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Frantz Fanon : « Je ne suis pas esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères »

En 1952, le psychiatre martiniquais Frantz Fanon publie « Peau noire, masques blancs ».  Ce livre important traite de l’héritage psychologique héritée du colonialisme et son influence sur les rapports entre noirs et blancs. Un texte magnifique qui s’ouvre avec une citation tout aussi belle d’Aimé Césaire (« Discours sur le colonialisme ») : « Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. » Je reproduis ici une partie de sa conclusion, qui reste d’actualité.

Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la Tour substantialisée du Passé. Je suis un homme, et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre. Je ne suis pas seulement responsable de la révolte de Saint-Domingue. Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte.

En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle. En aucune façon je ne dois m’attacher à faire revivre une civilisation nègre injustement méconnue. Je ne me fais l’homme d’aucun passé. Je ne veux pas chanter le passé aux dépens de mon présent et de mon avenir.

« Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. »

[…]

N’ai-je donc pas sur cette terre autre chose à faire qu’à venger les Noirs du XVIIe siècle ? Dois-je sur cette terre, qui déjà tente de se dérober, me poser le problème de la vérité noire ? Dois-je me confiner dans la justification d’un angle facial ? Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de rechercher en quoi ma race est supérieure ou inférieure à une autre race.

« Je suis solidaire de l’Être dans la mesure où je le dépasse. »

Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de me préoccuper des moyens qui me permettraient de piétiner la fierté de l’ancien maître. Je n’ai ni le droit ni le devoir d’exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués. Il n’y a pas de mission nègre ; il n’y a pas de fardeau blanc.

Je me découvre un jour dans un monde où les choses font mal ; un monde où l’on me réclame de me battre ; un monde où il est toujours question d’anéantissement ou de victoire. Je me découvre, moi homme, dans un monde où les mots se frangent de silence ; dans un monde où l’autre, interminablement, se durcit.

Non, je n’ai pas le droit de venir et de crier ma haine au Blanc. Je n’ai pas le devoir de murmurer ma reconnaissance au Blanc. Il y a ma vie prise au lasso de l’existence. Il y a ma liberté qui me renvoie à moi-même. Non, je n’ai pas le droit d’être un Noir. Je n’ai pas le devoir d’être ceci ou cela… Si le Blanc me conteste mon humanité, je lui montrerai, en faisant peser sur sa vie tout mon poids d’homme, que je ne suis pas ce “Y a bon banania » qu’il persiste à imaginer.

Je me découvre un jour dans le monde et je me reconnais un seul droit : celui d’exiger de l’autre un comportement humain. Un seul devoir. Celui de ne pas renier ma liberté au travers de mes choix.

Je ne veux pas être la victime de la Ruse d’un monde noir. Ma vie ne doit pas être consacrée à faire le bilan des valeurs nègres. Il n’y a pas de monde blanc, il n’y a pas d’éthique blanche, pas davantage d’intelligence blanche. Il y a de part et d’autre du monde des hommes qui cherchent. Je ne suis pas prisonnier de l’Histoire. Je ne dois pas y chercher le sens de ma destinée.

Je dois me rappeler à tout instant que le véritable saut consiste à introduire l’invention dans l’existence. Dans le monde où je m’achemine, je me crée interminablement. Je suis solidaire de l’Être dans la mesure où je le dépasse.

« Je n’ai pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du passé. »

Et nous voyons, à travers un problème particulier, se profiler celui de l’Action. Placé dans ce monde, en situation, “embarqué” comme le voulait Pascal, vais-je accumuler des armes ? Vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ? Vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la Culpabilité dans les âmes ?

La douleur morale devant la densité du Passé ? Je suis nègre et des tonnes de chaînes, des orages de coups, des fleuves de crachats ruissellent sur mes épaules. Mais je n’ai pas le droit de me laisser ancrer. Je n’ai pas le droit d’admettre la moindre parcelle d’être dans mon existence. Je n’ai pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du passé. Je ne suis pas esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères.

« Le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc. »

[…]

Moi, l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose : Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve. Le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc. Tous deux ont à s’écarter des voix inhumaines qui furent celles de leurs ancêtres respectifs afin que naisse une authentique communication. Avant de s’engager dans la voix positive, il y pour la liberté un effort de désaliénation. Un homme, au début de son existence, est toujours congestionné, est noyé dans la contingence. Le malheur de l’homme est d’avoir été enfant. C’est par un effort de reprise de soi et de dépouillement, c’est par une tension permanente de leur liberté que les hommes peuvent créer les conditions d’existence d’un monde humain.

Pour aller plus loin :

Orelsan, reflet d’une génération qui n’arrive pas à vieillir

Article initialement publié le 21 janvier 2018 sur Le Comptoir

« La fête est finie », troisième album solo d’Orelsan a été certifié triple disque de platine (300 000 ventes) en deux mois. Le rappeur caennais se paye même le luxe d’être le grand  favori des Victoires de la musique 2018, avec trois nominationsUn succès commercial logique pour celui qui se fait l’écho du malaise de la génération Y.

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Ludovic Villard : « J’aime la brièveté en poésie »

Article publié initialement le 20 septembre 2017 sur Le Comptoir

Connu par les amateurs de (bon) rap sous le blaze de Lucio Bukowski, Ludovic Villard a créé il y a quelques mois avec son frangin Philippe Villard-Mondino et Mickaël Jimenez-Mathéossion Les Gens du Blâme, maison d’édition lyonnaise dédiée à la littérature. Reconnu pour sa plume, Ludovic en a profité pour sortir un recueil de poèmes intitulé « Je demeure paisible au travers de leurs gorges », en rupture de stock peu de temps après sa sortie . « L’ouvrage se compose de quatre parties rassemblant des poèmes de formes différentes, du quatrain au haïku, en passant par l’aphorisme et le vers libre. Le temps, la beauté, l’ivresse, le refus et la mort sont les thèmes, chers à l’auteur, que vous retrouverez tout au long de cette publication », explique l’éditeur sur son site. Une nouvelle occasion pour Le Comptoir de le rencontrer.

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La Guerre des gauches, premier bilan

Mon premier essai, La guerre des gauches , publié aux éditions du Cerf est en librairie depuis le 7 avril. Petit récapitulatif sur la promo :

Cédric Biagini : « La décroissance est aussi une sensibilité au monde »

Entretien publié initialement sur Le Comptoir le 5 juin 2017

Ancien militant du collectif Offensive libertaire et sociale (OLS), Cédric Biagini a fondé en 2005, avec Guillaume Carnino L’échappée, maison d’édition libertaire, qui se distingue notamment par ses écrit technocritiques. Il est d’ailleurs l’auteur de « L’Emprise numérique : Comment Internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies ». Il chronique régulièrement dans le mensuel d’écologie radicale « La Décroissance ». Biagini vient de coordonner avec Pierre Thiesset (Le Pas de côté) et David Murray (Écosociété) la publication de « Aux origines de la décroissance : cinquante penseurs », un ouvrage présentant les auteurs ayant inspiré l’écologie radicale, et qui regroupe des contributions de plusieurs intellectuels (Aurélien Bernier, Jean-Claude Michéa, François Jarrige, Vincent Cheynet, Patrick Marcolini, Thierry Paquot, Mohamed Taleb, Renaud Garcia, etc.).

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Pour une République décente

Article publié le 14 février 2017 sur le Comptoir

Représentants politiques pris dans des affaires judiciaires et police violente, la décence semble bien avoir déserté notre République. À travers Fillon et l’affaire Théo se dessine un système à bout de souffle.

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Bilan rap 2016

Dossier collectif publié sur le site ReapHit le 30 décembre 2016

Alors que les puristes prophétisent la mort du rap depuis le début des années 2000, force est de constater qu’il ne se porte pas si mal que ça. Car 2016 est une année aussi riche musicalement que les précédentes.

Comme en 2015, l’événement rap français de l’année est assurément PNL. Après avoir conquis l’Hexagone avec Le Monde chico, les frères Andrieu ont choisi d’entrer définitivement Dans la légende. Pour ce nouvel opus, Ademo et N.O.S. ont repris la même formule. Il est toujours autant question d’argent, de trafic, de leur famille ou de dessins-animés. La musique est toujours aussi hypnotique, quoique ce nouveau disque se révèle plus posé que le précédent. La recette fait mouche, puisque les frères ont vendu 51 957 albums en une semaine. Trois mois plus tard, PNL est triple disque de platine avec plus de 300 000 disques écoulés. Les clips de « Naha » et « Onizuka » sont également de francs succès sur YouTube. Ademo et N.O.S. se sont cependant peut-être trouvé un concurrent de poids en la personne de Nekfeu. Après une année 2015 marquée par la sortie de son premier album solo, Feu – qui a connu un vrai succès commercial, à défaut d’être une grande réussite artistique – le « petit grec » revient en forme. C’est d’abord avec ses potes du S-Crew (Nekfeu, Mekra, Framal, 2zer Washington), que le MC du XVe se présente, avec le générique français du film Creed : l’héritage de Rocky Balboa, puis avec leur deuxième album intitulé Destins liés. Ce dernier est certifié d’un disque d’or (50 000 ventes). Mais c’est avec son album surprise, Cyborg, annoncé le 2 décembre, que le rappeur actif mouvement social Nuit debout, fait vraiment sensation. Mieux écrit et plus engagé – sans tomber dans le « rap conscient » pour autant – que Feu, le disque est certifié disque de platine en deux semaines avec 106 000 exemplaires vendus (physique, digital et streaming).

2016, c’est aussi le retour de Seth Gueko, qui nous livre avec Barlou son meilleur album depuis longtemps. Souvent trop irrégulier, le rappeur exilé en Thaïlande – qui y connaît « des problèmes d’immigration » –, plus anarchiste que jamais, ne nous déçoit pas cette fois. Autre retour, encore plus attendu, celui de Despo Rutti. Revenu de HP et converti au judaïsme, le MC nous lâche Majster – où apparaissent notamment Seth Gueko, Lino et Kaaris –, un double album stratosphérique. Torturé, sombre et délirant, avec son intro de 17 minutes, ce disque, qualifié par nos confrères de Captcha de « plus grand album de l’année 2016 » mérite plus qu’une oreille attentive. Avec ce nouvel opus, Despo nous prouve qu’il est un génie encore trop incompris. Mais 2016 en France, c’est également les deux très bons albums de l’hyperactif Lucio Bukowski (ODERUNT POETAS avec Oster Lapwas et HOURVARI avec Milka), le premier disque de Damso, nouvelle perle belge du 92i qui confirme tout le bien que l’on pensait de lui, et le retour gagnant de Georgio, qui s’affirme comme l’un des espoirs du hip hop hexagonal.

Outre-Atlantique, après Kendrick Lamar, c’est à son compère Schoolboy Q d’écraser la concurrence. Avec Blank Face LP aux sonorités gangsta, le MC originaire de Los Angeles nous rend une copie plus propre que son bon mais irrégulier Oxymoron sorti deux ans auparavant. Des producteurs aux invités, rien n’est laissé au hasard par Schoolboy Q. On retiendra « THat Part », morceau phare de l’album, où collabore l’autre rappeur américain de l’année 2016 : Kanye West. Les grands médias se focalisent sur les déboires et extravagances de sa femme Kim Kardashian, qu’on en oublierait que Kanye est avant tout un grand artiste. The life of Pablo, où on retrouve notamment Kendrick Lamar, Chance The Rapper, Frank Ocean ou Kid Cudi, nous le rappelle. Parfaitement produit, cet album a en plus bénéficié d’une promo de qualité, avec le retour des G.O.O.D. Fridays : comme en 2010 avec My Beautiful Dark Twisted Fantasy, chaque vendredi un morceau inédit, faisant parti ou pas du disque est dévoilé. Une formule qui réussit toujours. En conclusion, si 2015 aura été l’année des révélations, 2016 a été celle des confirmations. Et on ne s’en plaindra pas.

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Philippe Vion-Dury : « Le vrai visage de la Silicon Valley, c’est celui du capitalisme prédateur »

Entretien publié le 28 octobre 2016 sur Le Comptoir

Phillipe Vion-Dury est journaliste, spécialiste des questions de société, des nouveaux modèles économiques et des technologies. Il vient de sortir aux éditions Fyp son premier essai intitulé « La nouvelle servitude volontaire ». Il y analyse la nouvelle société numérique qui est en train d’être érigée par les startups de la Silicon Valley, en Californie.

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Pour survivre, la gauche devrait-elle abandonner le progrès?

Article publié initialement sur Slate.fr le 21 juillet 2016

La gauche reste accrochée au progrès. Mais le progrès qu’elle plébiscite est celui de la technologie et des machines, le tout au service des élites. C’est en tout cas ce que tentent de prouver les deux livres à contre-courant «Le Progrès sans le peuple» et «Le Progrès m’a tuer».

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