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Zidane peut-il réussir ailleurs qu’au Real Madrid

Article initialement publié le 31 mai 2018 sur Le Média presse

En annonçant son départ du Real Madrid, où il a tout gagné, Zidane crée un petit séisme dans le monde du foot. L’entraineur va paradoxalement devoir faire à nouveau ses preuves, après avoir pourtant battu tous les records.

« J’ai pris la décision de ne pas continuer. » C’est avec ces quelques mots que Zinédine Zidane a annoncé une des décisions les plus difficiles de sa vie, cinq jours après sa troisième victoire d’affilé en Ligue des champions. « Je pense que c’est le bon moment pour tout le monde », a-t-il renchéri. Pouvait-il réellement en être autrement ? Ce genre de champion ne peut pas se satisfaire de la victoire et a toujours besoin de se surpasser, ce qui n’est pas possible quand on survole les débats depuis trois ans. Le Français a expliqué son choix : « Je devais le faire. Je souhaite à cette équipe de continuer à gagner, et pour ça elle a besoin de voir autre chose, d’entendre un autre discours. » Et ajoutons que dans le football contemporain 29 mois pour un entraîneur, c’est presque long. A titre de comparaison, parmi les 16 entraîneurs présents en huitième de finale de Ligue des champions, seuls quatre dépassent Zizou en termes de longévité : Allegri (Juventus), Pochettino (Tottenham) – qui selon les premières rumeurs pourraient le succéder sur le banc des Merengue –, Klopp (Liverpool) et Senol Güne au Besiktas.

Un parcours exceptionnel

Deux questions se posent à ce jour. La première : où ira Zidane, qui affirme avoir besoin de temps pour réfléchir ? Vers un autre grand club ou remplacer son ancien coéquipier Didier Deschamps à la tête de l’équipe de France ? « J’étais joueur de cette équipe de France, oui ça serait bien, un jour de l’entraîner, mais pour le moment il y a un entraîneur en place (Didier Deschamps) qui fait un boulot formidable, mais oui j’ai cet objectif, cette ambition », a déjà prévenu Zizou en mars 2015. Petit bémol : Deschamps est en contrat jusqu’en 2020. Il faudrait donc une démission du sélectionneur ou un mauvais parcours des Bleus en Russie, que personne ne souhaite, pour que cela se réalise immédiatement. La seconde question est plus subtile. Que vaut réellement Zidane comme entraîneur ? Car bien qu’il ait battu tous les records en moins de deux ans et demi, des doutes planent sur ses compétences réelles.

Les génies font rarement de grands coachs, les joueurs offensifs encore moins. Il y a certes eu Johan Cruyff, triple ballon d’or (1971, 1973 et 1974) et premier entraîneur barcelonais à remporter la Ligue des champions, en 1992, avec en prime un jeu flamboyant. Mais c’est à peu près tout. Alors quand en janvier 2016 Zidane prend la tête de l’équipe première, un doute subsiste : et si le costume était trop grand ? Laurent Blanc et Didier Deschamps semblaient taillés pour devenir coach. Mais Zidane ? L’idée ne lui a d’ailleurs traversé l’esprit que relativement tard. Il y est en fait presque poussé par la Maison Blanche, avec qui il a tout gagné comme joueur, dont la Ligue des champions en 2002 avec un but phénoménal, et par les circonstances. Mi-2009, il est élu ambassadeur du Real Madrid et devient conseiller du président Florentino Pérez. Deux ans plus tard, il remplace Jorge Valdano, comme nouveau directeur sportif des Merengue. Dans la foulée, il s’inscrit à la formation de manageur général de club sportif du Centre de droit et d’économie du sport de Limoges. Il y côtoie d’anciens joueurs comme Éric Carrière et Olivier Dacourt. Zidane reçoit son diplôme en janvier 2014. Quelques mois auparavant, l’ancien meneur de jeu devient l’entraîneur adjoint de Carlo Ancelotti. Zizou est notamment en charge de l’aspect tactique de l’équipe qui remporte la “Decima”, dixième Ligue des Champions du Real. C’est pourtant la suite qui est plus intéressante. Lors de la saison 2014-2015, le Français coache le Real Madrid Castilla, l’équipe réserve qui évolue en troisième division espagnole. C’est durant cette saison qu’il apprend réellement les rudiments du métier, en plus de décrocher le diplôme d’entraineur qui lui manquait encore. Zidane reste un an et demi à ce poste, avant de devoir remplacer au sein de l’équipe première un Rafael Benítez décrié par les supporters et les dirigeants. Les choses semblent alors précipitées et pourtant…

La suite, on la connaît tous : un titre de champion d’Espagne (2017), une Supercoupe d’Espagne (2017), deux Supercoupe de l’UEFA (2016 et 2017), deux Coupe du Monde des clubs (2017 et 2017) et surtout trois Ligue des Champions. Rappelons que Zidane a été le premier entraîneur à décrocher la prestigieuse compétition européenne deux fois consécutives, puis trois. N’oublions pas non plus qu’il a été le premier à la remporter dès sa première année sur le banc d’une équipe professionnelle. Le bilan est qu’il n’a jamais été éliminé en Ligue des Champions : du jamais vu. Pourtant, il est difficile de percevoir Zizou comme le plus grand coach, car ces trois titres semblent trop faciles.

Réinventer le métier d’entraîneur

Une chose est sûre, avec Zidane, point de révolution tactique. S’il semble attaché au 4-3-3 et prône un style offensif et une importante possession de balle, il admet volontiers ne pas « inventer le football ». En deux ans et demi, n’a pas laissé son empreinte sur le jeu du Real, ni fait preuve de fulgurance tactique, contrariement à Pep Guardiola, José Mourinho, Diego Simeone ou encore Jürgen Klopp son adversaire malheureux du 26 mai. Cette année le Real ne semblait pas plus fort que ses adversaires, que la Juventus Turin, le Bayern Munich ou Liverpool, qu’il a successivement battu. Les choix tactiques de l’ancien meneur de jeu sont bons, mais pas exceptionnels. Certains parleront du coaching gagnant de Zizou, qui fait entrer Gareth Bale, décisif et auteur du plus beau but en finale depuis… celui de son entraîneur en 2002. Certes, le Gallois n’est plus un titulaire indiscutable à cause de ses multiples blessures. Mais il demeure un grand joueur, le plus cher à ce jour du Real Madrid et le cinquième du monde (101 millions d’euros). Surtout, point de bouleversement tactique avec cette rentrée. Car, la force du Real, et donc de Zidane, réside dans un effectif exceptionnel, tant dans le onze de départ que sur le banc de touche.

Mais pourtant, la mayonnaise ne prenait plus sous Benítez, entraîneur pourtant reconnu. De son côté, le Français pour lui d’avoir été un très grand joueur, qui a en plus évolué au sein du club, respecté de tous, même d’un Cristiano Ronaldo souvent trop capricieux. Zidane a aussi l’avantage de connaître sur le bout des doigts la maison, qui compte en son sein beaucoup de jeunes pousses formées à domicile. L’ancien meneur de jeu a en quelque sorte réinventer son métier au Real, entre l’entraîneur, le manager sportif et le directeur des ressources humaines. Et il l’a fait avec un talent certain. Pourtant une question persiste : Zidane peut-il réussir hors du Real ? Les prochains mois seront décisifs. Quoiqu’il en soit, près de 20 ans après son doublée au stade de France face au Brésil, Zizou semble plus que jamais béni des dieux.

Photo : Zinédine Zidane

Crédits : Raphaël Labbé/ Flickr

Le cul entre deux chaises

Sabrina Benali est une jeune journaliste passionnée par l’écriture. Française d’origine algérienne, Sabrina décide de nous livrer – peut-être de manière un peu prématurée – une autobiographie intitulée Le cul entre deux chaises. Pour ceux qui ne l’ont pas compris, « le cul entre deux chaises » désigne la situation de l’auteur – mais aussi de nombreux autres franco-maghrébins voire de franco-autre chose – obligée de vivre constamment entre deux cultures : celle de son pays d’origine et celle du pays d’accueil de ses parents.

La vie de l’auteur

Le livre commence en 1998, le 12 juillet pour être plus précis. Ce soir-là, l’Équipe de France de football est championne du monde pour la première fois de son histoire. Le héros national se nomme Zinédine Zidane, français d’origine algérienne. Sabrina a 8 ans et pendant que tout un pays découvre (ou croit découvrir) la France « Black-Blanc-Beur », unie malgré sa diversité, elle se rend compte de son appartenance à un peuple. C’est aussi et surtout le début d’une quête d’identité personnelle. A l’époque, Sabrina se rend chaque été en Algérie durant les grandes vacances. Un pays qu’elle n’apprécie pas beaucoup, dont la culture lui semble très éloignée d’elle. Elle éprouve du mal à comprendre ses cousins et cousines, malgré les cours d’arabes qu’elle reçoit en primaire (et qui se soldent par un échec) et préfèrerait partir au ski en hivers comme certains de ses camarades franco-espagnols. Même si à cette époque la majorité de ses amis sont comme elle, c’est-à-dire d’origine maghrébine, elle n’éprouve aucun problème d’identité : elle parle en français, raisonne en français, rêve en français, etc.

Les choses commencent à changer à l’adolescence. Après un collège en ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire), Sabrina se retrouve au lycée en… ZEP. Pourtant, en seconde, grâce à ses parents, elle réussit à se retrouver dans une classe sans franco-maghrébin. Et là c’est le drame : elle se sent complexée et n’est pas à l’aise dans cette classe « où des prénoms comme Marine, Elodie ou Damien étaient la norme ». Au bout d’une année difficile, elle réussit à accéder en 1ère STG, LA classe des cancres – selon ses propres mots – où elle retrouve ses anciens amis d’origine maghrébine. Elle se sent à nouveau chez elle dans une classe où les « blancos » minoritaires et où elle peut crier au racisme et à l’injustice à la moindre réflexion de ses profs. Mais c’est aux dépens de ses résultats qui chutent vertigineusement. Elle passe finalement en terminal dans un autre établissement, non classé ZEP et où la seule autre française d’origine maghrébine de sa classe devient sa meilleure amie. Sabrina obtient finalement son baccalauréat.

Sabrina entre dans la vie adulte et à la fac. En parallèle, elle est caissière dans un supermarché. Si elle y garde globalement un bon souvenir, ses origines maghrébines lui desservent parfois,  comme avec cette cliente qui lui demande de retourner travailler en Algérie. D’autres anecdotes sont plus drôles comme celles avec ces Maghrébins qui essaient de la draguer ou ceux qui viennent systématiquement lui parler en arabe. Elle découvre dans le même temps le monde étudiant, qui n’a rien à voir avec le monde « ZEPiens ». Sabrina a parfois du mal à trouver sa place, « piégée » par sa culture arabo-musulmane : elle ne peut pas sortir en boite avec ses camarades ou rester au restaurant jusqu’à 22h-23h car chez elle ça ne se fait pas et sa mère lui interdit. Ajoutons à cela que par pratique religieuse, elle ne consomme pas d’alcool. Elle envie au départ ses copines de fac, puis elle s’y fait… Jusqu’à ses 20 ans où libérée elle part étudier à 150 kilomètre de chez elle. Mais ça ne se passe pas aussi facilement qu’elle l’aurait cru. Elle se sent en décalage avec ses amis « franco-français », elle n’a pas le même humour et doit se forcer à perdre son accent « banlieusard ». Puis Sabrina entre totalement dans la vie active où elle doit encore essayer de suivre dans un monde qui ne lui est pas forcément facile.

Réflexions développées dans le livre

Ce livre est aussi – et surtout – l’occasion de mener une réflexion sur la double culture de l’auteur et ses conséquences. Car au fond, ce qu’elle décrit est aussi vrai pour elle que pour tous les « doublement cultivés » comme elle les appelle. Sabrina prend notamment le temps de nous expliquer le poids de sa culture maghrébine et de l’islam (les deux s’entremêlant souvent) dans sa vie. Ces derniers peuvent sembler être lourds à porter, entre les restrictions alimentaires, la sévérité (non excessive) de ses parents quant à ses sorties ou encore les limites dans sa vie sentimentale (et sexuelle). Elle déclare à ce sujet : « Oui la religion est l’un des piliers de cette double culture et personnellement même si j’ai eu des passages difficiles je le vis relativement bien aujourd’hui ». Pourtant, cette culture arabo-musulmane lui permet de se construire une identité et favorise sa sociabilité avec ses amis franco-maghrébins. La difficulté provient moins d’un islam étouffant – l’auteur avoue même que malgré ses fortes convictions spirituelles, son intérêt pour sa religion reste limité – que du regard des autres dans une France orpheline de toutes croyances religieuses (aussi bien politiques que religieusesi). Dans ces conditions le musulman est toujours vu comme bizarre où différent et est sujet à de nombreux clichés. A ce propos, le poids des préjugés est un sujet très présent dans le livre. D’abord les préjugés dont l’auteur est victime et qui la renvoient constamment à ses origines ou à sa religion et qui peuvent lui porter parfois préjudices (dans le monde professionnel notamment). Mais il y a aussi ses préjugés sur les autres. Il y a ensuite les siens sur les français dits « de souche » face à qui elle complexe au départ et qu’elle voit toujours en petits bourgeois biens éduqués, prétentieux et hédonistes. Elle en a également envers les Maghrébins (non français), surnommés les « clandos » étant vus de manière négative .

Autre sujet du livre : le communautarisme, notion souvent dévoyée et souvent floue dans le débat public. Sabrina s’en réclame : si elle n’a pas choisi d’être communautaire, ce dernier s’est imposé à elle. C’est à force de ghettoïsation qu’elle se sent naturellement plus à l’aise à côté de ceux qui lui ressemblent. Elle refuse cependant l’ultra communautarisme qui est un repli total de la communauté.

Au final, s’il ne s’agit pas d’une œuvre littéraire et/ou intellectuelle majeure, cet ouvrage est intéressant sur plusieurs aspects. Il permet notamment une prise de conscience – pour ceux qui ne sont pas confrontés directement à la situation. Ce livre est à la fois le reflet des fractures sociales et culturelles actuelles mais aussi de l’état de la République sensée être « une et indivisible ». Dans un pays en crise morale, où il les gens ne vivent plus ensembles, les français issus de cultures étrangères n’ont pour seul refuge que la culture de leurs parents, qu’ils ne reçoivent que partiellement. La recherche d’identité devient alors infinie, car comme le rappelle l’historien et sociologue américain Christopher Lasch, il est impossible de se créer soi-même un « moi » et une identité à la carteii comme notre société moderne le prétend. Il en résulte une crise identitaire inévitable.

Nous vivons dans une société où chacun est poussé à vivre selon son mode de vie particulier – même si sous le poids de la culture consuméristeiii et du spectacleiv tous deux inhérents à nos sociétés, les gens finissent par agir de façon mimétique et ultra-conformiste – et dans ce contexte, les différentes communautés n’ont alors que trop peu de choses en commun. Ces dernières doivent se tolérer (expression qui revient souvent dans le livre) mutuellement mais comme le rappelle Christopher Lasch : « la tolérance sans valeur commune n’est qu’indifférence »v.  La ghettoïsation confinant les communautés entre-elles accentue le phénomène. Dans cette situation, les clichés issus des anciennes sociétés colonialesvi persistent. Plus grave, l’expulsion des classes populaires « franco-françaises » vii des métropoles a créé le fantasme d’une France fracturée entre immigrés (ou fils d’immigrés) pauvres et Blancs bourgeois ou issus des classes moyennes éduquées.

Le danger derrière tout cela est d’accoucher d’une France réellement communautaire. S’il est normal et légitime que des gens issus d’une même culture (et souvent également d’une même réalité sociale) se sentent naturellement attirés les uns vers les autres, le communautarisme – contrairement à ce que pense l’auteur – est plus que cela. Un pays communautariste est un pays organisé en communautés séparées voire antagonistes. Il en résulte quatre problèmes principaux : un affaiblissement démocratiqueviii, un risque de reproduction de discrimination par la ghettoïsationcix , une paralysie du changement social (parce que les intérêts communautaires s’opposent aux intérêts de classesx) et un risque de guerre de tous contre tous. Des problèmes sur lesquels devront un jour se pencher réellement les politiques quand on sait que jusqu’à présent la gauche de pouvoir s’est surtout bornée à instrumentaliser les « diversitaires » – comme ils aiment les appeler – et que la droite dite « républicaine » est souvent tombée dans la stigmatisation, sans parler de l’extrême droite…


i Dans Après la démocratie, Emmanuel Todd explique même que cette perte de croyances collectives est le fait le plus marquant de notre époque contemporaine

ii Voir La Culture de l’égoïsme de Christopher Lasch & Cornélius Castoriadis

iii Voir La société de consommation de Jean Baudrillard

iv Voir La société du spectacle de Guy Debord

v Voir La Révolte des élites de Christopher Lasch

vi Pour la fabrication des clichés par le colonialisme, voir par exemple Peaux noires, masques blancs de Frantz Fanon. Fanon y explique comment la division de la société débouche sur des représentations psychiques précises. Si les institutions coloniales ont aujourd’hui disparus, il est fort probable que les représentations raciales qu’elles ont engendré perdurent encore, au moins pour certaines d’entre-elles.

vii A ce propos, lire Les fractures françaises du géographe Christophe Guilluy

viii Voir Du Contrat Sociale de Jean-Jacques Rousseau, où le philosophe explique clairement comment la défense d’intérêts particuliers de groupes communautaires peut s’opposer frontalement à l’intérêt général.

ix Chose qu’explique très bien Christopher Lasch dans La Révolte des élites : « Si nous pouvons surmonter les fausses polarisations que suscite aujourd’hui la politique dominée par les questions de sexe et de race, peut-être découvrirons-nous que les divisions réelles restent celles de classes ».

x Voir les travaux de Thomas Schelling, lauréat du prix Nobel d’économie en 2005 et notamment son article intitulé Dynamic Models of Segregation (Modèles dynamiques de ségrégation) publié en 1971 où il montre comment ségrégation peut apparaître sans racisme, juste par préférences communautaires : http://sweetrandomscience.blogspot.fr/2013/08/rediffusion-de-lete-theorie-du-ghetto_19.html