Idéal de justice

[viii] Lire à ce sujet le chapitre X de L’Armée Nouvelle de Jaurès (1911)