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Suffrage féminin et lutte de classes, par Rosa Luxemburg

De Flora Tristan à Angela Davis, en passant par Louise Michel et Emma Goldman, le féminisme occupe une place non négligeable dans la tradition socialiste. Rosa Luxemburg est sans nul doute celle qui a su le mieux allier marxisme et émancipation des femmes. Liant féminisme et lutte de classes – ce qui explique qu’elle n’a jamais de mots assez dures pour « les femmes de la bourgeoisie » – l’allemande se place dans une perspective révolutionnaire et prolétarienne. Dans le texte qui suit, publié en mai 1912, la cofondatrice de la Ligue spartakiste évoque la question du suffrage féminin.

Rosa Luxemburg
Rosa Luxemburg

« Pourquoi n’y a-t-il pas d’organisation pour les femmes travailleuses en Allemagne ? Pourquoi entendons-nous si peu parler du mouvement des femmes travailleuses ? » C’est par ces questions qu’Emma Ihrer, l’une des fondatrices du mouvement des femmes prolétariennes d’Allemagne, introduisait son essai de 1898 : Les femmes travailleuses dans la lutte des classes. A peine quatorze ans se sont écoulés depuis, qui ont vu une grande expansion du mouvement des femmes prolétariennes. Plus de cent cinquante mille femmes sont organisées dans des syndicats et sont parmi les contingents les plus actifs des luttes économiques du prolétariat. Plusieurs milliers de femmes politiquement organisées ont rallié la bannière du prolétariat: le journal des femmes sociales-démocrates [Die Gleichheit (« L’Egalité »), édité par Clara Zetkin], compte plus de cent mille abonné-e-s ; le suffrage féminin est l’un des points vitaux du programme de la social-démocratie.

L’importance du suffrage féminin

De tels faits pourraient précisément nous inciter à sous-estimer l’importance de la lutte pour le suffrage féminin. Nous pourrions penser : même sans l’égalité des droits politiques des femmes, nous avons réalisé d’énormes progrès dans l’éducation et l’organisation des femmes. Ainsi, le suffrage féminin n’est pas une nécessité urgente. Mais si nous pensions cela, nous serions dans l’erreur. Durant ces quinze dernières années, l’éveil politique et syndical des masses du prolétariat féminin a été magnifique. Mais cela n’a été possible, que parce que les femmes travailleuses ont pris un intérêt vivant dans les combats politiques et parlementaires de leur classe, en dépit du fait qu’elles étaient privées de leurs droits. Jusqu’ici, les femmes travailleuses ont été soutenues par le suffrage masculin, auquel elles ont bien sûr pris part, certes indirectement seulement. Les larges masses des hommes et des femmes de la classe ouvrière considèrent déjà les campagnes électorales comme des causes communes. Dans tous les meetings électoraux sociaux-démocrates, les femmes constituent une large fraction des participants, parfois la majorité. Elles sont toujours intéressées et passionnément concernées.

Dans tous les districts où existe une organisation social-démocrate sérieuse, les femmes soutiennent la campagne. Et ce sont les femmes qui font un travail inestimable en distribuant des tracts et en gagnant des abonnements à la presse social-démocrate, cette arme si importante de ces campagnes.

« Dans tous les cas, la classe ouvrière a toujours dû prouver sa maturité pour la liberté politique par un soulèvement révolutionnaire de masse victorieux. »

L’Etat capitaliste n’a pas été en mesure d’empêcher les femmes de porter ces charges et ces efforts de la vie politique. Pas à pas, l’Etat a été en effet forcé de leur allouer et de leur garantir cette possibilité en leur accordant les droits syndicaux et de réunion. Seul le dernier des droits politiques est dénié aux femmes : le droit de voter, de décider directement des représentant-e-s du peuple dans les domaines législatif et exécutif, de devenir un membre élude tels corps. Mais ici, comme dans tous les autres domaines de la vie sociale, le mot d’ordre est : « ne pas laisser les choses progresser ! » Mais les choses ont commencé à avancer. L’Etat actuel a reculé devant les femmes du prolétariat lorsqu’il les a admises dans les réunions publiques, dans les associations politiques. Et l’Etat n’a pas concédé cela volontairement, mais par nécessité, sous la pression irrésistible de la classe ouvrière montante. Ce n’est pas moins la poussée passionnée des femmes prolétaires elles- mêmes, qui a forcé l’Etat policier germano-prussien à (…) ouvrir grandes les portes des organisations politiques aux femmes.

Ceci a réellement mis la machine en mouvement. Les progrès irrésistibles de la lutte des classes prolétarienne ont jeté les droits des femmes travailleuses dans le tourbillon de la vie politique. Utilisant leurs droits syndicaux et de réunion, les femmes prolétariennes ont pris une part très active dans la vie parlementaire et dans les campagnes électorales. C’est seulement la conséquence inévitable, le résultat logique du mouvement, qui fait qu’aujourd’hui, des millions de femmes prolétaires crient avec défiance et pleine d’assurance en elles-mêmes: gagnons le suffrage

Il était une fois, dans l’ère idyllique de l’absolutisme d’avant-1848, une classe ouvrière qui n’était pas réputée « assez mûre » pour exercer les droits politiques. Cela ne peut pas être dit des femmes travailleuses d’aujourd’hui, parce qu’elles ont démontré leur maturité politique.

Tout le monde sait que sans elles, sans l’aide enthousiaste des femmes prolétariennes, le part social-démocrate n’aurait pas remporté la victoire glorieuse du 12 janvier [1912], en obtenant 4,25 millions de voix. Dans tous les cas, la classe ouvrière a toujours dû prouver sa maturité pour la liberté politique par un soulèvement révolutionnaire de masse victorieux. C’est seulement lorsque le Droit Divin sur le trône et les meilleurs et les plus nobles des hommes de la nation ont senti le poing calleux du prolétariat sur leurs faces et son genou sur leurs poitrines, qu’ils ont fait confiance dans la « maturité » politique du peuple, et cela, ils l’ont réalisé à la vitesse de la lumière. Aujourd’hui, c’est au tour des femmes du prolétariat de rendre l’Etat capitaliste conscient de leur maturité. Cela est le fait d’un mouvement de masse constant et puissant, qui doit user de tous les moyens de lutte et de pression du prolétariat.

« Le suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du prolétariat. »

Le suffrage féminin, c’est le but. Mais le mouvement de masse qui pourra l’obtenir n’est pas que l’affaire des femmes, mais une préoccupation de classe commune des femmes et des hommes du prolétariat. Le manque actuel de droits pour les femmes en Allemagne n’est qu’un maillon de la chaîne qui entrave la vie du peuple. Et il est intimement lié à cet autre pilier de la réaction: la monarchie. Dans ce pays avancé, hautement industrialisé, qu’est l’Allemagne du XXème siècle, au temps de l’électricité et de l’aviation, l’absence de droits politiques pour les femmes est autant une séquelle réactionnaire du passé mort, que l’est le règne de Droit Divin sur le trône. Les deux phénomènes : le pouvoir politique dirigeant comme instrument du ciel et les femmes, cloîtrées au foyer, non concernées par les tempêtes de la vie publique, par la politique et la lutte des classes – les deux phénomènes plongent leurs racines dans les circonstances obsolètes du passé, de l’époque du servage à la campagne et des guildes dans les villes. En ces temps- là, ils étaient justifiables et nécessaires. Mais autant la monarchie, que l’absence de droits pour les femmes, ont été déracinées par le développement du capitalisme moderne et sont devenues des caricatures ridicules. Elles se perpétuent dans notre société moderne, non pas parce que les gens ont négligé de les abolir, non pas à cause de la persistance et de l’inertie des circonstances. Non ils existent encore parce que les deux – la monarchie et les femmes sans droits – sont devenues de puissants outils au service d’intérêts hostiles à ceux du peuple. Les pires défenseurs et les plus brutaux de l’exploitation et de l’asservissement du prolétariat sont retranchés derrière le trône et l’autel, comme derrière l’asservissement politique des femmes. La monarchie et le manque de droits des femmes sont devenus les plus importants instruments de la classe capitaliste régnante.

Femmes bourgeoises vs femmes prolétaires

« A part quelques-unes d’entre elles, qui exercent une activité ou une profession, les femmes de la bourgeoisie ne participent pas à la production sociale. Elles ne sont rien d’autre que des consommatrices de la plus-value que leurs hommes extorquent au prolétariat. Elles sont les parasites des parasites du corps social. »

En vérité, notre Etat est intéressé à priver de vote les femmes travailleuses et elles seules. Il craint à juste titre qu’elles n’en viennent à menacer les institutions traditionnelles du pouvoir de classe, par exemple le militarisme (duquel aucune femme travailleuse consciente ne peut s’empêcher d’être une ennemie mortelle), la monarchie, le vol systématique que représentent les droits et taxes sur l’alimentation, etc. Le suffrage féminin est une horreur et une abomination pour l’Etat capitaliste actuel, parce que derrière lui se tiennent des millions de femmes qui renforceraient l’ennemi de l’intérieur, c’est-à-dire la social-démocratie révolutionnaire. S’il n’était question que du vote des femmes bourgeoises, l’Etat capitaliste ne pourrait en attendre rien d’autre qu’un soutien effectif à la réaction. Nombre de ces femmes bourgeoises qui agissent comme des lionnes dans la lutte contre les « prérogatives masculines » marcheraient comme des brebis dociles dans le camp de la réaction conservatrice et cléricale si elles avaient le droit de vote. En fait, elles seraient certainement bien plus réactionnaires que la fraction masculine de leur classe.

A part quelques-unes d’entre elles, qui exercent une activité ou une profession, les femmes de la bourgeoisie ne participent pas à la production sociale. Elles ne sont rien d’autre que des consommatrices de la plus-value que leurs hommes extorquent au prolétariat. Elles sont les parasites des parasites du corps social. Et les consommateurs sont généralement plus frénétiques et cruels pour défendre leurs « droits » à une vie parasitaire, que l’agent direct du pouvoir et de l’exploitation de classe. L’histoire de toutes les grandes luttes révolutionnaire confirme cela de façon effrayante. Prenez la grande Révolution Française. Après la chute des Jacobins, lorsque Robespierre fut conduit enchaîné sur son lieu d’exécution, les putains dénudées d’une bourgeoisie ivre de victoire, dansaient de joie, sans vergogne, autour du héros déchu de la Révolution. Et en 1871, à Paris, lorsque la Commune héroïque des travailleuses a été défaite par les mitrailleuses, les femmes bourgeoises déchaînées ont dépassé en bestialité leurs hommes dans leur revanche sanglante contre le prolétariat vaincu. Les femmes des classes détentrices de la propriété défendront toujours fanatiquement l’exploitation et l’asservissement du peuple travailleur, duquel elles reçoivent indirectement les moyens de leur existence socialement inutile.

Économiquement et socialement, les femmes des classes exploiteuses ne sont pas un segment indépendant de la population. Leur unique fonction sociale, c’est d’être les instruments de la reproduction naturelle des classes dominantes. A l’opposé, les femmes du prolétariat sont économiquement indépendantes. Elles sont productives pour la société, comme les hommes.

Par cela, je n’ai pas en vue leur investissement dans l’éducation des enfants ou leur travail domestique, par lesquels elles aident les hommes à subvenir aux besoins de leur famille avec des salaires insuffisants. Ce type de travail n’est pas productif, au sens de l’économie capitaliste actuelle, quelle que soit l’ampleur des sacrifices et de l’énergie consentis, de même que les milliers de petits efforts cumulés. Ce n’est que l’affaire privée du travailleur, son bonheur et sa bénédiction, qui pour cela n’existe pas aux yeux de la société actuelle. Aussi longtemps que le capitalisme et le salariat dominent, le seul type de travail considéré comme productif est celui qui génère de la plus- value, du profit capitaliste. De ce point de vue, la danseuse de music-hall, dont les jambes suintent le profit dans les poches de son employeur est une travailleuse productive, tandis que toutes les peines des femmes et des mères prolétariennes entre les quatre murs de leurs foyers sont considérées comme improductives.

Cela paraît brutal et absurde, mais reflète exactement la brutalité et l’absurdité de notre économie capitaliste actuelle. Le fait de voir cette cruelle réalité clairement et distinctement voilà la première tâche des femmes du prolétariat.

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La marche des femmes sur Versailles en 1789

 

L’exploitation des femmes prolétaires

En effet, précisément de ce point de vue, la revendication des femmes prolétariennes de droits politiques égaux est ancrée dans une base économique ferme. Aujourd’hui, des millions de femmes travailleuses créent du profit capitaliste, tout comme les hommes – dans les usines les ateliers, les fermes, le bâtiment, les bureaux, les magasins. Elles sont pour cela productives dans la société actuelle, dans le strict sens scientifique du terme. Chaque jour élargit le champ d’exploitation des femmes par le capitalisme. Chaque nouveau progrès de l’industrie ou de la technologie crée de nouvelles places pour les femmes dans le processus du profit capitaliste. Ainsi, chaque jour et chaque pas en avant du progrès industriel ajoutent une nouvelle pierre aux fondations solides des droits politiques égaux pour les femmes. L’éducation des femmes et leur intelligence sont devenues nécessaires à la machine économique elle-même. La femme étroitement recluse dans le « cercle familial » patriarcal répond aussi peu aux attentes du commerce et de l’industrie, qu’à ceux de la politique. C’est vrai, l’Etat capitaliste a négligé son devoir, même dans ce domaine. Jusqu’ici, ce sont les syndicats et les organisations sociales-démocrates qui ont fait le plus pour éveiller l’esprit et le sens moral des femmes.

« Nous ne dépendons pas de la justice de la classe dominante, mais seulement de la force révolutionnaire de la classe ouvrière et du cours du développement social qui prépare les bases de son pouvoir. »

Cela fait des décennies déjà, que les sociaux-démocrates sont réputés être les travailleurs les plus capables et intelligents d’Allemagne. De la même façon, les syndicats et la social-démocratie ont arraché les femmes à leur existence étroite et bornée, ainsi qu’à l’abrutissement misérable et étriqué de la tenue du ménage. La lutte de classe prolétarienne a élargi leurs horizons, rendu leur esprit plus flexible, développé leur pensée; elle leur a montré de grandes perspectives, dignes de leurs efforts. Le socialisme a suscité la renaissance mentale de la masse des femmes prolétariennes – en faisant d’elles aussi, sans aucun doute, des travailleuses productives et compétentes pour le capital.

Au vu de tout cela, le fait que les femmes prolétariennes sont privées de droits politiques est une vil injustice, ceci d’autant plus qu’il s’agit maintenant d’un demi mensonge. Après tout, une masse de femmes prennent activement part à la vie politique. Pour autant, la social-démocratie ne recourt pas à l’argument de l’« injustice ». C’est la différence essentielle entre nous et le socialisme antérieur, sentimental et utopique.

« Dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale. » Charles Fourrier

Nous ne dépendons pas de la justice de la classe dominante, mais seulement de la force révolutionnaire de la classe ouvrière et du cours du développement social qui prépare les bases de son pouvoir. Ainsi, l’injustice en elle-même n’est certainement pas un argument de nature à renverser les institutions réactionnaires.

En revanche, si un sentiment d’injustice se développe dans de larges secteurs de la société – relève Friedrich Engels, le co-fondateur du socialisme scientifique – voilà un indice sûr que les bases économiques de la société ont changé considérablement, que les conditions actuelles entrent en conflit avec la marche du développement. Le formidable mouvement actuel de millions de femmes prolétariennes, qui considèrent leur privation de droits politiques comme une injustice criante, est un tel signe infaillible, un signe que les bases sociales du système dominant sont pourries et que ses jours sont comptés.

Charles Fourrier
Charles Fourier, socialiste utopique et féministe avant l’heure

Il y a cent ans, le français Charles Fourier, l’un des premiers grands prophètes des idéaux socialistes, a écrit ces mots mémorables : « dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale ». Ceci est parfaitement vrai pour la société actuelle. La lutte de masse en cours pour les droits politiques des femmes est seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir. Grâce au prolétariat féminin, le suffrage universel, égal et direct des femmes, ferait avancer considérablement et intensifierait la lutte des classes du prolétariat. C’est la raison pour laquelle la société bourgeoise déteste et craint le suffrage féminin. Et c’est pourquoi nous le défendons et nous l’obtiendrons. En luttant pour le suffrage féminin, nous rapprocherons aussi l’heure où la société actuelle tombera en ruines sous les coups de marteau du prolétariat révolutionnaire.

Source : ici

Pour aller plus loin :

 

18 mars 1871 par Louise Michel

 

Le 18 mars 1871 est une date essentielle pour le socialisme français et même internationale. Favorisé d’un côté par la défaite de Sedan et la trahison des élites française(qui permettent la chute de l’Empire et la proclamation de la IIIème République) et de l’autre par les thèses révolutionnaires de Proudhon ou de Marx, ce qui au départ ne représente qu’un élan patriote et républicain[i] devient rapidement une révolution socialiste de grande ampleur. Les Communards de 1871 regardent vers le passé pour construire un nouvel avenir. La nostalgie de la Commune de 1792 – et du gouvernement révolutionnaire de la Première République – ainsi que de l’insurrection populaire de juin 1848, qui a été réprimée de manière sanglante par le gouvernement issus de la Révolution de février 1848 sous la IIème République, sont des moteurs.

Durant 2 mois, les parisiens vivent en autogestion. « L’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes »[ii] est la première préoccupation. Les ateliers et les entreprises sont réquisitionnés et la coopérative ouvrière naît. Les décisions sont prises de manières collégiales. Du côté démocratique, le suffrage universel est proclamé (même pour les femmes et les étrangers, la Commune devant être la République universelle), le mandat impératif si cher à Jean-Jacques Rousseau[iii] est institué et le droit à l’insurrection de Robespierre[iv] est remis au goût du jour. Ajoutons à cela que la presse est libérée, l’enseignement, la fonction publique ou la justice sont réformés, la laïcité est proclamée (par la fin du Concordat de 1802) et l’égalité entre hommes et femmes est une priorité. Une époque euphorique qui prend fin entre le 21 et le 28 mai, durant ce qui est aujourd’hui appelé la « semaine sanglante ». Le chef du gouvernement français de centre-gauche de l’époque, Adolphe Thiers n’hésite pas à s’allier à la droite réactionnaire pour écraser la Commune. Les troupes versaillaises exécutent sans sourciller 20 000 Communards. Les demandes d’amnistie de Victor Hugo et de Georges Clemenceau (député de Montmartre de l’époque) sauvent à peine les meubles. La basilique du Sacré-Cœur est construite à la suite de ces évènements afin « d’expier les crimes des Communards ». Cette défaite traumatisera à jamais le mouvement ouvrier. C’est partant de ce bilan que Lénine théorise la nécessité de l’organisation du mouvement insurrectionnelle et son avant-garde révolutionnaire.

Grâce à son action durant la Commune  Louise Michel devient une icône. Anarchiste féministe, amie de Georges Clemenceau – dont elle ne partage absolument pas l’obsession pour l’ordre républicain – et révolutionnaire, elle est une des figures de proue du mouvement communard. Condamnée à 20 mois de prison – alors qu’elle avait elle-même demandé au tribunal la mort, un geste qui émeut Victor Hugo au point de lui dédier son poème Viro Major – elle est par la suite déportée en Nouvelle-Calédonie où elle reste jusqu’en 1880 (elle revient ensuite en France). Le texte qui suit est issu de son ouvrage rédigé en 1898 intitulé La Commune.

Extraits du chapitre intitulé Le 18 Mars

Aurelle de Paladine commandait, sans qu’elle voulût lui obéir, la garde nationale de Paris qui avait choisi Garibaldi.

Brunet et Piaza choisis également pour chefs, le 28 janvier par les gardes nationaux, et qui étaient condamnés par les conseils de guerre à deux ans de prison, furent délivrés dans la nuit du 26 au 27 février.

On n’obéissait plus : les canons de la place des Vosges qu’envoyait prendre le gouvernement par des artilleurs, sont refusés sans qu’ils osent insister et sont traînés aux buttes Chaumont.

Les journaux que la réaction accusait de pac­tiser avec l’ennemi, le Vengeur, de Félix Pyat ; le Cri du Peuple, de Vallès, le Mot d’Ordre, de Rochefort, fondé le lendemain de l’armistice ; le Père Duchesne, de Vermesch, Humbert, Maro­teau et Guillaume ; la Bouche de fer, de Ver­morel ; la Fédération, par Odysse Barot ; la Cari­cature, de Pilotelle, étaient suspendus depuis le 12 mars.

Les affiches remplaçaient les journaux, et les soldats alors, défendaient contre la police celles où on leur disait de ne point égorger Paris, mais d’aider à défendre la République.

[…]

Bien moins qu’on ne se fût occupé d’une proclamation du roi Dagobert, on ne songeait à celle de M. Thiers.

Tout le monde savait que les canons, soi-di­sant dérobés à l’Etat, appartenaient à la garde nationale et que les rendre eût été aider à une restauration. M. Thiers était pris à son propre piège, les mensonges étaient trop évidents, les menaces trop claires.

[…]

La provocation directe fut donc tentée ; mais le coup de main essayé place des Vosges avait donné l’éveil. On savait par le 31 octobre et le 22 janvier de quoi sont capables des bourgeois hantés du spectre rouge.

On était trop près de Sedan et de la reddition pour que les soldats, fraternellement nourris par les habitants de Paris, fissent cause commune avec la répression. — Mais sans une prompte action, on sentait, dit Lefrançais, que comme au 2 décembre c’en était fait de la République et de la liberté.

L’invasion des faubourgs par l’armée fut faite dans la nuit du 17 au 18 ; mais malgré quel­ques coups de fusil des gendarmes et des gardes de Paris, ils fraternisèrent avec la garde natio­nale.

Sur la butte, était un poste du 61e veillant au n° 6 de la rue des Rosiers, j’y étais allée de la part de Dardelle pour une communication et j’étais restée.

Deux hommes suspects s’étant introduits dans la soirée avaient été envoyés sous bonne garde à la mairie dont ils se réclamaient et où personne ne les connaissait, ils furent gardés en sûreté et s’évadèrent le matin pendant l’attaque.

Un troisième individu suspect, Souche, entré sous un vague prétexte vers la fin de la nuit, était en train de raconter des mensonges dont on ne croyait pas un mot, ne le perdant pas de vue, quand le factionnaire Turpin tombe atteint d’une balle. Le poste est surpris sans que le coup de canon à blanc qui devait être tiré en cas d’attaque ait donné l’éveil, mais on sentait bien que la journée ne finissait pas là.

La cantinière et moi nous avions pansé Turpin en déchirant notre linge sur nous, alors arrive Clemenceau qui ne sachant pas le blessé déjà pansé demande du linge. Sur ma parole et sur la sienne de revenir, je descends la butte, ma carabine sous mon manteau, en criant : Trahison ! Une colonne se formait, tout le comité de vigilance était là : Ferré, le vieux Moreau, Avronsart, Lemoussu, Burlot, Scheiner, Bourdeille. Montmartre s’éveillait, le rappel battait, je revenais en effet, mais avec les autres à l’assaut des buttes.

Dans l’aube qui se levait, on entendait le tocsin ; nous montions au pas de charge, sachant qu’au sommet il y avait une armée rangée en bataille. Nous pensions mourir pour la liberté.

On était comme soulevés de terre. Nous morts, Paris se fût levé. Les foules à certaines heures sont l’avant-garde de l’océan humain.

La butte était enveloppée d’une lumière blan­che, une aube splendide de délivrance.

Tout à coup je vis ma mère près de moi et je sentis une épouvantable angoisse ; inquiète, elle était venue, toutes les femmes étaient là montées en même temps que nous, je ne sais comment.

Ce n’était pas la mort qui nous attendait sur les buttes où déjà pourtant l’armée attelait les canons, pour les joindre à ceux des Batignolles enlevés pendant la nuit, mais la surprise d’une victoire populaire.

Entre nous et l’armée, les femmes se jettent sur les canons, les mitrailleuses ; les soldats restent immobiles.

Tandis que le général Lecomte commande feu sur la foule, un sous-officier sortant des rangs se place devant sa compagnie et plus haut que Lecomte crie : Crosse en l’air ! Les soldats obéissent. C’était Verdaguerre qui fut pour ce fait surtout, fusillé par Versailles quelques mois plus tard.

La Révolution était faite.

[…]

Beaucoup d’entre nous fussent tombés sur le chemin, mais la réaction eût été étouffée dans son repaire. La légalité, le suffrage universel, tous les scrupules de ce genre qui perdent les Révolutions, entrèrent en ligne comme de cou­tume.

Le soir du 18 mars, les officiers qui avaient été faits prisonniers avec Lecomte et Clément Thomas furent mis en liberté par Jaclard et Ferré.

On ne voulait ni faiblesses ni cruautés inu­tiles.

Quelques jours après mourut Turpin, heureux, disait-il, d’avoir vu la Révolution ; il recommanda à Clemenceau sa femme qu’il laissait sans res­sources.

Une multitude houleuse accompagna Turpin au cimetière.

—  A Versailles ! criait Th. Ferré monté sur le char funèbre.

—  A Versailles ! répétait la foule.

Il semblait que déjà on fût sur le chemin, l’idée ne venait pas à Montmartre qu’on pût attendre.

Ce fut Versailles qui vint, les scrupules devaient aller jusqu’à l’attendre.

Boîte noire :


[i] A ce propos, l’historien Jean-Jacques Chevallier déclare : « Les insurgés vibraient d’un patriotisme de gauche que la honte de la défaite exaspérait » dans Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958.

[ii] Emile Pouget, La Sociale

[iii]  Voir Du Contrat Social (1762)

[iv]  La Constitution de l’An I, c’est-à-dire de 1793, stipule dans l’article 35 que : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

Patriotisme : Jaurès et Che Guevara étaient-ils fascistes ?

Texte publié le 26 février sur RAGEMAG 

Concept souvent malmené, la patrie n’est pas toujours en odeur de sainteté à gauche. Accusé d’être un concept bourgeois qui divise les prolétaires ou renvoyant aux heures les plus sombres de notre histoire, le patriotisme est accablé de tous les maux. Entre les attaques de Marx & Engels dans Le Manifeste du Parti Communiste et le tristement célèbre « Travail, Famille, Patrie » pétainiste, on arrive aisément à comprendre d’où vient le malaise. Pourtant, Robespierre, Jaurès, Che Guevara, Lumumba, Orwell, Sankara : autant de grands hommes de gauche qui n’ont jamais hésité à se définir comme patriotes.

Rappelez-vous 1792, quand les troupes françaises repoussaient les Prussiens en scandant « Vive la nation ! » .  La République naissait, le patriotisme avec. Défendre la patrie, c’était défendre un espace politique commun au nom de l’égalité et de la liberté de tous. Le lien du sang disparaissait et laissait place à un lien moral et social. Un nouveau concept émergeait à mi-chemin entre Du Contrat Social de Rousseau et La Théorie des climats de Montesquieu. Être patriote c’était surtout être républicain, universaliste, mais aussi internationaliste. Jusqu’à la IIIe République, protéger la patrie c’était protéger le peuple en commençant par sa base : le prolétariat. Mais le concept ne s’est pas arrêté à nos frontières hexagonales, puisqu’il a progressivement été repris aux quatre coins du monde par des révolutionnaires, notamment tiers-mondistes et anticolonialistes.

Entre patriotisme et internationalisme

L’histoire a commencé avec le plus célèbre des révolutionnaires et son bras-droit : Robespierre et Saint-Just. Toutes leurs actions n’ont été dictées que par l’amour du peuple. Celui que l’on surnommait l’Archange de la Révolution déclara même : « Un patriote est celui qui soutient la République en masse ; quiconque la combat en détail est un traître. » Cette donnée ne doit pas masquer qu’ils ont aussi été précurseurs de l’internationalisme socialiste. Ainsi, la version de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que l’Incorruptible a proposée aux Jacobins le 23 avril 1793 disait dans l’article 35 : « Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir comme les citoyens du même État. » Cette articulation entre patriotisme et internationalisme a existé très longtemps au sein de la gauche française. C’est ce qui a poussé Jaurès dans L’Armée nouvelle en 1911 à écrire notamment : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène », tandis que Clémenceau durant la Première Guerre mondiale appelle à un patriotisme intraitable dans le journal L’Homme enchaîné. Même si cette position s’est marginalisée à gauche, il existe encore des gens comme Régis Debray – ex-compagnon de route du Che – capable de s’en réclamer en se définissant par exemple comme « gaulliste d’extrême gauche ». De plus, un Mélenchon qui à chaque meeting chante La Marseillaise devant le drapeau tricolore ne peut-il pas être qualifié de patriote ? Au sein du socialisme, ce sentiment a réussi à dépasser nos frontières avec, par exemple, George Orwell qui parlait de « patriotisme révolutionnaire » tout en étant capable d’affronter le fascisme arme à la main en Espagne. Mais c’est surtout dans le Tiers-Monde que cette posture trouve le meilleur écho.

« Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. » Jean Jaurès

 

Le patriotisme libérateur du Tiers-Monde

Qui d’autre qu’Ernesto Che Guevara symbolise le mieux l’internationalisme socialiste ? Argentin de naissance, rappelons que son principal fait d’armes est sa participation à la Révolution cubaine. Une fois fait citoyen cubain, c’est au Zaïre aux côtés de Patrice Lumumba qu’il ira lutter avant de mourir dans les maquis boliviens. Cependant, beaucoup ignorent encore qu’il signait toutes ses lettres par la devise castriste : « Patria o muerte. Venceremos » (en français : « la patrie ou la mort, nous vaincrons ») . En 1967, le Che écrivît Message à la Tricontinentale dans lequel il parle de son projet de « grande patrie » pour l’Amérique latine. Cette idéologie fut plus tard celle du révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara qui ira jusqu’à faire du slogan « la patrie ou la mort, nous vaincrons » la devise de son pays. Évidemment, le patriotisme n’est pas que le fait de Castro, Guevara et Sankara, mais c’est un sentiment libérateur pour l’ensemble du Tiers-Monde. C’est lui qui a guidé tous les grands mouvements de décolonisation dont Lumumba avec ses appels à « l’unité nationale » est l’un des plus illustres symboles. Même hors de la décolonisation, le patriotisme est puissant chez les différents mouvements socialistes dont l’ex-président égyptien Nasser est un leader. Actuellement, c’est le président Chávez qui représente le mieux cette tendance. Admiré par une grande partie de la gauche radicale d’aujourd’hui, le vénézuélien n’hésite pas à paraphraser de Gaulle pour expliquer que son souci est la grandeur de son pays. Donc, à moins d’imaginer que Jaurès et Robespierre n’étaient que des précurseurs du fascisme et que le Che ou Chávez en sont les successeurs, il n’y a aucune raison pour que le patriotisme soit un gros mot à gauche.

« La patrie ou la mort, nous vaincrons. » Che Guevara

« La nation, c’est le seul bien des pauvres » aurait dit Jaurès. Difficile de ne pas le croire. Le prolétariat n’a rien d’autre à revendiquer que le lieu où il vit et les gens qui l’entourent. Il n’a pas les moyens financiers de la bourgeoisie pour passer son temps entre voyages touristiques, étudiants ou professionnels. Il ne peut compter que sur l’État pour le protéger. Et cette donnée est vraie et universelle. Être patriote c’est vouloir d’abord protéger les plus faibles et revendiquer l’égalité. Il ne faut absolument pas confondre ce sentiment inclusif avec le nationalisme qui n’est qu’une de ses perversions comme l’amour-propre exclusif est une perversion de l’amour de soi chez Rousseau. Il préfigure l’internationalisme comme l’amour de soi préfigure l’amour des autres, toujours chez le même auteur. C’est par le respect des autres peuples et leur reconnaissance à pouvoir disposer d’eux-mêmes qu’on se sent concerné par leurs sorts et impliqué dans leurs destinées. Abandonner ce thème à l’extrême-droite, c’est la laisser se poser en seule protectrice des pauvres alors que l’on sait pertinemment qu’elle ne peut fondamentalement pas l’être. Malheureusement, chez trop de « gauchistes » – au sens péjoratif du terme – cette posture juste et égalitaire est assimilée à des relents de fascisme.

Boîte noire

Marion Maréchal-Le Pen, la droite populaire et le retour de la contre-révolution

Texte publié le 18 janvier sur RAGEMAG

Oyez oyez braves gens ! En ce 16 janvier 2013, Marion Maréchal-Le Pen, plus jeune députée de l’Histoire de notre Vème République, nous a proposé une grande proposition de loi. Alors que tout le monde croyait les deux députés du FN –pardon, il faut dire « Rassemblement Bleu Marine » – bien isolés, notre chère Marion a réussi à trouver du soutien auprès de plusieurs députés UMP, dont Lionnel Luca, chef de file de la Droite Populaire. Bref, nous avions de quoi nous attendre au pire… Et bien c’est encore pire que ça.

Nous connaissions la demoiselle étudiante en droit, nous la découvrons apprentie historienne. Car, oui, c’est bien à notre histoire que la jeune Le Pen et ses nouveaux amis de la Droite Populaire ont décidé de s’attaquer. Au premier abord, nous sommes contents de voir le RBM capable de proposer autre chose que des lois fumeuses sur la préférence nationale, qui au passage ont déjà montré leurs limites durant les années 1930. Puis, apparaît le titre : « reconnaissance du génocide vendéen de 1793-1794 » et nous ne savons trop quoi faire entre rire ou pleurer. Et pour finir, nous lisons le texte en lui-même et là, nous sommes consternés. Le nouveau cheval de bataille de l’extrême-droite est donc de pourfendre la Révolution française, en surfant sur un très mauvais reportage diffusé l’an dernier sur France 3 ? Nous pourrions tomber dans la facilité et balancer simplement un « laissons l’Histoire aux historiens », mais comme chez Ragemag nous n’avons rien contre les choses compliquées, nous avons décidé d’attaquer le texte de front.

Une loi mémorielle stupide et idéologique

Il est d’abord fâcheux de constater que le FN, qui parle constamment de « sujets importants » pour la France, ne trouve rien de mieux à faire pour cette dernière que d’attaquer son Histoire dans ce qu’elle a de plus belle. Ensuite, il est amusant de remarquer que le FN et l’UMP sont traditionnellement les premiers à s’insurger dès qu’il s’agit de tomber dans le mémoriel, l’excuse ou la repentance. Il suffit d’un petit discours de rien du tout de notre Président, en Algérie, pour que tatie Le Pen nous parle déjà d’abaissement de la France et que la Droite Pop’ monte au créneau. Et là, les voilà qui décident de faire une loi mémorielle. Alors pourquoi le FN, et quelques histrions de l’aile droite de l’UMP, ont décidé de faire ce qu’ils sont en général si enclins à dénoncer ? Tout ceci est simplement idéologique. Depuis toujours, la droite réactionnaire hisse le peuple vendéen en héros qui s’est battu pour la Monarchie et contre la République. Nous ne remettons pas en cause le courage de ces ennemis de la révolution. Il faut reconnaître qu’ils ont eu l’honneur de mourrir pour leur idées, même si elles sont opposées aux nôtres.  Mais, est-ce que quelque chose justifierait l’adoption de cette loi ?

Une guerre civile, mais pas un génocide

D’après l’article 211-1 du Code Pénal, un génocide est « défini comme le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout critère arbitraire». Que s’est-il réellement passé en Vendée durant la Révolution française ? Octobre 1791, les Girondins, alors majoritaires à l’Assemblée, décident de déclarer la guerre à la Prusse et à l’Autriche. Si officiellement, il s’agit de défendre la Nation menacée, officieusement, il s’agit de sauver l’Assignat au bord de la faillite. Et c’est pour cela que dès le départ, Robespierre s’oppose à cette guerre… En vain. La Monarchie définitivement abolie, la République naissante est embourbée dans les guerres et décide ce que l’on appelle « la levée des masses. » Des hommes entre 18 et 25 ans sont enrôlés par tirage au sort dans tous les départements afin de repousser l’ennemi hors des frontières. Les Vendéens prennent cette action républicaine pour une ingérence. S’ensuit une guerre civile opposant la République et les « contre-révolutionnaires ». Couplée aux guerres extérieures, elle débouche sur la (re)mise en place du Tribunal révolutionnaire par Danton le 10 mars 1793, qui mène au Gouvernement de la Terreur. Ne soyons pas manichéens : on décompte 200 000 morts – chiffre contesté par ailleurs – du côté insurrectionnel en 3 ans. La répression est terrible. Mais, il s’agît bien d’une guerre civile et non d’un génocide, car il n’y a jamais eu aucun projet d’extermination du peuple de Vendée.  D’où vient donc cette affreuse rumeur ? Elle est d’abord le fait de Gracchus Babeuf et de son pamphlet Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier (cité dans le projet de loi de Marion) contre Carrier, leader des massacres vendéens (notamment des noyades de Nantes), et Robespierre. A l’époque, Babeuf est engagé contre l’Incorruptible qu’il voit comme un tyran. Il faut noter que par la suite, le picard changea d’avis, déclarant : « Je confesse aujourd’hui de bonne foi que je m’en veux d’avoir autrefois vu en noir, et le gouvernement révolutionnaire et Robespierre et Saint-Just. Je crois que ces hommes valaient mieux à eux seuls que tous les révolutionnaires ensemble. » Il n’existe sinon aucune autre source pouvant attester d’un quelconque génocide. Le fameux Le génocide franco-français : la Vendée Vengée de Reynald Secher s’appuie principalement sur les écrits de Babeuf et des hypothèses sans fondements. Pour résumer, il y a une guerre civile, mais aucun génocide. Affirmer ceci et vouloir voter cette loi est une attaque contre la Révolution et, donc, la République, mais surtout contre l’Histoire elle-même.

 « Je confesse aujourd’hui de bonne foi que je m’en veux d’avoir autrefois vu en noir, et le gouvernement révolutionnaire et Robespierre et Saint-Just. Je crois que ces hommes valaient mieux à eux seuls que tous les révolutionnaires ensembles. » Babeuf

« La Révolution est un bloc », Clémenceau

Lors d’un discours à la Chambre des députés le 29 janvier 1891 Georges Clémenceau défend la Révolution, les révolutionnaires et notamment Robespierre et ses partisans. Victorien Sardou décide de censurer une pièce intitulée Thermidor dans le seul but de défendre Danton et d’attaquer la Convention robespierriste. Dans un discours exceptionnel comme peu d’autres savent les faire, Le Tigre explique que nous ne pouvons pas dissocier les bons des mauvais révolutionnaires : la Révolution est un tout qui a permis l’émergence des valeurs républicaines. La Première Révolution anglaise ne s’est pas non plus déroulée dans la joie et la bonne humeur, mais elle a aussi fait verser des litres de sang et de sanglots. Est-ce que les Anglais en sont encore à discuter des hypothétiques crimes d’Oliver Cromwell ? Donc non, il ne faut rien jeter dans la Révolution, mais tout absorber. Car, cette dernière est le parfait reflet de la France belle et rebelle que nous aimons. Elle fut loin d’atteindre la perfection, mais comme l’a dit  Saint-Just : « Les révolutions marchent de faiblesse en audace et de crime en vertu. » Ainsi, elles font partie intégrante de notre histoire, donc nous les assumons.

« Les révolutions marchent de faiblesse en audace et de crime en vertu ». Saint-Just

Par-delà la méprise historique, c’est bien une certaine vision de l’Histoire que l’extrême-droite et la droite réactionnaire ont décidé d’essayer de nous imposer. Malgré les efforts de Marine Le Pen pour se parer d’un vernis républicain, nous comprenons ainsi que le FN est loin de s’être débarrassé de son anti-républicanisme et de ses valeurs contre-révolutionnaires. Mais le plus grave est de voir une partie de la droite dite « républicaine » tomber dans ce genre de dérives réactionnaires. Alors que la France prend l’eau de toute part, que François Hollande se sert du sociétal comme écran de fumée pour cacher son impuissance dans le domaine social, l’extrême-droite se perd en fumeuses conjectures historiques. Pire, le parti se prétendant le défenseur de la Nation s’attaque justement au fondement moderne de cette Nation, à savoir la Révolution Française.

Boîte noire :