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Mexico 68 : Des Jeux olympiques très politisés

Article initialement publié le 27 juillet 2018 sur Le Média presse

L’image est aujourd’hui célèbre : sur le podium, deux athlètes noirs américains le poing levé, en référence au Black Panther Party. Elle intervient dans un contexte politique très particulier.

C’est à Baden-Baden, en 1963, que l’histoire s’est noué. Le 18 octobre, le Comité international olympique, réuni dans la ville allemande où se réfugie le général de Gaulle lors des événements de Mai 68, décide que les J.O. auront lieu pour la première fois dans un “pays en voie de développement”. La capitale mexicaine devance Détroit, Lyon, mais aussi Buenos Aires. Cependant personne ne peut anticiper à ce moment le contexte politique national et international et son poids dans la compétition.

DE L’ASSASSINAT DE MARTIN LUTHER KING À TLATELOLCO

1968 est une année très spéciale. Le 4 avril, Martin Luther King est assassiné, à l’âge de 39 ans. Trois ans après Malcolm X, le mouvement contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis perd son autre grande figure. Pourtant le combat est loin d’être fini. Le flambeau avait déjà été repris un an et demi plus tôt. Le 15 octobre 1966, le Black Panther Party for Self-Defense (BPP) voit le jour à Oakland, en Californie. Inspirés par Mao, Frantz Fanon et Malcolm X, Bobby Seale et Huey P. Newton montent un groupe révolutionnaire, antiraciste, anti-impérialiste et marxiste-léniniste, qui aura un écho planétaire. En 68, le BPP a déjà atteint l’âge de la maturité. Le mouvement pour les droits civils n’est pas le seul à bouillir aux Etats-Unis. Depuis 1964, le mouvement d’opposition à la guerre du Viêt Nam, démarrée neuf ans plus tôt, a pris de l’ampleur et crée une nouvelle génération de militants politiques, pacifistes et anti-impérialistes, voire tiers-mondistes. Enfin, Bob Kennedy, favori pour être investi par le Parti démocrate, est tué le 6 juin 1968, cinq ans après son frère John.

De l’autre côté de l’Atlantique, la situation est aussi explosive. Tout le monde a en tête le mouvement étudiant et ouvrier de Mai 68, mais il n’est pas le seul. Plus à l’Est, la Tchécoslovaquie est en ébullition. Alexander Dubček, Parti communiste tchécoslovaque, veut introduire un “socialisme à visage humain”, en rupture avec l’URSS. Une nouvelle constitution plus démocratique, qui reconnaît l’égalité entre Slovaques et Tchèques, est mise en place. Les libertés de la presse, d’expression et de circulation sont introduites. L’URSS voit néanmoins d’un mauvais œil cette prise d’autonomie d’un de ses satellites. Prague est occupée en août par les troupes du Pacte de Varsovie, soit plus de 400.000 soldats. La petite révolution en cours est écrasée. A la rentrée 1968 règne alors un vent de contestation et une aspiration à la liberté, réprimée par la bourgeoisie. Le Mexique, où doivent se dérouler les XIXe Jeux olympiques d’été, cette fois en octobre à cause du climat local, est lui aussi touché.

Le pays a connu cinquante-huit ans auparavant, une révolution, qui a mis fin au système féodal qui régnait alors. Issu du Parti de la révolution mexicaine (PRM), le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) est au pouvoir depuis 1946. Alors qu’il se présente comme un parti de gauche, membre de l’International socialiste, il satisfait en réalité d’abord la bourgeoisie. A partir de juillet, les étudiants mexicains et imitent leurs homologues français. Le régime doit alors faire face à une contestation estudiantine sans précédent. A quelques jours des J.O., celle-ci ne faiblit pas. Le PRI, instrumentalisé par la CIA, soupçonne l’URSS et Cuba d’être derrière cette révolte. C’est ainsi que le 2 octobre, à 18 heures, les soldats postés sur les immeubles entourant la place tirent sur 8.000 étudiants désarmés sur la place des Trois Cultures à Tlatelolco. Dans le même temps, les dirigeants du Conseil national de grève étaient conduits au “Camp militaire n°1”. La presse officielle affirme qu’il s’agit d’affrontement entre soldats et étudiants. Le nombre de victimes est encore aujourd’hui sujet à débat. Le gouvernement parle de 44 morts, quand l’opposition en évoque plus de 300. Quoiqu’il en soit, le PRI fait la démonstration de son autoritarisme, 10 jours avant d’accueillir des J.O. qui feront date.

UN PODIUM CONTESTATAIRE

C’est dont le 12 octobre que Mexico accueille les jeux, les premiers à plus de 100 pays (112 exactement). La délégation américaine arbore dans sa large majorité – Blancs et Noirs confondus – sur son veston un badge portant l’inscription « Olympic project for human rights » (« Projet olympique pour les droits humains »). Certains craignent un sabotage, mais les athlètes afro-américains expliquent qu’ils désirent juste porter la lutte pour les droits civiques. C’est chose faite, quatre jours plus tard, le 16 octobre, lors du 200 m le plus célèbre de l’histoire. En 19 s. 83, l’Américain Tommie Smith explose le record mondial, suivi par l’Australien Peter Norman (20 s. 06) et par son compatriote John Carlos (20 s. 10). Le champion se permet même de relâcher ostensiblement son effort durant les derniers mètres de la course, en levant les bras au ciel en signe de victoire.

Le lendemain, lors de la montée sur le podium, Smith et Carlos sont vêtus de chaussettes noires montantes, symbole de la pauvreté des Noirs. Les deux coureurs lèvent un poing ganté de noir, symbole associé au Black Panther Party, en baissant la tête, fuyant du regard le drapeau national. Dans le même temps, le vainqueur porte un foulard et le troisième un maillot ouvert. Les deux sont des références explicites au lynchage et l’esclavage des Noirs, qui les aliènent encore. A ce moment, plusieurs autres athlètes américains portent le badge « Olympic project for human rights », tout comme Peter Norman. Ce dernier, qui estime que le combat pour les droits civiques « est aussi celui de l’Australie blanche », est un acteur à part entière de la scène. C’est lui qui suggère aux deux Afro-américains de partager la seule paire de gants, Carlos ayant oublié les siens. Il pose également sa paire de Puma Suede pour rappeler que les afro-américains n’ont même pas le moyen de s’offrir ce type de chaussures. Le moment est figé par le photographe John Dominis. « Après ma victoire, l’Amérique blanche dira que je suis Américain, mais si je n’avais pas été bon, elle m’aurait traité de “négro” », explique John Carlos aux journalistes. Tommie Smith, lui, affirme n’avoir « d’autre but que de dénoncer la pauvreté des noirs américains ».

Les sanctions tombent immédiatement, comme les insultes et autres menaces de mort. Avery Brundage, président réactionnaire du Comité international olympique, juge ce geste scandaleux et demande aux officiels américains l’exclusion de Carlos et Smith. Doug Roby, président du Comité olympique des États-Unis, finit par renvoyer les deux athlètes, qui ne participeront plus de leur vie à d’autres J.O. Peter Norman, lui, ne sera pas autorisé à participer aux jeux de 1972, qui se dérouleront à Munich, par le Comité olympique australien. Mais peu importe, le geste fait mouche. Le lendemain, trois autres vainqueurs afro-américains du 400 m, Lee Evans, Larry James et Ron Freeman, se présenteront sur les marches du podium avec un béret noir, autre référence à l’injustice qui persiste, sans se faire exclure. Quelques jours après ils remportent le 4 x 400 m et dédient leur médaille à Smith et Carlos. Cinquante ans après, les deux athlètes demeurent des héros politiques, comme on n’en trouve plus dans le monde du sport.

Le football est-il une zone d’autonomie populaire à défendre ?

Article initialement publié le 26 juin 2018 sur Le Média presse

Derrière le spectacle capitaliste, le football reste un sport populaire et collectif. Mais pour combien de temps ?

Depuis le jeudi 14 juin, c’est parti pour un mois de football. Difficile d’échapper au sport le plus populaire du monde et à la deuxième compétition sportive la plus regardée (avec 3,2 milliards de téléspectateurs pour l’édition 2010), juste après les Jeux olympiques. Pendant des semaines, les journalistes vont nous gratifier de leurs commentaires sur la qualité du jeu ou des buts. Le coût exorbitant de la Coupe du monde, qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros, les droits TV, sans oublier les salaires indécents des joueurs, seront aussi évoqués. Anne-Sophie Lapix a d’ailleurs lancé les hostilités. « La Coupe du monde de football débute demain et on va pouvoir regarder des millionnaires courir après un ballon » a rallié la journaliste lors du journal de 20h de France 2 du 13 juin. « Mépris de classe », s’est alors excité la toile, la forçant à présenter ses excuses. Si derrière la détestation du foot peut se nicher du dédain pour la populace, juste bonne à s’aliéner, ce n’est pas toujours le cas. Car, avouons-le, ce sport se rapproche chaque jour de l’indécence capitaliste. Pourtant, il est impossible de le résumer à cela. Le philosophe socialiste Jean-Claude Michéa a expliqué que dans le ballon rond, « il reste donc, en réalité, d’innombrables zones d’autonomie populaire à défendre. » Car le foot demeure plus complexe qu’il n’y paraît et oscille encore entre pratique populaire et spectacle capitaliste.

« Le sport est un phénomène de civilisation tellement important qu’il ne devrait être ni ignoré ni négligé par la classe dirigeante et les intellectuels. » Pier Paolo Pasolini

Au commencement était le passing game… ou presque

On l’oublie souvent, mais le football est à l’origine un sport aristocratique. Né dans la première moitié du XIXe siècle, il est pratiqué dans les public school, écoles privées victoriennes. Il véhicule alors les valeurs d’aloirs : les joueurs se doivent d’être héroïques. L’organisation stratégique et la solidarité collective sont inexistantes. Le dribbling game, est alors en vogue. Tout bascule le 31 mars 1883. Ce jour-là, le Blackburn Olympic se hisse en finale de la FA Cup, plus vieille compétition de football créée douze ans auparavant. Il s’agit du premier club ouvrier qui parvient à ce niveau, avec, en prime, un jeu très collectif. En remportant 2-1 le match décisif face aux Old Etonians, équipe issue de la plus prestigieuse école du pays, Eton, Blackburn inaugure une nouvelle ère. Il transforme le football en sport populaire et met au goût du jour le passing game. Le ballon rond ne sera plus jamais le même. Quelques décennies plus tard, George Orwell dira que « personne ne peut joueur au football tout seul. » Enfin, cette victoire accélérera paradoxalement aussi le passage au professionnalisme impulsé par les clubs du bassin industriel. C’est ainsi, comme le souligne Michéa dans Le plus beau but était une passe (Climats, 2014), le foot devient « le premier sport moderne dont les classes ouvrières britanniques […] se sont très vite approprié l’essentiel de la pratique. » Au point de devenir, selon la formule de l’historien marxiste Éric Hobsbawm, la « religion laïque du prolétariat britannique ». C’est le rugby qui reprendra le flambeau du sport aristocratique et amateur.

Nouveau symbole de la lutte des classes, le football subit alors le mépris des élites. Peu à peu, il se diffuse par-delà la Manche et touche tout le Vieux Continent, ou presque, et l’Amérique latine. Le cofondateur du Parti communiste italien Antonio Gramsci voit dans ce sport un « royaume de la liberté humaine exercé au grand air. » Mais pas pour longtemps, car les chefs d’Etat comprennent rapidement l’intérêt qu’il peut présenter pour eux, en terme de contrôle des masses. Ainsi, l’Italie fasciste remporte la deuxième et la troisième Coupe du Monde, en 1934 et 1938. De même, le Real Madrid, club chouchou de Franco, glane les cinq premières Coupe des clubs champions – ancêtre de la Ligue des Champions – de l’histoire, entre 1956 et 1960. Dans Comment ils nous ont volé le football (Fakir éditions, 2014), François Ruffin et le regretté Antoine Dumini évoquent aussi le cas du mondial de 1966, la peu glorieuse “World Cup des arbitres”. La raison de ce surnom est simple : les erreurs d’arbitrage ont joué un rôle décisif dans le sort des équipes durant la compétition. En pleine guerre froide et décolonisation, le Nord décide de prendre sa revanche sur le Sud et l’Est. La Coupe du Monde anglaise en sera le théâtre. Entre fautes non sifflées et expulsions injustifiées, l’arbitrage s’avère être catastrophique. Les Sud-américains sont vite écartés de la compétition – en commençant par la Seleção de Pelé archi-favorite et double tenante du titre, jusqu’aux Argentins traités d’ »animals » par le directeur technique anglais –, puis c’est au tour de l’URSS. La finale oppose l’Allemagne à l’Angleterre. Le pays organisateur remporte le seul titre mondial de son histoire, dans des conditions plus que discutables. Douze ans plus tard, le mondial remporté par l’Argentine à domicile sert de vitrine à la dictature militaire en 1976.

Pourtant des espaces d’autonomie subsistent. Le Brésil gagne à nouveau en 1970, avant l’Argentine en 1978. Le FC Barcelone constitue un bastion de résistance populaire au Real Madrid. Enfin, des joueurs se montrent héroïques, comme le Chilien Carlos Caszely qui refuse de serrer la main de Pinochet lors de la Coupe du monde 1974. Enfin, comment ne pas évoquer le club brésilien de Corinthians, et de sa star, le Dr Sócrates, qui défend radicalement la démocratie et l’autogestion en pleine dictature militaire dans les années 1980. Enfin, la ferveur et le beau jeu persistent. Des entraîneurs comme Gusztáv Sebes, sélectionneur du Onze d’or hongrois des années 1950, ou Bill Shankly, qui a façonné le FC Liverpool dans les années 1960 et 1970, se revendiquent du socialisme ou du communisme. Mais le capitalisme achèvera ce que les régimes autoritaires avaient tenté, en soumettant complètement le football.

La marchandisation du football

L’élection du brésilien Joao Havelange à la tête de la Fédération internationale de football association (FIFA) le 10 juin 1974 fait entrer le football de plein pied dans le capitalisme. Le businessman ne s’en cache pas, il est « là pour vendre un produit appelé football. » Le ballon rond s’intègre au fil du temps à la société du spectacle, « l’accomplissement sans frein des volontés de la raison marchande », d’après Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle (éditions Gérard Lebovici, 1988). Des contrats juteux avec Adidas et Coca-Cola, nouveaux sponsors officiels de la FIFA, garantissent des entrées d’argent supérieures au nécessaire. Un nouveau pallier est franchi en décembre 1995, avec l’arrêt Bosman. Ce décret de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), qui porte le nom de son inspirateur, le médiocre défenseur belge Jean-Marc Bosman, garantit la liberté de circulation des joueurs au sein de l’Union européenne. Accordé pour les meilleures raisons du monde, ce droit va s’avérer être le meilleur allié du capitalisme en favorisant l’inflation des transferts et des prix des superstars. Ensuite, Sepp Blatter, qui devient directeur de la FIFA en 1998, accélère les choses.

Les niveaux d’endettement des clubs, de plus en plus détenus par des milliardaires ou des fonds financiers, atteignent des records, pendant que les bulles sur les transferts et les droits TV – qui éclateront probablement un jour – enflent. Les joueurs Africains ou d’Amérique latine, aux coûts plus faibles se prolétarisent. Leurs conditions se rapprochent parfois de l’esclavage. Le jeu aussi subit des transformations. La mondialisation harmonise les jeux. Fini le joga bonito brésilien, « football de poésie » selon Pier Paolo Pasolini (Les terrains : écrits sur le sport, Le Temps des cerises, 2012), la Seleção s’adapte à la rationalité européenne. De plus en plus d’équipes jouent pour encaisser moins de buts que leurs adversaires, plutôt que de jouer pour en marquer plus. Le catenaccio ultra-défensif, pratiqué par les Italiens se diffuse. En 1998, Aimé Jacquet fait même triompher l’équipe de France avec pour mot d’ordre « le beau jeu est une utopie ». Le culte de la performance transforme les joueurs en robots transhumains. Johan Cruyff, et ses soixante clopes par jour ou les attaquants rock’n’roll comme George Best ne sont plus. Avant les joueurs, jusqu’à Platini, pouvaient ressembler à nos voisins. Aujourd’hui, malgré une technique exceptionnelle Cristiano Ronaldo ne dégage rien. Les prolétaires sont tenus à l’écart de certains stades, comme en Angleterre où le prix des places a augmenté de manière démesurée.

Enfin, les institutions footballistiques font tout pour préserver les grandes nations ou les grands clubs des grandes compétitions, en augmentant les places qualificatives, afin d’éviter des éliminations surprises, coûteuses sur le plan financier, quitte à tuer le suspens, élément crucial dans le foot. L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano résume parfaitement la situation dans Le Football : Ombre et lumière (Climats, 1997) : « L’histoire du football est un voyage triste, du plaisir au devoir. À mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer. En ce monde de fin de siècle, le football professionnel condamne ce qui est inutile, et est inutile ce qui n’est pas rentable. […] Le jeu est devenu spectacle, avec peu de protagonistes et beaucoup de spectateurs, football à voir, et le spectacle est devenu l’une des affaires les plus lucratives du monde, qu’on ne monte pas pour jouer mais pour empêcher qu’on ne joue. La technocratie du sport professionnel a peu à peu imposé un football de pure vitesse et de grande force, qui renonce à la joie, atrophie la fantaisie et proscrit l’audace. »

Une réalité plus nuancée

Existe-t-il encore des raisons de se passionner pour le football ? Dans leur livre, Antoine Dumini et François Ruffin trouvent dans le foot amateur, avec l’exemple de l’Olympique eaucourtois, des raisons d’espérer. Les auteurs rappellent ces bénévoles animés par « la joie de jouer pour jouer » et l’envie de transmettre leur passion, loin de tout calcul économique. Ils évoquent « le miracle des maillots pliés », repris en décembre dernier par le député lors d’un discours mémorable dans l’hémicycle. François Ruffin entend par-là le travail de l’ombre de ceux qui apportent l’aide logistique qui permet au foot amateur d’exister. N’oublions pas que le foot professionnel n’existerait pas sans ces îlots de solidarité et de désintéressement. Rappelons-nous aussi que le foot amateur nous nourrit régulièrement d’exploits en Coupe de France, comme celui des Herbiers, club de troisième division qui a réussi à se hisser en finale cette année face à l’ogre parisien. Ajoutons ceux qui maintiennent allumées les braises de la rébellion contre le système, comme le Red Star ou le Ménilmontant FC 1871, club antifasciste et autogéré. Il est néanmoins un peu simpliste de croire que seul le foot amateur ou semi-professionnel peut encore procurer du plaisir. Car c’est d’abord parce que les sportifs de haut niveau procurent des émotions incomparables qu’ils transmettent leur passion aux amateurs.

« Par bonheur, on voit encore sur les terrains, très rarement il est vrai, un chenapan effronté qui s’écarte du livret et commet l’extravagance de feinter toute l’équipe rivale, et l’arbitre, et le public dans les tribunes, pour le simple plaisir du corps qui se jette dans l’aventure interdite de la liberté », souligne Edouardo Galeano. Les premiers matchs de cette Coupe du Monde, de l’extérieur de Quaresma contre l’Iran à la frappe de Coutinho face à la Suisse, en passant par la tête de Yerry Mina sur une passe remarquable de James Rodriguez, sont là pour nous le remémorer. La dernière Ligue des champions nous a aussi gratifié de deux formidables retournés madrilènes, de Cristiano Ronaldo en quarts de finale contre la Juventus Turin et de Gareth Bale en finale face à Liverpool. « Il y a dans le football des moments qui sont exclusivement poétiques : il s’agit des moments du but. Chaque but est toujours une invention, est toujours une subvention du code : chaque but a un caractère inéluctable, est foudroiement, stupeur, irréversibilité. Telle la parole du poète », théorisait Pier Paolo Pasolini. Près de 43 ans plus tard, la logique marchande n’a pas encore tout détruit et les propos du poète restent d’actualité… Mais pour combien de temps ?

Légende : Tag à Bagnolet en 2015

Crédits : Kévin Boucaud-Victoire

Zidane peut-il réussir ailleurs qu’au Real Madrid

Article initialement publié le 31 mai 2018 sur Le Média presse

En annonçant son départ du Real Madrid, où il a tout gagné, Zidane crée un petit séisme dans le monde du foot. L’entraineur va paradoxalement devoir faire à nouveau ses preuves, après avoir pourtant battu tous les records.

« J’ai pris la décision de ne pas continuer. » C’est avec ces quelques mots que Zinédine Zidane a annoncé une des décisions les plus difficiles de sa vie, cinq jours après sa troisième victoire d’affilé en Ligue des champions. « Je pense que c’est le bon moment pour tout le monde », a-t-il renchéri. Pouvait-il réellement en être autrement ? Ce genre de champion ne peut pas se satisfaire de la victoire et a toujours besoin de se surpasser, ce qui n’est pas possible quand on survole les débats depuis trois ans. Le Français a expliqué son choix : « Je devais le faire. Je souhaite à cette équipe de continuer à gagner, et pour ça elle a besoin de voir autre chose, d’entendre un autre discours. » Et ajoutons que dans le football contemporain 29 mois pour un entraîneur, c’est presque long. A titre de comparaison, parmi les 16 entraîneurs présents en huitième de finale de Ligue des champions, seuls quatre dépassent Zizou en termes de longévité : Allegri (Juventus), Pochettino (Tottenham) – qui selon les premières rumeurs pourraient le succéder sur le banc des Merengue –, Klopp (Liverpool) et Senol Güne au Besiktas.

Un parcours exceptionnel

Deux questions se posent à ce jour. La première : où ira Zidane, qui affirme avoir besoin de temps pour réfléchir ? Vers un autre grand club ou remplacer son ancien coéquipier Didier Deschamps à la tête de l’équipe de France ? « J’étais joueur de cette équipe de France, oui ça serait bien, un jour de l’entraîner, mais pour le moment il y a un entraîneur en place (Didier Deschamps) qui fait un boulot formidable, mais oui j’ai cet objectif, cette ambition », a déjà prévenu Zizou en mars 2015. Petit bémol : Deschamps est en contrat jusqu’en 2020. Il faudrait donc une démission du sélectionneur ou un mauvais parcours des Bleus en Russie, que personne ne souhaite, pour que cela se réalise immédiatement. La seconde question est plus subtile. Que vaut réellement Zidane comme entraîneur ? Car bien qu’il ait battu tous les records en moins de deux ans et demi, des doutes planent sur ses compétences réelles.

Les génies font rarement de grands coachs, les joueurs offensifs encore moins. Il y a certes eu Johan Cruyff, triple ballon d’or (1971, 1973 et 1974) et premier entraîneur barcelonais à remporter la Ligue des champions, en 1992, avec en prime un jeu flamboyant. Mais c’est à peu près tout. Alors quand en janvier 2016 Zidane prend la tête de l’équipe première, un doute subsiste : et si le costume était trop grand ? Laurent Blanc et Didier Deschamps semblaient taillés pour devenir coach. Mais Zidane ? L’idée ne lui a d’ailleurs traversé l’esprit que relativement tard. Il y est en fait presque poussé par la Maison Blanche, avec qui il a tout gagné comme joueur, dont la Ligue des champions en 2002 avec un but phénoménal, et par les circonstances. Mi-2009, il est élu ambassadeur du Real Madrid et devient conseiller du président Florentino Pérez. Deux ans plus tard, il remplace Jorge Valdano, comme nouveau directeur sportif des Merengue. Dans la foulée, il s’inscrit à la formation de manageur général de club sportif du Centre de droit et d’économie du sport de Limoges. Il y côtoie d’anciens joueurs comme Éric Carrière et Olivier Dacourt. Zidane reçoit son diplôme en janvier 2014. Quelques mois auparavant, l’ancien meneur de jeu devient l’entraîneur adjoint de Carlo Ancelotti. Zizou est notamment en charge de l’aspect tactique de l’équipe qui remporte la “Decima”, dixième Ligue des Champions du Real. C’est pourtant la suite qui est plus intéressante. Lors de la saison 2014-2015, le Français coache le Real Madrid Castilla, l’équipe réserve qui évolue en troisième division espagnole. C’est durant cette saison qu’il apprend réellement les rudiments du métier, en plus de décrocher le diplôme d’entraineur qui lui manquait encore. Zidane reste un an et demi à ce poste, avant de devoir remplacer au sein de l’équipe première un Rafael Benítez décrié par les supporters et les dirigeants. Les choses semblent alors précipitées et pourtant…

La suite, on la connaît tous : un titre de champion d’Espagne (2017), une Supercoupe d’Espagne (2017), deux Supercoupe de l’UEFA (2016 et 2017), deux Coupe du Monde des clubs (2017 et 2017) et surtout trois Ligue des Champions. Rappelons que Zidane a été le premier entraîneur à décrocher la prestigieuse compétition européenne deux fois consécutives, puis trois. N’oublions pas non plus qu’il a été le premier à la remporter dès sa première année sur le banc d’une équipe professionnelle. Le bilan est qu’il n’a jamais été éliminé en Ligue des Champions : du jamais vu. Pourtant, il est difficile de percevoir Zizou comme le plus grand coach, car ces trois titres semblent trop faciles.

Réinventer le métier d’entraîneur

Une chose est sûre, avec Zidane, point de révolution tactique. S’il semble attaché au 4-3-3 et prône un style offensif et une importante possession de balle, il admet volontiers ne pas « inventer le football ». En deux ans et demi, n’a pas laissé son empreinte sur le jeu du Real, ni fait preuve de fulgurance tactique, contrariement à Pep Guardiola, José Mourinho, Diego Simeone ou encore Jürgen Klopp son adversaire malheureux du 26 mai. Cette année le Real ne semblait pas plus fort que ses adversaires, que la Juventus Turin, le Bayern Munich ou Liverpool, qu’il a successivement battu. Les choix tactiques de l’ancien meneur de jeu sont bons, mais pas exceptionnels. Certains parleront du coaching gagnant de Zizou, qui fait entrer Gareth Bale, décisif et auteur du plus beau but en finale depuis… celui de son entraîneur en 2002. Certes, le Gallois n’est plus un titulaire indiscutable à cause de ses multiples blessures. Mais il demeure un grand joueur, le plus cher à ce jour du Real Madrid et le cinquième du monde (101 millions d’euros). Surtout, point de bouleversement tactique avec cette rentrée. Car, la force du Real, et donc de Zidane, réside dans un effectif exceptionnel, tant dans le onze de départ que sur le banc de touche.

Mais pourtant, la mayonnaise ne prenait plus sous Benítez, entraîneur pourtant reconnu. De son côté, le Français pour lui d’avoir été un très grand joueur, qui a en plus évolué au sein du club, respecté de tous, même d’un Cristiano Ronaldo souvent trop capricieux. Zidane a aussi l’avantage de connaître sur le bout des doigts la maison, qui compte en son sein beaucoup de jeunes pousses formées à domicile. L’ancien meneur de jeu a en quelque sorte réinventer son métier au Real, entre l’entraîneur, le manager sportif et le directeur des ressources humaines. Et il l’a fait avec un talent certain. Pourtant une question persiste : Zidane peut-il réussir hors du Real ? Les prochains mois seront décisifs. Quoiqu’il en soit, près de 20 ans après son doublée au stade de France face au Brésil, Zizou semble plus que jamais béni des dieux.

Photo : Zinédine Zidane

Crédits : Raphaël Labbé/ Flickr

Bill Shankly : le coach rouge qui a façonné Liverpool

Article initialement publié le 25 mai 2018 sur Le Média presse

Le Liverpool FC s’apprête à affronter le Real Madrid ce 26 mai en finale de Ligue des Champions, treize ans après sa dernière victoire spectaculaire. L’occasion parfaite pour se repencher sur l’homme qui a façonné le club dans les années 1960 et 1970 : Bill Shankly.
« Même le président Mao n’aurait jamais pu bâtir une aussi belle démonstration de force rouge », se vantait Bill Shankly, à propos de son équipe. Evidemment, l’entraîneur faisait référence au rouge qui orne toujours le maillot de Liverpool, mais pas seulement. Quand il quitte le banc du club en 1974, Liverpool n’est pas qu’un club de foot, c’est la fierté d’une ville ouvrière. Lorsque les joueurs de Shankly réalisent le doublée championnat d’Angleterre/Coupe de l’UEFA, le premier de l’histoire du club, l’Ecossais est plus qu’un entraîneur. C’est un « working class hero », pour reprendre les mots de John Lennon, lui-même originaire de la ville du Lancashire. Pourtant, les choses n’étaient pas écrites d’avance. « Si vous aviez vu Anfield [stade du club] quand je suis arrivé. J’ai dû moi-même apporter mon eau. Il n’y en avait pas assez pour rincer les toilettes », se remémorait-il dans la presse. Aujourd’hui encore, on ne peut rien comprendre de la ferveur populaire que suscitent les Reds, si on ne s’intéresse pas d’abord à ce personnage hors du commun qu’était Bill Shankly, disparu en 1981.

Un mec ordinaire

« Pour une fois, j’ai voulu écrire sur un type bien », résume David Peace, qui a consacré un roman à l’Ecossais, Rouge ou mort, paru en 2014. Plus qu’une simple biographie ou qu’une œuvre littéraire, The Times qualifie le livre d’ »épopée qui rappelle davantage Beowulf ou L’Iliade qu’un roman conventionnel sur le sport ». Quant au philosophe passionné de foot Jean-Claude Michéa, il affirme aux micros de France culture qu’il s’agit d’« un ouvrage majeur du socialisme« . A première vue, ces descriptions peuvent sembler exagérées. Pourtant, quelques mois après sa retraite, l’entraîneur constatait aussi « notre football était une forme de socialisme ». Néanmoins, point de théorie, ni de plan pour renverser la bourgeoisie dans le roman, comme dans la vie de Bill Shankly. Mais en racontant les quinze années de l’Ecossais à la tête de Liverpool, David Peace décrit un monde populaire, empreint de passion et de fraternité, cette fameuse décence ordinaire” (“common decency”), que l’écrivain George Orwell avait perçu chez les ouvriers de Manchester ou les anarchistes de Catalogne. Enfin, Rouge ou mort nous raconte un football qui appartient définitivement au passé. Déjà, parce que Shankly était un entraîneur dont le travail s’inscrivait dans la longueur, ce qui n’est plus possible aujourd’hui, comme en témoigne le départ de l’anachronique Arsène Wenger du banc d’Arsenal. Ensuite, même en ayant été joueur professionnel et coach d’envergure internationale, il demeurait quelqu’un d’ordinaire.

Bill Shankly quitte l’école à 14 ans pour partir travailler à la mine, comme les autres adolescents de son village. Toute sa vie, il restera ancré dans la réalité. C’est ce qui explique qu’il peut s’exclamer avant une finale importante : « La pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est essayer d’éviter de se faire virer pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense ! » Il y apprend aussi le rejet des politiciens, des propriétaires miniers et des patrons quel qu’ils soient. Une vingtaine d’années avant d’arriver à Liverpool, Shankly est déjà rouge vif. « Liverpool était fait pour moi et j’étais fait pour Liverpool », résume-t-il. Mais s’il se sent communiste, son cœur est surtout au football. C’est par ce sport qu’il arrive à s’évader. Il joue dans son village et est repéré par l’équipe nationale d’Ecosse junior. C’est grâce à cela qu’il devient professionnel. Après une carrière honorable, mais pas fabuleuse, dans des clubs moyens en Angleterre, il prend sa retraite en 1949, à l’âge de 36 ans. Il démarre alors une carrière d’entraîneur, qui ne décollera que dix ans plus tard, à Liverpool.

Un coach extraordinaire

Lorsqu’il arrive en décembre en 1959, le club végète dans le ventre mou de la deuxième division anglaise. L’équipe phare de la ville est Everton. L’éternel rival a déjà pour lui 5 titres de champions d’Angleterre et joue les premiers rôles dans l’élite, depuis sa remontée en 1954. Les conditions ne sont pas évidentes. Le public est exigeant et la direction du club est très pressante. Shankly ne s’entend pas avec ses chefs. Il a une idée bien précise du foot et se bat pour l’imposer, même quand la victoire n’est pas au rendez-vous. D’après lui, « dans un club de football, il y a une sainte trinité : les joueurs, le manager et les supporters. Les présidents n’ont rien à voir là-dedans. Ils sont juste-là pour signer les chèques. » Cela finira par payer. La ferveur populaire est déjà là et transcende tout. Trois ans après l’arrivée de Shankly, Liverpool remporte la deuxième division et monte en première division. L’histoire est en marche. Deux ans après, en 1964, les Reds renouent avec leur glorieux passé, en étant sacrés champions d’Angleterre 17 ans après leur dernier titre.

Les matchs sont épiques, surtout les derbys avec Everton et les confrontations avec les voisins de Manchester United et Manchester City. Mais pas seulement, parce que le championnat comprend aussi Arsenal, Chelsea, Nottingham Forest ou Leeds. Autant d’équipes contre lesquelles il ne faut pas perdre, à domicile comme à l’extérieur, et où chaque action est disputée. David Peace décrit ainsi un match de l’hiver 1965 ainsi : « Sur le banc, le banc d’Anfield. Dans l’air glacial, sous le vent cinglant. Bill entend les chants, les chants de Noël. Ce sont 53.430 spectateurs qui chantent Noël. Pour dégivrer l’air, pour réchauffer le vent. Pour faire bouillir l’air, pour brûler le vent. Mais sur le sol, le sol pris dans la glace, sur le terrain, le terrain dur comme de la pierre. Il n’y a pas de réjouissances, les joies de Noël n’existent pas… » Shankly respire le foot. « Mon travail, c’est ma vie », explique-t-il. Le repos n’existe pas, car quand il n’est pas en train d’entraîner ou en compétition, il réfléchit tactique, au point que sa femme, qui l’accompagne sans cesse, passe malheureusement au second plan. « Le football, ce n’est pas une question de vie ou de mort. C’est bien plus important que cela », répète l’entraîneur. Le jeu se couple d’une philosophie de vie bien particulière.

Un grand d’Europe

« Ma vision du communisme n’a pas grand-chose à voir avec la politique. C’est un art de vivre. C’est de l’humanisme. Je crois que le seul moyen d’y arriver dans la vie, c’est l’effort collectif. J’en demande peut-être beaucoup, mais c’est la façon dont je vois le football », précise-t-il. Son football est socialiste. Certes, pas au sens du « football socialiste » du Onze d’or hongrois de la première moitié des années 1950 de Gusztáv Sebe, basé sur le passing game et l’offensive. Car ce « foot total » ne correspond pas au jeu anglais, moins esthétique que les jeux hollandais ou espagnol, mais plus physique. Il l’est parce que le collectif passe avant tout et que les joueurs sont en osmose total avec les ouvriers. Liverpool découvre logiquement avec la scène internationale. Lors de sa première compétition, les Reds arrivent en demi-finale de la Coupe des clubs champions, stoppés par un Inter Milan plus expérimenté à ce niveau. Quelques mois après, Liverpool découvre une autre compétition européenne. Vainqueur de la Coupe d’Angleterre face à Leeds, les joueurs se retrouvent en Coupe des vainqueurs de coupe. L’équipe de Shankly se hisse jusqu’en finale, au terme d’une compétition de longue haleine. Malheureusement, l’heure de gloire n’est pas encore arrivée et les Reds sont défaits par le vainqueur de la Coupe d’Allemagne, le Borussia Dortmund, en matchs aller-retour, en mai 1966, quelques semaines avant la seule victoire – litigieuse à domicile – de l’Angleterre en Coupe du Monde.

Liverpool joue dans la cours des très grands. Mais il lui manque encore quelque chose : un génie. Cette « recrue pas comme les autres », comme la décrit Peace, va se présenter à Shankly durant l’été 1971. En voyant Kevin Keegan, tout juste âgé de 20 ans, l’entraineur sait qu’il fera de grandes choses. Et il ne se trompe pas. C’est avec lui qu’il réalise le doublée et gagne sa première compétition internationale, la Coupe de l’UEFA. Par contre, la Coupe des clubs champions échappe encore et toujours à Shankly, éliminé au deuxième tour de l’édition de 1974. Il se retire la même année, après une ultime victoire en Coupe d’Angleterre. Il est alors remplacé par son adjoint de toujours, Bob Paisley. En neuf ans, ce dernier gagne tout dont six championnats d’Angleterre et trois Coupes d’Europe des clubs champions, un total de dix-neuf titres. Il devient l’entraîneur le plus titré du club, l’un des plus beaux palmarès d’Europe et Shankly a sa part de responsabilité. Car Paisley est son héritier, celui qui fait briller Keegan. Le numéro 10 remporte deux ballons d’or, en 1978 et 1979, alors qu’il vient de rejoindre Hambourg. Reconnaissant, il demande à Shankly de recevoir avec lui le trophée.

Pendant ce temps, le coach profite de sa retraite et observe la société. Pendant deux ans, avant de mourir, il assiste impuissant à la transformation de l’Angleterre, à l’affaiblissement de la classe ouvrière et à l’effondrement du syndicalisme, suite à la nomination de Margaret Thatcher comme Premier ministre. Il ne désespère pourtant pas. Il a quelque chose qui le fait vivre : le foot. Et enfin, il l’associe à une devise que ne doivent pas oublier les joueurs de Liverpool : « Le football est un sport simple, rendu compliqué par les gens qui n’y connaissent rien. »

Photo : Statue de Bill Shankly devant Anfield

Crédits : Stuart Frisby/ Flickr

Neymar, un joueur de foot chrétien de plus à Paris ?

Article initialement publié sur Aleteia le 1er août 2017

Une : Soren Stache | DPA | AFP

L’attaquant du FC Barcelone serait à deux doigts de s’engager au PSG et de devenir par le même coup le joueur le plus cher du monde. L’occasion de revenir sur le parcours de ce fervent chrétien.

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Cruyff, un joueur engagé ? Histoire d’une méprise…

Encart publié dans l’article de Ludovic Alidovitch intitulé “L’inconscient socialiste de Johan Cruyff” sur Le Comptoir

Une théorie très en vogue voudrait que Cruyff soit un homme de gauche. Après tout, le Hollandais vient de Betondorp, quartier d’Amsterdam réputé communiste et laïcard, portait les cheveux longs, symbole de rébellion dans les années 1970, et surtout n’a pas participé la Coupe du monde en Argentine en 1978… Beaucoup y ont vu un boycott de la dictature de Videla. Grossière erreur, comme le rappelle le So Foot de l’été 2015 dédié au Néerlandais.

Trois hypothèses cohabitent. La première vient de Cruyff lui-même. En 2008, dans une radio catalane, l’ancien joueur évoque une tentative d’enlèvement qui se serait déroulée en 1977 avec flingue sur la tempe et femme ligotée, alors que ses trois enfants dormaient dans une pièce à côté. Johan Cruyff explique qu’après cet événement il n’avait plus vraiment la tête au foot : « Mes enfants allaient à l’école accompagnés par la police, des policiers dormaient chez nous, j’allais aux matchs avec un garde du corps. Tout cela vous fait prendre conscience de beaucoup de choses. » Cinq ans auparavant déjà, en 1972, l’Ajax de Cruyff, vainqueur de la Coupe des clubs champions, dispute la finale aller de la Coupe intercontinentale en Argentine. « Le match est ponctué d’incidents et des rumeurs de kidnapping autour de certains joueurs hollandais circulent » note So Foot.

Mais cette explication fait de nombreux sceptiques. Une motivation économique pourrait également être à l’origine de ce choix. Cruyff a un contrat d’exclusivité avec la marque Puma, alors que la fédération néerlandaise est sponsorisée par Adidas. En 1974, le joueur s’en était sorti en arborant un maillot à deux bandes, au lieu de trois. Mais cette fois, Adidas ne veut rien laisser passer. Deux joueurs sous contrat avec Puma décident cependant de disputer la Coupe du monde avec deux bandes. Il s’agit des jumeaux Willy et René Van de Kerhof, qui seront sanctionnés en fin de compétition.

Pour d’autres, notamment ses ex-coéquipiers de sélection, Cruyff n’aurait pas participé au mondial argentin à cause de la jalousie de sa femme Danny. Pour Johnny Rep, ex-attaquant des Oranjes et de l’Ajax, « s’il n’est pas venu, ça n’a rien à voir avec la dictature en Argentine. Ni avec une tentative de kidnapping. Pendant la Coupe du monde 74, il y a eu cette affaire avec les femmes dans la piscine de l’hôtel (les Hollandais auraient participé à une orgie la veille de la finale contre l’Allemagne, ce qui expliquerait leur défaite, NDLR). À cause de cette histoire, Cruyff a eu de gros problèmes avec sa femme. Du coup, tout le monde savait qu’il ne viendrait pas en Argentine. »

Quelle que soit la vérité, Cruyff n’a jamais eu aucun mobile politique. Jean-Marie Brohm, membre du comité de boycott de la Coupe du monde en Argentine, explique d’ailleurs : « Nous n’avions jamais cru […] que Cruyff n’était pas allé au mondial 78 pour des raisons politiques. » Et pour cause, si personne ne connaît les convictions de l’ancienne vedette, une chose est sûre : il était très libéral et l’argent a toujours été son moteur. Il est d’ailleurs l’un des premiers symboles du foot business, n’hésitant pas à admettre cyniquement : « Je gagne plus que ce que je dépense… Mais combien je dépense ? Aucune idée. » David Endt, ancien attaché de presse de l’Ajax Amsterdam, résumait ainsi : « il pourrait être élu président, sérieusement… Et il serait très à droite ! Il a grandi dans un quartier socialiste, certes, mais son père était commerçant, il cherchait à se faire de l’argent et la manière de penser était plutôt droitière. »

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Sócrates : entre football et romantisme révolutionnaire

Article publié le 4 décembre 2014 sur Le Comptoir

Il y a trois ans jour pour jour, la planète football perdait un de ses plus éminents ambassadeurs : le docteur Sócrates. Capitaine de l’équipe de Brésil dans les années 1980, le milieu de terrain s’est illustré à la fois pour son jeu, mais également pour son militantisme. Pour l’anniversaire de sa mort, nous avons décidé de nous repencher sur ce joueur profondément révolutionnaire, issu d’une famille passionnée de philosophie.

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Doc Gynéco : « Les cités sont remplies de footballeurs et de rappeurs qui ont raté leur carrière. »

Entre son humour, son style nonchalant et sa passion pour le ballon rond, Doc Gynéco est un personnage atypique dans le monde du rap. Malgré une carrière en dents de scie, celui qui se revendique « chanteur de rap » restera à jamais l’auteur de l’un des meilleurs albums de l’histoire du rap français : Première consultation. Alors que beaucoup pensaient sa carrière finie, Bruno Beausir de son vrai nom a annoncé un retour imminent. L’occasion pour RAGEMAG de le rencontrer à son entraînement à Courbevoie pour parler football et rap.

Tu es un grand passionné de foot. Que penses-tu de la nouvelle formule du PSG ?

C’est toute une histoire depuis que le Qatar a pris le pouvoir ! Cette équipe a de l’argent mais plus d’âme. Ça ne sera même pas profitable au football français, d’ailleurs est-ce qu’il y a des joueurs français dans cette équipe ?

Dans le 11 type, il y a Blaise Matuidi, voire Adrien Rabiot de temps en temps.

C’est bien ce que je dis. Deux, c’est rien !

Mais s’ils font un jour comme l’OM de 1993 et remportent la Ligue des Champions ?

Ils n’auront jamais l’esprit. Ils pourraient faire mieux que Marseille sur le plan sportif mais pas sur le plan humain. C’est juste une machine de guerre comme dans Ocean’s Eleven. Avec l’argent qu’ils investissent, ils vont devenir les Harlem Globetrotters du foot et recruter le joueur qui serait capable de marquer en pétant ? (il éclate de rire) Mais nous on s’en fout, on n’a pas besoin de joueurs qui savent tout faire. Une équipe doit avoir une âme et un esprit. C’est une équipe composée de bêtes curieuses.

Selon toi, Paris, Monaco et leur pléiade de stars vont-ils rendre la Ligue 1 plus attractive ?

Ces équipes sont trop financières. Ce n’est que du business tout cela. Le football français a besoin de Guy Roux ou d’Arsène Wenger. Ils ont une âme et vont chercher des joueurs inconnus pour les lancer. Un type comme Eto’o, c’est une belle histoire : son manager me racontait qu’il était tellement pauvre que la première fois qu’il a goûté à un yaourt, il avait 18 ans.

Eto’o est pourtant souvent décrit comme un joueur égoïste et vénal.

Malheureusement, oui. Mais en réalité, il vient d’une case surpeuplée où ils dormaient à même le sol. Elle est là la vérité. Il a connu la misère. Bref, il n’y a plus qu’Arsène et Guy Roux qui ont encore cette culture de lancer de jeunes joueurs français qui nous ressemblent. Et ça nous fait plaisir, car le foot est notre opium à nous. On ne lit pas Jean-Paul Sartre : pour se distraire on n’a que le foot. Regarde Djibril Cissé : c’est Guy Roux qui l’a fabriqué. Aujourd’hui, il fait le malin et le mec fashion mais ce n’est pas vrai. Je l’ai vu petit, quand Guy Roux le sortait, il lui ordonnait de mettre sa veste pour qu’il n’attrape pas froid.

On sait que les rappeurs et les joueurs de football s’apprécient : quel lien vois-tu entre rap et foot ?

Le lien, c’est la cité ! On vient de la rue, du même monde. Et puis, le foot et le rap c’est un rêve pour tout le monde. Le rêve suprême d’un mec de cité c’est de monter une équipe de foot ou une maison de production de rap. Les filles sont les plus sérieuses aux quartiers, elles réussissent mieux (rires). Mais les ghettos sont remplis de footballeurs et de rappeurs qui ont raté leur carrière.

Et que penses-tu de l’affaire Evra ?

Je crois que les joueurs ne devraient pas trop parler de trucs comme ça. Ils ont un sport qui est au centre de la société, c’est vrai. Tout le monde est focalisé sur les grandes compétitions, que ce soit la Coupe du Monde ou l’Euro. Paraît que certains tueraient leur femme pour ça. Mais les footballeurs ne sont que des pions. Quand un club t’a acheté 100 millions, pour lui tu n’es rien d’autre que de l’argent, il ne s’attend pas à ce que tu l’ouvres. Ils ne devraient pas s’exprimer si ce n’est pour le caritatif.

Dans une interview récente à France Info, tu dénonces le rap bling-bling et  déclares que le rap est une musique de droite qui s’imagine de gauche dans sa Ferrari. N’est-ce pas contradictoire avec le soutien à un Président de droite largement décrié pour son côté bling-bling ?

Pas du tout ! Parce qu’à l’époque j’ai voulu marquer les esprits. J’ai vu que le rap tournait en rond. Comment faire la différence entre un mec qui écoute du hip hop et un mec qui écoute du hard rock ? Rien, si ce n’est qu’ils ont chacun été pris par un souffle différent. Un chanteur peut réellement changer la phase du monde, la musique c’est quelque chose de très fort. Quand je me suis associé à Sarkozy, j’aurais pu soutenir aussi un candidat de gauche. C’est la politique qui est réductrice car elle a toujours été en dessous de ce que nous sommes réellement. Ségolène Royal m’aurait appelé, j’aurais été la voir. Le but est que les gens réussissent et s’en sortent. Quant à ma personne, elle n’est jamais trahi que ça soit avec l’extrême gauche ou l’extrême droite. Mais il faut comprendre que beaucoup de rappeurs sont passés par la gauche pour faire croire qu’ils s’intéressaient au peuple afin de vendre n’importe quoi à n’importe qui. Ceux-là sont des hypocrites qui servent le système et c’est moi qui suis intègre. La preuve, c’est que je suis ici et pas à Los Angeles en train de sniffer de la coke où je ne sais quoi d’autre.

« Il faut comprendre que beaucoup de rappeurs sont passés par la gauche pour faire croire qu’ils s’intéressaient au peuple afin de vendre n’importe quoi à n’importe qui. »

Tapis avec qui tu as chanté est aussi le symbole des dérives bling-bling de gauche…

D’un angle journalistique, tu as raison. Normalement, je n’étais pas sensé discuter avec toi. J’ai grandi près des poubelles, à Porte de la Chapelle. Allez y faire un reportage, vous verrez ce que c’est. Moi je ne suis ni un journaliste, ni un politique. Tapis ça reste le mec qui a fait gagner la Ligue des Champions à Marseille en 1993. Je ne suis peut-être pas assez intelligent mais j’agis avec mon cœur et pas par calcul.

Mais au-delà du bling-bling, le hip hop peut être perçu comme une culture provenant des quartiers dits « populaires ». Tu ne trouves pas que l’association à la gauche est logique ?

Non parce que ce discours est mort. Depuis longtemps, les quartiers ont compris que la gauche les a trahis et qu’elle se sert d’eux pour obtenir des voix. Même s’il y a quelques représentants de « couleur », personne n’est dupe : tout le monde sait que c’est du cinéma. La gauche est aussi bourgeoise que la droite. La France est cependant une société de castes. Gauche et droite ne sont que des frères bourgeois qui s’engueulent (rires). Les immigrés, les pauvres ou les ouvriers ne sont pas leurs priorités. Ils n’ont donc pas à prendre parti dans ces disputes de grandes familles : qu’est-ce que ça peut leur faire ?

On croyait que tu avais quitté le rap game : pourquoi cette envie d’un retour ?

C’est une demande expresse du public qui se morfond du rap d’antan. Il suffit de tous les écouter dire que « c’était mieux avant ». Et puis il y a aussi toute une nouvelle école qui essaie de remettre au goût du jour le rap d’avant. La différence avec nous, c’est que nous essayions d’amener quelque chose de nouveau. Mais le niveau du rap a baissé ces dernières années. Il se situe en-dessous du zéro aujourd’hui. Comme tu le dis si bien, c’est devenu un game. Ce n’est plus une musique avec une histoire. On a fini par oublier les éléments et les fondateurs. Voilà pourquoi inconsciemment tout le monde est à la recherche de l’esprit perdu. Ce que je dis c’est vrai pour tous les activistes, que ce soit les premières bandes – avant moi – ou les plus jeunes. Mais contrairement aux autres, moi j’ai ouvert le rap à des gens qui n’étaient pas censés en écouter.

Que penses-tu de cette nouvelle vague de MC’s qui rappent comme les anciens ?

Comme ce groupe, que je trouve très intelligent, qui essaie de ressusciter l’esprit années 1990 ? Comment il s’appelle ce groupe ? C’est tout un collectif, ils sont nombreux dedans…

1995 ?

Oui, 1995 ! Ils sont très intelligents. Ce sont des jeunes qui ont compris que le rap avait perdu son âme et son essence et qui sont assez cultivés pour savoir où aller piocher. Les jeunes qui n’ont pas ce recul croient souvent, à tort, que le rap est une musique de sauvages. En plus, c’est une musique pratiquée majoritairement par des noirs : ils ne manquent plus que les lances pour les amalgamer à des zoulous (rires). Mais en réalité, c’est une musique qui était très en avance sur les autres. C’est, compte tenu de l’époque, l’égal du rock ou de la pop. Chaque musique a ses grands artistes et ses grands groupes. Mais aujourd’hui, le hip hop est devenu un game qui court après le fait divers. Ce mouvement a perdu toute son intelligence et tout ce qu’il pouvait apporter aux jeunes qui l’écoutaient. Il avait des codes et même une mode. Actuellement, ils sont repris par des bourgeois. Ce sont des éléments qui ont été pris et piochés un peu partout dans la société. Le hip hop a été brisé en mille morceaux et chacun a pris ce qu’il voulait. Maintenant certains font des casques, d’autres reprennent le langage…

Dès ton premier album, avec Classez-moi dans la varièt’ par exemple, tu es très critique vis-à-vis du rap game. Est-ce que le hip hop n’a pas toujours été trop réducteur pour toi ?

Les autres rappeurs ne sont pas assez intelligents, ils ne m’intéressent pas. Qu’est-ce que j’en ai à faire d’un mec qui me raconte ses années de prison et qui m’explique qu’il est très doué dans tel art martial ? Moi, je m’en fous. (rires) Ça n’intéresse personne d’ailleurs. Et pire encore, ça ne fait peur à personne. Les rappeurs ne sont pas des voyous.  Des vrais voyous, tout le monde en connaît et ce n’est pas dans les studios qu’on les trouve. Un voyou c’est quoi ? Un Guadeloupéen, un Corse ou un Algérien. (rires) Plus sérieusement, les vrais durs sont dans la rue et pas dans le rap. Les rappeurs ne sont que des enfants qui rêvent de la vie d’Al Pacino dans Le Parrain. Va demander à MC Solaar ou à n’importe qui d’autre si les rappeurs sont des grands durs !

Tu as récemment dénoncé la misogynie de Booba et tu as dit qu’il était bidon. Pourtant, il n’y a pas si longtemps tu disais qu’il était intelligent. On s’y perd.

Les propos rapportés par les médias marchent de la même manière que les téléphones arabes. Tu dis un truc à une première personne et la dixième ressort totalement autre chose. Je maintiens que Booba est quelqu’un de très intelligent qui joue avec tous les codes. Il s’inspire parfaitement de ce qu’il a observé des plus anciens, sans en refaire les erreurs. Plus jeune, quand on m’a demandé de vendre des t-shirts, j’ai rigolé et refusé. J’ai répondu que j’étais là pour faire de la musique et pas de la vente. Pareil, quand on m’a demandé de jouer au dur et de jouer au voyou. À l’époque, je voulais m’en sortir. J’ai des amis qui se sont retrouvés en prison ou sont morts. J’ai souffert de cette vie de voyou et je voulais la laisser derrière moi. Et puis je pensais à ma famille qui pouvait me voir à la télévision. Mais le public ici a tendance à aimer le radical et veut voir en nous des gens violents. Au fond qui est le rebelle ? C’est celui qui joue de son image de noir pour servir la machine ? Ceux qui jouent aux durs, même quand ils le sont réellement, servent la machine, car c’est ce qu’elle attend de nous. C’est le rôle qu’on nous a assigné. Ce que pourrait faire de mieux Booba, ce serait de faire un album avec Rohff que je produirais : on serait riches comme les noirs américains (rires). Il pourrait aussi dire qu’il arrête la drogue et essayer de donner une bonne image aux jeunes. Mais non, il préfère se montrer de plus en plus fonce-dé et casser des gueules…

Les femmes ont toujours joué un rôle central dans ta musique : penses-tu que leur image s’est dégradée dans le rap ?

Diam’s avait son rôle à jouer mais elle a préféré la religion. Elle a fait ce qu’elle avait à faire et elle a emmené le rap féminin où elle le voulait. Mais à notre époque, nous parlions pour les femmes, en tant que rappeurs. Puis quand Diam’s est arrivée, ça a été son tour. Aux États-Unis, ils ont des Queen Latifah et des Lil Kim. Mais il n’y a pas que l’image de la femme qui est en danger dans le rap. C’est toute l’image du rap qu’il faut sauver. Regarde à quoi ressemble un rappeur ou un amateur de rap dans un film : ils sont vus comme des sauvages.

Pourtant sur Paris, le public rap s’est beaucoup démocratisé ces dernières années…

« Les vrais durs sont dans la rue et pas dans le rap. . Les rappeurs ne sont que des enfants qui rêvent de la vie d’Al Pacino dans Le Parrain.  »

Espérons ! Mais d’après moi les bobos n’écoutent plus de rap, ils ont juste gardé les baskets. C’est fini, ils ont compris qu’il n’y avait rien à gratter de positif. Pourquoi écouter des chansons qui parlent de meurtre ? De même, les rappeurs qui décrivent leur quartier, ça n’a pas de sens, ça n’intéresse personne.

Il n’y a pas que dans le rap qu’on voit cela pourtant : un chanteur comme Renaud, avec Dans mon HLM par exemple, le fait aussi.

Exactement !

Et ton affection pour Renaud est bien connue.

Je dirais de l’affection mais aussi de la désaffection. J’ai fini par comprendre que c’était le genre d’artiste qui profite de la faiblesse des autres. Sauf que je l’ai compris trop tard. Ces artistes jouent aux simples mais ne le sont pas. Tu ne peux pas parler aux gens simples assis dans un salon à Saint-Germain. Après, ça existe aussi des milliardaires rouges… Beaucoup d’artistes sont faux, ils ne sont pas en accord avec leur discours.

Que des numéros 10 dans nos teams

IAM versus NTM. OM contre PSG. Il n’y a décidément pas plus belle époque que ces années 1990. Du temps où coups de coudes et tacles à hauteur de genoux venaient animer le fameux classico français, OM – PSG. Le rap français, lui aussi, s’est cherché une rivalité. Celle-là même qui enflammait déjà côte Est et Ouest des États-Unis. Les groupes IAM et NTM sont choisis pour disputer le match. L’arbitre se nomme Les Inrockuptibles. Match d’idéologie où tensions et joutes verbales se mêlent à l’inévitable question des couleurs footballistiques. Kool Shen attaque le premier : « Moi, je suis PSG. […] [Les Marseillais] vous avez ce côté parano vis-à-vis des Parisiens, mais il y a combien de supporters du PSG à Marseille ? Douze ? À Paris, il y a énormément de supporters de l’OM. » Réponse d’AKH, « Le PSG est une belle équipe, mais on ne peut pas supporter le kob de Boulogne et France Football. » Rien à faire, le Sud et le Nord ne passeront jamais leur vacances ensemble (enfin, à part lors de ce maudit chassé-croisé de fin juillet).

Quelques années plus tard, Nord et Sud de la France reparlent ballon rond. Le collectif IV My People signe la bande originale du très bon documentaire À la Clairefontaine qui suit le destin du fleuron de la formation française. Sur la Cannebière, ce sont les Psy 4 de la Rime qui rappent l’Ohème à l’occasion du projet OM All Stars (2004). La même année, Booba électrise le rectangle vert à coups de crochets et de football champagne.
N°10 permet à Coach B2O d’expérimenter son nouveau schéma de rap uniquement basé sur le culte du meneur de jeu. Le football-rap romantique est né. Arrigo Sacchi, lui, ne peut qu’applaudir.

Mais c’est bel et bien Doc Gyneco qui écrasera la concurrence avec le célèbre Passement de jambes. Sur un beat monstrueux, le Doc accumule les clins d’œil au monde du foot tout en livrant une prestation microphonique remarquable. De Bebeto à Marc Landers, en passant par le célèbre jeu vidéo Kick Off, tout y passe. C’est ce qu’on appelle réussir son passement de jambes tout en flambant sur le beat.

Lamine Belharet

Boîte noire

Équipe de France de basket : derrière le Graal européen, la misère du basket français

Texte publié le 29 septembre sur RAGEMAG avec Mathieu Paumard

Il y a quelques jours en Slovénie, l’équipe de France de basket décrochait enfin la timbale aux Championnats d’Europe. Une victoire qui sonne comme une récompense après des années de lutte et de déception. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce titre cache une réalité moins reluisante. Celle d’un basket français boudé par les médias et d’un championnat local, la Pro A, en perte totale de vitesse.

La France était, jusqu’à très récemment, la seule grande nation du basket européen à posséder un palmarès totalement vierge. Certes, il y avait eu ces quatre médailles d’argent, obtenues aux Jeux olympiques (1948 et 2000) et aux Championnats d’Europe (1949 et 2011). Mais c’était encore trop peu. Cette fois-ci, nous parlons du plus beau des métaux : l’or. Finis les vulgaires lots de consolation (sept médailles de bronze européennes) ou les cruelles désillusions. Les Bleus peuvent enfin regarder leurs adversaires depuis la plus haute marche du podium. Mais au-delà d’une victoire finale et d’un titre de champion, nous avons affaire à l’aboutissement d’une longue histoire, ainsi qu’à une revanche inimaginable il y a encore une quinzaine d’années.

L’équipe de France naît pourtant sous les meilleurs auspices et appartient au gratin international jusque dans les années 1960. Puis elle connaît une longue traversée du désert, disparaissant peu à peu de la scène mondiale. Tandis que le monde entier écarquille les yeux devant la Dream Team américaine, nos Français ne suscitent aucun engouement. Et pour cause : ils sont absents de toutes les grandes compétitions. Il faudra attendre le Championnat d’Europe 1999 pour que la sélection hexagonale refasse parler d’elle. La France peut alors compter sur une génération talentueuse menée par ses deux leaders, Antoine Rigaudeau etTariq Abdul-Wahad.

Cependant, la quatrième place obtenue lors du tournoi masque d’énormes problèmes internes. Bien avant leurs homologues footballeurs, nos basketteurs s’entredéchirent, sur fond de communautarisme selon certains. Cette situation houleuse débouche finalement sur l’exclusion de Tariq Abdul-Wahad, pourtant plus grande star du basket français et seul joueur de l’époque à évoluer en NBA. Malgré cela, les tricolores emmenés par Rigaudeau parviennent à se hisser en finale des J.O. de Sidney un an plus tard, face à des Américains trop forts pour eux. Cet exploit extraordinaire permet à la France de se repositionner sur l’échiquier mondial.

Une génération dorée

La même année voit débarquer la fameuse génération 82 de Tony Parker. La future ossature de l’équipe de France va rapidement et durablement graviter autour de ces joueurs qui remportent le titre de champions d’Europe juniors, en Croatie. La bande à Parker se compose de Ronny Turiaf,Mickaël Pietrus et Boris Diaw (seul présent avec TP la semaine dernière en Slovénie), tous évoluant en NBA. Nous pouvons y ajouter Florent Pietrus (1981) et Mickaël Gelabale (1983). Le meneur des Spurs est le plus précoce et honore sa première sélection A en 2000. Durant le Championnat d’Europe 2003, ces Bleus new look, qui ont déjà largement investi les Etats-Unis, imposent leur marque en affichant d’emblée leurs ambitions : la victoire finale.

Malheureusement, ils buttent en demi-finale et n’obtiennent ni médaille ni qualification pour les J.O. d’Athènes. S’ensuit une série d’échecs, symbolisée par des défaites amères face au voisin espagnol. Le 18 septembre 2011, l’équipe de France est surclassée par un Juan Carlos Navarro stratosphérique et le duo d’intérieurs formé par les frères Gasol (Marc et Pau) en finale du Championnat d’Europe. Rebelote en quarts de finale des J.O. de Londres, où les Tricolores finissent par exploser physiquement et mentalement dans les cinq dernières minutes.

Cela aurait pu être la fin d’une histoire. Car la France de 2013 paraît bien plus fébrile que ses homologues de 2011 ou de 2012. Elle est d’abord fragilisée par les forfaits de Joakim NoahKevin SéraphinIan MahinmiAli TraoréLudovic Vaty et Ronny Turiaf dans la raquette. Elle est ensuite moins brillante dans le jeu et cède dès son match d’ouverture contre l’Allemagne au premier tour, puis à nouveau face à la Lituanie et la Serbie au deuxième tour. Les Bleus s’en sortent finalement sans encombre.

Mais s’ils veulent atteindre la finale, ils doivent d’abord vaincre la Slovénie, pays organisateur, en quarts. Puis, ils devront croiser la route de l’Espagne, double tenant du titre, qui malgré un tournoi relativement médiocre et l’absence de certains joueurs majeurs (Navarro, Pau Gasol, Serge Ibaka…) fait encore figure de favorite. Mais la France de 2013 a des ressources. C’est un savant mélange entre deux générations exceptionnelles : celle de 82 et celle de 88 (Nicolas BatumAntoine Diot et Alexis Ajinça), qui, comme son aînée, a été championne d’Europe junior en 2006, en Grèce. Un brillant dosage entre joueurs évoluant en NBA et sur le Vieux Continent. Portés par un Tony Parker en grande forme, les Bleus éliminent la Slovénie,sont héroïques défensivement face à l’Espagne après une première mi-temps désastreuse et se transcendent enfin offensivement contre la Lituanie. Tout cela également grâce à un coaching souvent inspiré du sélectionneur Vincent Collet. Une épopée victorieuse comme nous les aimons dans notre Hexagone. Pourtant, un détail gâche un peu la fête : avant la demi-finale, l’Equipe de France bénéficiait d’une couverture télévisuelle médiocre.

Le désamour des médias pour le basket français

Les amoureux de basket, désireux de suivre en détail ce Championnat d’Europe, n’étaient effectivement pas gâtés. Ils devaient surfer entre Canal+ Sport pour les matchs des Bleus, Sport+ pour les autres. Nous sommes bien loin des grandes retransmissions footballistiques. Ou même du rugby où tous les matchs de l’équipe de France, même amicaux, sont diffusés sur des chaînes publiques. Pourtant, avec environ 470 000 licenciés, le basket est le deuxième sport collectif le plus pratiqué dans notre pays, derrière le football (plus de 2 millions), à égalité avec le handball et devant le rugby (environ 350 000). Des licenciés auxquels nous pourrions ajouter les pratiquants de streetball, de plus en plus nombreux en France, comme en témoigne la popularité montante du Quai 54, tournoi international organisé tous les ans à Paris.

Certes, l’évènement a bénéficié d’un meilleur dispositif médiatique que les précédentes grandes compétitions –exceptés les Jeux Olympiques – mais est-ce une raison de se réjouir comme Jean-Pierre Siutat, le président de la FFBB ? Rien n’est moins sûr. Quand on regarde le classement des sports français selon leurs couvertures télévisées, nous nous apercevons que le basket pointe à une honorable cinquième place, derrière le rugby (quatrième) mais loin devant le handball (douzième). En regardant de plus près, le constat est nettement moins flatteur pour le basket hexagonal. Une simple comparaison avec le handball suffit à évaluer l’ampleur du problème. Si pour les équipes de France de ces deux sports, le bilan est équivalent, à savoir une diffusion systématique du groupe Canal+, pour les compétitions de clubs, la donne est bien différente.

En effet, les matchs du Championnat du France de handball (Division 1) ainsi que ceux de la Coupe de France sont eux aussi retransmis sur Canal+ etintéressent même France Télévisions. De leur côté, les fans du championnat de France de basketball (Pro A) doivent se contenter de Sport+. Même constat à l’échelon européen où BeIN Sport diffuse depuis la saison dernière la Ligue des champions(hand), quand l’Euroligue (basket) doit se contenter encore et toujours du petit Sport+. Alors à quoi doit-on ce classement, en apparence honorable ? La réponse est simple : au basket nord-américain, c’est-à-dire un peu à la NCAA (championnat universitaire) mais surtout à l’alléchante NBA. Cette dernière est largement diffusée sur BeIN Sport (6 matchs par semaine en saison régulière), après des années d’exclusivité sur Canal+.

Si la plupart des fans de basket en France savent que la dernière finale NBA a opposé les Spurs de San Antonio de Tony Parker au Heat de Miami de LeBron James (avec la victoire de ces derniers), ils se moquent éperdument de la victoire de Nanterre surStrasbourg en finale de Pro A ou de savoir que leReal Madrid s’est incliné en finale de l’Euroligue face à l’Olympiakos Le Pirée. Et rien de plus normal puisque les grands hebdomadaires ou mensuels français consacrés au basketball font la part belle à la NBA, quand ils ne parlent pas exclusivement d’elleou mettent carrément la clef sous la porte. Dans une plus large mesure, c’est la presse sportive qui s’intéresse très peu au basket hexagonal, quand elle ne rabaisse pas directement les performances de son équipe nationale.

Une situation qui agace passablement certains acteurs comme Laurent Sciarra, médaillé olympique à Sydney, dans une interview pour Le Monde : « Mais si après tous les efforts faits par ces garçons, une compétition comme ils l’ont faite et une finale comme ils l’ont écrasée, si vous, les médias, vous ne retenez que le fait que l’Espagne ait été privée de Pau Gasol, Juan Carlos Navarro et Serge Ibaka, notre sport ne pourra jamais décoller. Vous nous cassez les bonbons avec le football et de temps en temps avec la Coupe Davis, avec ces joueurs qui sont soi-disant si fabuleux… » Même s’il reconnaît volontiers que ce succès de l’équipe de France pourrait changer la donne : « Gagner ce tournoi, c’est bien pour cette génération. C’est bien pour les joueurs et surtout pour notre sport qui avait besoin d’une victoire référence au niveau de l’équipe de France. Là, ça y est. J’espère que ça ne sera pas juste un feu de paille et qu’on va pouvoir s’appuyer dessus et que ça va permettre à une nouvelle génération de passer ce cap. »

Canal+ a en effet acquis les droits de la Pro A jusqu’en 2017 et accepté de diffuser certaines rencontresen clair sur D8 ou D17, voire d’en céder quelques unes à France Télévisions, alléchée par les audiences records de la finale de l’Euro (5,5 millions de téléspectateurs). C’est bien maigre mais c’est toujours ça de gagné…

Et pendant ce temps, la Pro A traverse le désert…

Mais revenons à l’essentiel : le basket français est-il alors vraiment victime d’un vaste complot médiatique, boudé injustement par l’opinion publique qui ne s’intéresse qu’aux paillettes et aux sirènes du grand spectacle de la NBA ? Après tout, c’est vrai, des dunks, des cheerleaders et des double-mètres tatoués, il y en a aussi à foison sur les parquets de Pro A. Sauf que ça n’intéresse personne, et souvent à juste titre. Le graal européen de la bande à Parker cache la misèreordinaire de notre championnat national.

Selon Antoine Rigaudeau, dans une interview accordée à l’Équipe en octobre 2012, le constat est sans appel : « Techniquement, c’est la deuxième voire la troisième division européenne. Tactiquement, c’est pareil. Physiquement, ça pourrait être beaucoup plus fort dans l’impact. » Une réflexion étayée par les performances catastrophiques des clubs français en Euroligue depuis plusieurs années. C’est bien simple, depuis 10 ans, trois équipes seulement ont atteint le top 16, pour un bilan de 4 victoires et 14 défaites à ce stade de la compétition, et bien sûr aucune qualification pour les quarts de finale dans la foulée. Pire encore, depuis 2007, aucun champion de France n’a dépassé les premières poules de qualification et les clubs de l’Hexagone doivent se contenter des accessits dans des épreuves continentales de seconde zone comme l’EuroChallengeLe sacre du CSP Limoges en 1993 semble aujourd’hui un souvenir bien lointain.

Comment expliquer un tel manque de compétitivité sur la scène continentale ? Un des premiers éléments de réponse est le manque de hiérarchie au niveau national. Comme le déclarait Hervé Touré, intérieur français ayant évolué durant 6 saisons dans le championnat italien, lors d’une interview à nos confrères de Rue89 : « La Pro A, c’est l’endroit où tout est possible ! Tout le monde peut battre tout le monde. C’est un peu comme Disneyland. » Champion de France cette année : la JSF Nanterre, en Pro A depuis seulement deux ans, deuxième plus petit budget de la ligue avec 2,6 millions d’euros. À titre de comparaison, c’est un peu comme si Ajaccio ou Reims finissaient en tête de la Ligue 1 de football. Un exploit évidemment majuscule, à saluer. Une belle histoire à raconter. Mais qui montre bien les difficultés actuelles du basket français à retrouver des locomotives, susceptibles de porter le championnat vers le haut. Et surtout aucun sponsor assez fou pour financer des clubs aux résultats si aléatoires (9 champions différents sur les 11 dernières saisons).

« La Pro A n’est pas vendable. […] Aucun club ne domine. À partir de là, c’est difficile pour les investisseurs de choisir un club et de mettre de l’argent. Tout le monde est du même niveau avec plus ou moins le même budget. […] L’idéal serait d’avoir une ou deux équipes vitrines qui dominent, susceptibles d’attirer les meilleurs jeunes Français, formés par les équipes qui auraient un peu moins d’argent. Il y aurait une vraie hiérarchie, comme quand j’étais à Cholet et que notre but était de battreLimoges ou Pau. », explique encore Antoine Rigaudeau.

Conséquence directe, les clubs français dépendent massivement des collectivités locales et du contribuable. En 2010-2011, 40 % en moyenne du budget des équipes de Pro A provenaient des subventions et de l’argent public. Ce chiffre pouvait même atteindre 71 % pour un club comme le Paris-Levallois. Difficile dans ces conditions de se développer ou d’avoir les coudées franches auprès des politiques pour défendre des projets comme la construction de salle multifonctions, afin de pouvoir prendre une certaine indépendance économique.

Si certaines initiatives aboutissent comme à Rouen avec l’ouverture du Kindarena en 2012, d’autres sont au point mort depuis plusieurs années, comme celui de l’ASVEL, si bien que les actionnaires menacent de quitter le navire en cours de route, comme l’a récemment déclaré Tony Parker. Sans oublier que le basket reste en France une affaire de moyennes ou petites agglomérations. Il ne s’agit bien sûr pas de militer comme des forcenés pour la création artificielle de clubs dans les plus grandes villes du territoire, en dépit de toute tradition. Mais force est de constater que les rois du pétrole et des dollars ont peu de chance de placer leurs billes à Cholet, Gravelines ouOrléans. Pour le strass et les paillettes, on repassera.

Dans ces conditions, et avec des budgets limités, impossible de concurrencer les ogres européens venus d’Espagne, de Grèce, de Turquie ou encore de Russie. À moins de changer complètement son fusil d’épaule, d’arrêter de faire venir quantité d’étrangers d’un niveau douteux ou en bout de course et de se recentrer sur la formation. Là encore, Antoine Rigaudeau propose des pistes intéressantes : « J’ai toujours pensé que la Pro A devrait être un championnat de jeunes, à la serbe ou à la croate. Avec des joueurs du cru, qui travaillent pour mériter du temps de jeu. Il faut penser à une politique commune de travail chez les jeunes, très en amont, en benjamins, minimes, cadets. Les préparer au haut niveau, sans obligatoirement rechercher les résultats très vite, où justement tu oublies l’exigence technique, tactique, physique. Pourquoi nous, Français, n’aurions-nous pas le même niveau de compétitivité en Euroligue que le Partizan Belgrade ? »

C’est sûr que deux quarts de finale et une participation au Final Four de l’Euroligue depuis 2008 (agrémentés de 5 titres en Ligue Adriatique et 11 trophées nationaux dans le même temps) pour un club qui mise tout sur la formation des espoirs locaux, cela ferait saliver n’importe quelle équipe française. On peut d’ailleurs noter que le Partizan compte dans ses rangs deux de nos meilleurs jeunes : Joffrey Lauvergne (titré en Slovénie) et Léo Westermann. Un nouveau signe qui montre bien que si nos graines de champion ne peuvent pas acquérir l’expérience du haut niveau grâce à la Pro A, ils partiront ailleurs…

Des institutions plombées par l’immobilisme

Bon d’accord, on a bien compris qu’on n’avait pas d’argent mais quelques idées pour s’en sortir. Il suffit donc à la Ligue Nationale de Basket, qui chapote notamment la Pro A, de piocher dedans pour redresser la barre, non ? Douce utopie. Car ces dernières années, la LNB patine allègrement dans la semoule, entre coups médiatiques ratés et réformes révolutionnaires avortées.

Au lieu de resserrer son élite pour que la Pro A devienne plus compétitive, la Ligue souhaite l’élargir à 18 puis 20 clubs. Une commission avait même vu le jour dès cette année pour étudier des dossiers de candidatures susceptibles d’être intéressantes sur le plan économique (niveau des équipements, population locale, stratégie marketing et de communication). Les clubs menacés de relégation en Pro B avaient même rempli le formulaire, au cas où. Depuis mars, plus de nouvelles et la Pro A reprendra bien à 16 clubs dans moins d’une semaine.

Et pourtant, ce n’est pas la première fois. La Pro A était déjà passé brièvement à 18 clubs entre 2003 et 2007 dans le but de relancer les clubs français dans les compétitions continentales. Avec la réussite déjà évoquée plus haut. « Le basket français a toujours été assez politisé, trop souvent dans sa guerre de clochers. C’est un peu un sport de rochers, chacun pense pour son truc », conclut Antoine Rigaudeau. La Pro A, championne de l’immobilisme.

On passera volontiers sur d’autres idées ubuesques, finalement laissées en plan comme la création de poules régionales avant le début du Championnat (si la NBA a droit à ses conférences, pourquoi pas nous ?!) ou encore d’une Coupe d’Europe bis, réunissant des championnats de troisième zone (France, Angleterre, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Portugal), histoire que nos clubs puissent gagner quelque chose.

La LNB tente alors des coups d’un soir, comme déplacer certains événements dans des lieux plus prestigieux (le Palais des Congrès) ou exotiques (la Semaine des As rebaptisée Leaders Cup à… Disneyland). Les Américains avaient Space Jam avec Michael Jordan et les Looney Tunes, alors on nous offre généreusement Antibes / Dijon avec Mickey et Donald. Mais la Ligue peine à assurer le service après vente dès que le jeu en vaut la chandelle. Selon Brice Moulin, auteur de Sport, fric et strass – dans les coulisses du sport business, « la finale des JO Sydney n’a entraîné quasiment aucune retombée ». Idem pour la venue des étoiles françaises lors de la grève NBA en 2011, qui a vu la fréquentation des salles augmenter en flèche durant quelques semaines avant de retomber cliniquement dès leur retour aux États-Unis.

Espérons que cette fois-ci, les institutions françaises parviendront à capitaliser sur cette victoire et surtout sur la sympathie générée par cette équipe de France et son leader charismatique. En insistant sur le fait que certains joueurs majeurs du sacre (Antoine Diot et Alexis Ajinça) ainsi que leur coach évoluent en Pro A, à Strasbourg. On croise donc les doigts pour que le basket français finisse par trouver son oasis au milieu du désert.

 

Trois questions à Matteu Maestracci, journaliste àFrance Info, spécialisé dans le basket.

Est-ce que, selon vous, cet Euro va avoir un impact sur le traitement médiatique du basket en France ?

Au quotidien, je ne pense pas. Le basket, on le suit peu dans les médiasmainstream, grand public pendant l’année. Ce qui intéresse vraiment les fans de basket, c’est la NBA, mais les médias ne s’y intéressent pas car les droits sont chers et il y a un problème de décalage horaire. Le reste, ce n’est pas très bandant, à part l’Euroligue qui excite un peu mais ça ne dépasse pas un cercle d’amateurs réduit. Comme la Pro A, c’est un truc de fidèles.

Maintenant, ce qui va se passer quand la France va jouer, c’est qu’il y aura un intérêt car elle est championne d’Europe. Manque de pot, pour le Mondial de 2014, Parker va peut-être être absent car il lui faut parfois des années off, idem pour Batum et Diaw. Les principales stars ne seront pas là, donc l’intérêt médiatique risque de vite retomber. Paradoxalement, il y a beaucoup de licenciés en France, mais peu de public. Quand les chaînes de télé ne passent pas de basket, c’est parce qu’elles savent qu’il n’y aura presque pas de spectateurs. Il y aura plus de crédibilité et de respectabilité après cet Euro mais ça ne va pas modifier le traitement médiatique de la Pro A. L’impact se fera plus sur l’opinion, car les gens aiment cette équipe.

Comment expliquez-vous les difficultés actuelles de la Pro A, qu’elles soient sportives ou médiatiques ?

C’est un championnat un peu ringard, il n’y a pas de star et il y a un problème de hiérarchie car il y a un champion différent chaque année. Nous, à France Info, on ne fait que les compétitions internationales en entier, et la Pro A juste au début pour dire que ça existe et à la fin, pour la finale. La seule exception, c’est quand les stars de NBA sont revenues en 2011 pour le lock-out. Mais sinon, il n’y a pas de hiérarchie lisible, et ce n’est pas un truc médiatique qui s’auto-alimente comme le football. Le seul moment qui a été un peu intéressant, c’est quand Nanterre a été champion, car il y avait une histoire à raconter.

C’est aussi un problème de budget, les clubs français ont un budget d’environ 3 millions d’euros par an, les clubs en Euroligue c’est deux fois plus. À cause de ça, les meilleurs joueurs ne restent pas en France.

Tony Parker aura-t-il sa place au Panthéon du sport français, bien que finalement son talent s’exprime peu en France ?

Oui car ce qu’il fait est exceptionnel, que l’on s’intéresse ou pas à sa carrière. Il a été trois fois champion NBA, et pas en cirant le banc ! En étant un artisan de son équipe. C’est extraordinaire. Tous les étés, il vient sous le maillot français avec une certaine sincérité alors que d’autres jeunes s’en foutent. Sur ce qu’il apporte au sport français, c’est un monstre.

Lucie Bacon

Boîte Noire