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Grèce : chronique d’une tragédie contemporaine

Tiré d’un encart écrit pour un article intitulé « Grèce : la révolution sera télévisée », publié le 16 juin 2013 sur RAGEMAG par Paul Tantale

Les dirigeants de la Commission européenne, de la BCE et du FMI n’ont absolument rien à envier à EschyleSophocle et Euripide, tant le sauvetage de la Grèce par la fameuse Troïka tient plus de la tragédie antique que du film de super-héros contemporain. Petit rappel des faits : fin 2009, soit un an après le déclenchement de la crise mondiale, les marchés financiers commencent à s’inquiéter de l’ampleur de l’endettement public de certains pays : Portugal, Irlande, Italie, Grèce, et Espagne (surnommés les PIIGS). Puis c’est au tour des agences de notations de s’en mêler et de dégrader la Grèce. Les taux d’intérêt augmentent drastiquement, le pays risque d’être en cessation de paiement et la Troïka décide de l’aider en avril 2010. Un plan de sauvetage qui a un coût : la mise en place de réformes dites structurelles – comprendre par-là de libéralisation de l’économie – afin de remettre l’économie hellène sur les bons rails. Athènes est sommée de flexibiliser son marché du travail, d’augmenter ses recettes et de diminuer ses dépenses en appliquant le célèbre consensus de Washington. En vrac, on peut noter : la création d’un sous-SMIC pour les jeunes et les seniors, l’âge de départ à la retraite rehaussé tout comme la TVA, de nouvelles taxes, les indemnités de chômage diminuées et, dorénavant, la capacité pour les entreprises de renvoyer leurs employés comme bon leur semble. Ces mesures sont loin de faire l’unanimité. Paul Krugman, le Nobel d’économie 2008 plaide par exemple pour une annulation de la dette grecque et sa sortie de la zone euro. Mais le dogme néolibéral est toujours le plus fort.

Malheureusement, les choses ne se passent pas comme prévu. Le PIB se replie, les recettes avec, et les dépenses stagnent. Résultat : le poids de la dette augmente. Les socialistes au pouvoir (parti du Pasok de Papandréou) sont contraints de démissionner, en 2011, et un gouvernement de coalition (socialistes, conservateurs et extrême-droite) est mis en place. Rien n’y fait cependant : la Troïka est obligée début 2012 de faire une première concession et la dette est restructurée (53,5% de la dette est grosso modo effacée, soit 107 milliards d’euros). Ce n’est toujours pas suffisant et les électeurs tentent de pénaliser les partis du système au législatives de mai. Après un double vote qui a failli mener au pouvoir le SYRIZA d’Alexis Tsipras – et fait naître l’espoir chez toute la gauche radicale européenne – ce sont finalement les socialistes et les conservateurs qui sont reconduits.

Mais, double coup de théâtre ! Le premier a lieu le mois dernier avec l’invalidation des travaux économiques qui avaient inspiré ces politiques. Keneth Rogoff et Carmen Reinhart ont admis s’être trompés dans leurs calculs. Après correction d’une erreur dans leur tableau Excel, des experts trouvent qu’un niveau d’endettement représentant 90 % du PIB ne pénalise pas aussi significativement qu’ils le supposaient la croissance (soit non pas une moyenne en récession de -0,1 % par an, mais une croissance positive à 2,2 % par an). Plus rien ne justifie alors les politiques d’austérité imposées aux peuples européens depuis 3 ans et à divers pays du tiers-monde depuis bien plus longtemps. Le second coup de théâtre vient du FMI lui-même qui, dans son dernier rapport sorti le 7 juin dernier, admet s’être trompé dans la gestion de la crise grecque. Il reconnaît maintenant avoir exigé des réformes trop dures et pense qu’une restructuration de la dette aurait dû intervenir courant 2010, soit deux ans plus tôt, la situation politique européenne de l’époque l’empêchant. Mais la Commission européenne ne veut rien entendre et son commissaire aux Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, estime ne rien avoir à se reprocher. En attendant, les Grecs, eux, ont connu leur 18e trimestre consécutif de récession – un record absolu – et espèrent une nouvelle restructuration, asphyxiés par le poids d’une dette qu’ils ne pourront jamais rembourser et par des politiques d’austérité imposées comme châtiment divin pour les punir de leurs excès, d’après Paul Krugman.