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Médine au Bataclan : Halte à l’hystérie nationale

Article publié le 11 juin 2018

L’annonce de deux concerts du rappeur Médine au Bataclan provoque une vraie hystérie à droite. L’artiste serait accusé de promouvoir le djihadisme. La réalité est pourtant toute autre.
Deux ans après Black M, c’est au tour du rappeur Médine de se retrouver au cœur d’une polémique. A l’époque, la venue de l’artiste aux commémorations de la bataille de Verdun avait été annulée. La raison ? Certains, à droite, à l’extrême droite, mais même à gauche, avaient jugé sa venue inopportune, s’appuyant sur certains textes maladroits. Cette fois, c’est un concert en apparence moins solennelle, puisqu’il s’agit d’un événement privé, qui pose problème. Il faut dire qu’il se déroulera dans un endroit hautement symbolique. Il s’agit du Bataclan, lieu emblématique de l’attentat spectaculaire du 13 novembre 2015, où Médine se produire les 19 et 20 octobre prochains. Pour les détracteurs de l’artiste, il s’agit d’une insulte aux 90 victimes. Car, selon eux, le rappeur havrais serait un islamiste, voire un promoteur du djihad. Encore une belle preuve de l’incompréhension que peuvent susciter le rap et les banlieues, le tout sur fond de panique identitaire. Revenons aux faits

Médine, Bataclan et jihad

En mars dernier, Médine balance le troisième extrait de son sixième album, Storyteller. Un morceau émouvant dédié à une salle de concert mythique, intitulé « Bataclan », accompagné de Youssoupha et du chouchou de la presse, Orelsan. Point de référence aux événements qui ont horrifié l’Hexagone, il n’est que question de musique et de prestation scénique. « Tout ce que je voulais faire, c’était le Bataclan », y explique Médine. Il profite de ce clip pour annoncer un concert dans la tristement célèbre salle de concert. Une annonce qui, si elle a ravi ses fans -la première date est complète-, était passée sous les radars politiques, jusqu’à peu.

Mais l’inévitable s’est produit. Depuis 2012 et Don’t Panik : n’ayez pas peur (DDB), son livre avec Pascal Boniface, Médine est une des bêtes noires de l’extrême droite. Ajoutons que la gauche “républicaine” l’a aussi en ligne de mire depuis la sortie du titre « Don’t Laïk » en 2015, juste avant les attentats de Charlie Hebdo. Ainsi, depuis la fin de la semaine dernière, -vendredi 9 juin-, un visuel circule sur les réseaux sociaux. On y voit le rappeur portant un t-shirt où il est écrit « Jihad » et une épée, à côté de l’affiche de ses concerts, au Bataclan donc et complets à ce jour. Une agitation qui a “obligé” les responsables politiques de droite à monter au créneau. « Au Bataclan, la barbarie islamiste a coûté la vie à 90 de nos compatriotes. Moins de trois ans plus tard, s’y produira un individu ayant chanté “crucifions les laïcards” et se présentant comme une “islamo-caillera”. Sacrilège pour les victimes, déshonneur pour la France », a tweeté le président de LR Laurent Wauquiez. De son côté, la présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen a déclaré : « Aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies sur le lieu même du carnage du Bataclan. La complaisance ou pire, l’incitation au fondamentalisme islamiste, ça suffit ! »

Ce ne sont que quelques exemples emblématiques, alors que les demandes d’interdictions pleuvent, avec le hashtag #PasDeMédineAuBataclan. La gauche n’est pas forcément en reste non plus. Habitué aux polémiques sur l’islam et la laïcité, le Printemps républicain a, quant à lui, tenté de tenir une ligne de crête difficile, entre dénonciation du MC et défense de sa liberté artistique. Le collectif de Laurent Bouvet et Amine El-Khatmi semble avoir à cœur de se distinguer, au moins cette fois, de la droite et de l’extrême droite. Mais derrière ces réactions un fil rouge : Médine serait dangereux. Ces indignations seraient tout à faire légitime si le rappeur était effectivement un islamiste rigoriste, ou pire un soutien du terrorisme. Mais il n’en est rien.

Rap et islam : la grande incompréhension

Rappelons d’abord ce qu’est le “jihad”. Ce mot, aussi utilisé par les Arabes de confession chrétienne, ne signifie pas “guerre sainte”, comme il est trop souvent expliqué, mais plutôt “effort“ ou “lutte”. De plus, il ne recouvre pas nécessairement une réalité violente. Le jihad est d’abord une notion spirituelle, qui invite le croyant à avancer vers Allah. La notion ne fait néanmoins l’objet d’aucun consensus, comme beaucoup d’autres dans l’islam. Ainsi, Averroès, célèbre philosophe aristotélicien du XIIe siècle répertoriait quatre jihad : par le cœur, par la langue, par la main et par l’épée. Il est normal que le “jihad” puisse effrayer dans un pays qui a découvert avec horreur le terrorisme islamiste, soit le jihad par l’épée, il y a peu. Pourtant, il faut bien comprendre ce qu’il recouvre lorsqu’il est employé. Médine ne déroge évidemment pas à la règle. Dans « Arabospiritual », morceau d’Arabian Panther, son troisième album sorti en 2008, le rappeur havrais scandait :

« Ma culture devient de la confiture de barbituriques
En 2005 deuxième album en demi-teinte j’emprunte
Les voix de la provocation pour tous les convaincre
Et non les combattre avec un disque en forme de sabre
Mais lutter contre soi reste le plus grand Jihad !
J’amène un message de paix derrière une épée »

L’artiste faisait alors référence à son précédent disque, Jihad, sous-titré « le plus grand combat est contre soi-même ». C’est de cet album qu’est tiré le visuel polémique. Il y décrit l’islam comme « une religion de paix ». Grande fresque sur la guerre dans l’Histoire de l’humanité, le morceau éponyme est en fait un plaidoyer pour la paix. Il invite également à l’introspection pour être un homme meilleur. « Ma richesse est culturelle, mon combat est éternel/ C’est celui de l’intérieur contre mon mauvais moi-même », concluait la chanson. Un an auparavant, dans son premier album, 11 septembre, récit du 11e jour, Médine dénonçait avec vigueur les amalgames entre islam et djihadisme, dans « Ni violeur ni terroriste ». Aboubakar, invité sur le morceau rappait ainsi : « Si nos âmes s’arment c’est pour le combat après la mort ». La spiritualité prime alors. Mais c’est « Hotmail » qui finit par dissiper les doutes qui pourraient encore subsister.

Présent sur Table d’écoute, EP de neuf titres, ce morceau entend clarifier le propos du rappeur. Dedans, il réagit à trois messages laissés sur son répondeur. Dans le deuxième couplet, un auditeur lui dit : « Wallah Medine bsahtek ouah j’ai écouté wallah t’as raison. Faut couper toutes les têtes jihad mon frère. Wallah Faut qu’ils payent wallah. » Le rappeur lui répond alors : « Voici l’idée que tu te fais de mes couplets/ Qu’avec un disque de rap des têtes je vais couper/ Découper les cous des gens hors du coup ». Le Havrais invite alors son auditeur à la réflexion : « Le conseil ne dit pas de tendre l’autre joue/ Mais de réfléchir avant d’agir tous les autres jours/ Si tout est critiquable commence par l’auto-critique/ L’Occident n’est pas responsable de ton slip ». Nous sommes alors loin du prêcheur de haine à l’égard de l’Occident. Dans le dernier couplet, Médine se paye même le luxe de répondre aux salafistes qui lui reprochent de faire de la musique. Après leur avoir rappelé que les hommes ne lisaient pas les cœurs, il conclut ironiquement : « Eux-mêmes philosophes dans tous domaines/ De Mohammed n’ont que le prénom de domaine/ […] Délaisse la paille dans l’œil de ton voisin/ Enseignement chrétien pour attitude de crétin ». Pour finir, soulignons que Médine est un admirateur du commandant Ahmed Chah Massoud, le “Che Guevara afghan”, ennemi des Talibans, qui l’ont fait assassiner le 9 septembre 2001. Le rappeur, qui a rendu plus d’une fois hommage au révolutionnaire, comme dans « Du Panjshir à Harlem » (Jihad), a même appelé son fils Massoud.

Mais il n’y a pas que le rapport au jihad qui gêne chez Médine. Il y a aussi la laïcité. Début 2015, alors que la France n’a pas encore digéré le drame de Charlie Hebdo, le rappeur sort un morceau polémique : « Don’t Laïk », détournement de son fameux slogan « I’m muslim, don’t panik ». Il n’y attaque pas la laïcité, selon des dires, mais les “laïcards” – notion, il est vrai, plus polémique que précise. Il y rappe : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha ». Ce sont ces quelques mots qui ont provoqué la colère de la gauche républicaine, y percevant une menace physique. C’est pourtant bien mal connaître le rap, qui aime multiplier les images, et pour qui la violence est souvent plus esthétique que réelle. Pour le dire plus simplement, aucun auditeur de Médine n’irait s’en prendre physiquement à un “laïcard”.

Médine est bien évidemment critiquable, sur le plan artistique comme sur le plan politique, où il se place volontairement. Encore faut-il que la critique soit pertinente. Le rappeur est plus un musulman pieux et politisé qu’un rigoriste ou un islamiste. Cette doctrine a montré ces dernières années qu’elle était un danger réel en France. Mais fantasmer des djihadistes à tous les coins de rue est contre-productif à tous les niveaux. Enfin, et ce n’est pas le point le moins important, une démocratie bien portante est une démocratie qui laisse s’exprimer librement ses artistes.

https://twitter.com/Medinrecords/status/1006215653714427905

Photo de une : visuel qui fait polémique sur les réseaux sociaux

Crédits : Capture d’écran sur Twitter

Ce que la musique de Kendrick Lamar nous dit de la foi

ANSPressSocietyNews CC BY-ND 2.0

Article publié initialement le 19 novembre 2017 sur Aleteia

L’une des cérémonies musicales les plus importantes outre-Atlantique, les American Music Awards, se déroule ce dimanche 19 novembre. Avec trois nominations (artiste de l’année, meilleur album rap/hip hop et meilleur artiste hip hop), Kendrick Lamar a de grandes chances de briller. L’occasion d’analyser les textes de ce rappeur qui a la foi.

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Ludovic Villard : « J’aime la brièveté en poésie »

Article publié initialement le 20 septembre 2017 sur Le Comptoir

Connu par les amateurs de (bon) rap sous le blaze de Lucio Bukowski, Ludovic Villard a créé il y a quelques mois avec son frangin Philippe Villard-Mondino et Mickaël Jimenez-Mathéossion Les Gens du Blâme, maison d’édition lyonnaise dédiée à la littérature. Reconnu pour sa plume, Ludovic en a profité pour sortir un recueil de poèmes intitulé « Je demeure paisible au travers de leurs gorges », en rupture de stock peu de temps après sa sortie . « L’ouvrage se compose de quatre parties rassemblant des poèmes de formes différentes, du quatrain au haïku, en passant par l’aphorisme et le vers libre. Le temps, la beauté, l’ivresse, le refus et la mort sont les thèmes, chers à l’auteur, que vous retrouverez tout au long de cette publication », explique l’éditeur sur son site. Une nouvelle occasion pour Le Comptoir de le rencontrer.

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La Smala, le cri du clan

Entretien publié initialement le 30 juillet 2015 sur ReaphHit

Né de la fusion entre deux crews, L’Exutoire et Nouvelle Génération, et composé de six membres (Senamo, Seyté, Rizla, Flo, Shawn-H et DJ X-Men), La Smala – dont le nom signifie « famille » en arabe – est le groupe qui monte à Bruxelles depuis environ cinq ans. Nous avons profité de leur venue en France dans le cadre de la promo de leur second album physique, « Un murmure dans le vent » , sorti il y a peu pour nous entretenir avec les belges. C’est aux Buttes Chaumont, la veille de leur premier Narvalow City Show, qui s’est déroulé le 4 juillet dernier, que nous avons croisé Senamo, Seyté, Flo et Rizla. Rencontre.

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Lucio Bukowski : « Il ne peut y avoir de changement que par le bas »

Interview initialement publiée sur Le Comptoir le 20 avril 2015 et réalisée avec Ludivine Bénard

Membre du collectif lyonnais L’Animalerie, Lucio Bukowski est un rappeur atypique. Loin des clichés – parfois justifiés – sur le rap, le MC préfère parler dans ses textes de littérature, de poésie et de philosophie, plutôt que d’armes, de « biatch » et de « bicrave », sans pour autant tomber dans le rap conscient. Nous avons profité d’un passage sur Paris où il était accompagné de ses compères Anton Serra et Oster Lapwass, avec lesquels il vient de sortir un album commun, pour le rencontrer. « Accoudé au Comptoir, [il] raconte [sa] vie à une Stella Artois » (enfin, un café, en l’occurrence, il était 9 h du mat’).

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Les souffrances du jeune Brav’

Entretien publié initialement sur Reaphit le 19 février 2015, avec Nicolas

Les fans de Din Records attendaient cet événement depuis longtemps. Presque un an après son compère Tiers Monde, avec qui il formait le groupe Bouchées Doubles, Brav a enfin sorti, le 26 janvier  dernier, son premier solo, intitulé Sous France. Dédié à « la France d’en bas » et « à ceux qui n’y croient plus mais qui se battent quand même », cet opus est sans doute le meilleur du label havrais depuis Arabian Panther de Médine. Quinze titres où le MC trouve un équilibre rare entre rap conscient et morceaux plus intimes, sans jamais sacrifier la forme pour le fond.

Nous avons rencontré l’artiste dans un café parisien, accompagné du manager de Din Records, quelques jours après la sortie de Sous France, pour discuter avec lui de sa musique évidemment, mais également de lui et de ses engagements, comme la Palestine.

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Lucio Bukowski : « Je ne conçois plus ma vie sans papier ni encre »

Interview publiée initialement le 9 juillet 2014 sur Sound Cultur’ALL

Lucio-CoverRappeur du collectif L’Animalerie, Lucio Bukowski est presque un cas à part. Au bling-bling du rap mainstream, le lyonnais préfère la littérature, la poésie ou encore la philosophie (notamment anarchiste). Bibliophile assumé, ce MC-poète reste cependant aussi street qu’intello. Alors que le jeune homme sort la semaine prochaine son second album, deux ans après un premier intitulé Sans Signature, Sound Cultur’ALL a décidé de s’entretenir avec lui, pour un entretien un brin intello.

Sound Cultur’ALL : D’abord, présente-toi pour ceux qui ne te connaissent pas !

Lucio Bukowski : Auteur, MC, indépendant, membre de L’Animalerie, bibliophile, Lyonnais et peintre du dimanche.

SC : On parle souvent de tes références littéraires, mais quels sont les artistes qui t’ont le plus inspirés, à la fois dans le rap et hors du rap ?

LB : En effet ce sont avant tout les écrivains et les poètes qui m’ont donné le goût de l’écriture. Plus j’ai lu, et plus j’ai ressenti la nécessité intérieure d’écrire à mon tour vers les 14 ou 15 ans. Cela a été logique, comme un appel des mots, comme si j’avais trouvé naturellement la place qui avait été prévue pour moi. Et assez rapidement cela est devenu une obsession. Je ne conçois plus ma vie sans papier ni encre…

Ceci dit, mes inspirations sont plus larges que les seules œuvres littéraires. Tout m’intéresse, tout  stimule ma curiosité. La peinture, le cinéma, l’astronomie, les sports, la philosophie, l’histoire, la zoologie, la spiritualité, … et bien évidemment la musique (ou plutôt « les » formes musicales telles qu’elles soient). D’où les abondantes et anarchiques références à Rûmî, Bosch, Kitano, Calaferte, Redon, Clouscard, Scriabine, Marvin Hagler, Kropotkine, MF Doom, Tarkovski, Dante et bien d’autres… Chacun à sa façon a exercé une poussée bénéfique sur mes idées ou ma vision du monde. Les citer dans mes textes est une manière de prolonger cet échange, cette absorption d’une âme collective. Pour moi c’est cela aussi l’inspiration : l’ouverture aux messages divers des hommes et la confrontation de ces messages avec nos expériences intimes… puis leur re-traduction dans un langage qui nous est propre.

J’aime « découvrir », tisser des liens entre chaque chose. J’aime l’idée du « moteur immobile » d’Aristote, où encore la vision hindou d’un monde ou chaque partie forme l’atome d’une chaine constituant un immense corps universel (la théorie de la non-dualité de Shankara est magnifique). Pour moi, l’homme qui bâti une maison, la musique de Beethoven, la croissance d’une forêt, l’air dans nos poumons, l’électricité et la peinture du Caravage sont un seul et même mouvement. D’où mes grandes difficultés à créer des morceaux ayant un seul thème précis. Mes chansons sont plutôt des agrégats d’images et d’idées, de sensations… Et toutes appartiennent à un socle commun malgré leur apparente confusion…

« Ce sont avant tout les écrivains et les poètes qui m’ont donné le goût de l’écriture. Plus j’ai lu, et plus j’ai ressenti la nécessité intérieure d’écrire à mon tour vers les 14 ou 15 ans. »

SC : Quel regard portes-tu sur le rap d’aujourd’hui ? Penses-tu que le retour aux années 1990 qui s’opère depuis quelques années est un renouvellement musical ou au contraire une mort du rap ?

LB : Je m’en fiche pour être sincère. Je n’en écoute pas. C’est intéressant : dans l’histoire de la peinture ce genre de phénomènes s’est répété de nombreuses fois… Des artistes qui à défaut d’inspiration sont revenu à des écoles du passé en accentuant leur travail sur plus de technique afin de dissimuler le manque de fond (néo-classicisme, préraphaélisme, néo-impressionnisme, néo-expressionnisme…). C’est un peu ce qu’il se passe dans le rap aujourd’hui. Ajoute à ça le fantasme général d’un « âge d’or » du hip hop… et nous voici dans une sorte de stagnation musicale qui en réalité est propre à tous les courants. Or en art, la stagnation est sans intérêt.

Ceci dit en parallèle, il y a pas mal de gars qui créent véritablement des choses nouvelles et intéressantes. Qui ont su s’échapper de cette « nostalgie 1998 ». Qui inventent même de nouveaux objets sonores, qui expérimentent… Cela ne signifie pas essayer de faire à tout prix de « l’expérimental », faire de la musique avec des cocottes-minutes et des basses électro couplées avec des chants bretons passés à l’envers… Beaucoup de gens confondent le bizarre et l’innovant.

Ce que j’entends par « inventer de nouveaux langages », c’est écrire d’une façon différente, aborder des choses qui ne l’ont pas été (ou en tout cas le faire d’un point de vue inédit)… Si je devais citer un exemple en rap francophone, ce serait Veence Hanao : dans son dernier album, tout est frais, chaque morceau est un bol d’air. Quand j’écoute Mickey Mouse, je me dis : « merde, je n’ai jamais entendu un truc pareil auparavant ». Ça c’est l’essence de l’art…

SC : On te sait « hyperactif » : peux-tu nous en dire plus sur tes projets actuels et en particulier, sur ton prochain album produit par Nestor Kéa ?

LB : L’art raffiné de l’ecchymose n’est pas un album de rap. C’est un carrefour d’influences : rock, musique électronique, chanson, littérature, pamphlet… Avec Nestor Kéa on a voulu assumer entièrement et sans retenue ce qu’on a toujours fait depuis que l’on bosse ensemble (environ 6 ou 7 ans) : de la musique. L’album est totalement libéré des codes « rap ». La plupart des morceaux sont composés et « joués » par Nestor : guitare, violoncelle, basse… Pour le morceau Mon ardoise par exemple, c’est un pianiste qui joue les différentes parties que Nestor à ensuite ré-agencé pour en faire une composition.

Les thèmes sont plutôt noirs, en adéquation avec la musique… Certains thèmes qui reviennent assez souvent dans mes textes sont évidemment toujours présents. Néanmoins j’ai essayé de les traiter différemment : les images sont plus complexes, moins accessibles, parfois noyées dans des reflux d’instruments qui les recouvrent. Il y a un côté un peu labyrinthique dans certains morceaux, à l’image du track d’ouverture Satori où je laisse en suspend une idée que je récupère dans le couplet d’après (ou dans un autre morceau, ou même jamais). Certaines chansons ont été écrites sans réflexion, un peu comme elles venaient. Dans le titre avec Arm (Autre gare, même train), je ne sais toujours pas pourquoi j’ai écrit certaines choses (rires).

En ce qui concerne le son à proprement parlé, la couleur est quand même très rock (guitares électriques, batteries claquantes, grosses basses…) mais atténuée par des éléments plus classiques : pianos, violoncelles, violons… Ce projet possède un côté très « floydien ». A l’image des derniers projets (De la survie des fauves…, L’Homme Vivant, Golgotha ) c’est Tony Tandoory qui a géré le mix et le master. Comme à son habitude, il a su mettre en valeur les compositions (de Nestor en l’occurrence) en jouant pas mal sur ce côté brutal des rythmiques tout en conservant une grande clarté dans les mélodies des différentes instrumentations… Il a su aussi transformer les voix en véritables instruments en les fondant dans le tout et en faisant en sorte que les mots soient malgré tout « lisibles ».

SC : N’as-tu pas peur qu’en sortant autant de projets et de formats courts, ta musique ne soit qu’éphémère ? C’est d’ailleurs un défaut que tu partages avec l’ensemble de ta génération : est-ce que ce que le rap est prisonnier de ce que le sociologue Zygmunt Bauman appelle « la modernité liquide » – à savoir une époque où tout est accéléré, dématérialisé et instable ?

LB : Je ne vends pas des barres chocolatées. Je pratique un art. Retenir mon élan et prévoir des sorties de projets en fonction de ce que les lois de la communication me dictent serait une véritable trahison envers moi-même. Je sors beaucoup de projets car les pulsions créatrices sont importantes. Tu considères cela comme un « défaut », moi non. C’est comme si tu avais dit à Mozart : « Oh mon gars tu créés beaucoup trop là ! Faut que tu ralentisses parce qu’un sociologue a dit que ce n’était pas bien… » Qui aurait songé à reproché à Cézanne de trop peindre ?

J’expulse ce qui monte en moi puis je l’offre aux quelques auditeurs qui s’y retrouvent et cela s’arrête là. Très honnêtement, que ma musique soit « éphémère » ou non je m’en fiche : ce n’est pas mon objet. Céline disait : « La postérité est un discours fait aux asticots. »

D’ailleurs ta théorie ne se vérifie pas : les gens qui découvrent les projets au fur et à mesure se rendent compte qu’il y en a eu 12 avant et vont écouter des EP d’il y a 4 ans. J’aime bien cette idée de découverte d’une œuvre à rebours…

SC : Un truc surprenant pour un rappeur, c’est que tu sembles très détaché de ton collectif L’Animalerie : pourquoi ?

LB : Détaché de L’Animalerie ? Je suis dans quasi toutes les vidéos collectives, je fais presque tous mes concerts avec Oster Lapwass et Anton (avec lesquels on prépare d’ailleurs un album commun), je suis invité dans tous les projets des copains qui sont sortis jusque-là et j’ai au moins trois tee-shirts de L’Animalerie… Si ça c’est être détaché du crew (rires) !

Plus sérieusement, cette sensation que tu as provient sûrement du fait que je sors également beaucoup de projets avec d’autres personnes qui ne font pas partie de la bande (Nestor, Tcheep, Mani, Kyo Itachi (en préparation), Haymaker…). Mais c’est ce qui me plait dans L’Animalerie : tu fais ce que tu veux avec qui tu veux…

SC : Le thème de la solitude est récurent dans ton rap. Celle-ci est-elle indispensable à toute création artistique et/ou intellectuelle ? D’ailleurs, à ce propos, Charles Bukowski a déclaré : « la solitude me nourrit, sans elle je suis comme un autre privé de nourriture et d’eau. »

LB : Oui cela je le pense profondément. La solitude est le seul état où tu te retrouves véritablement face à toi-même. Elle exacerbe tes sentiments, affine tes idées, démystifie ta vision du monde et surtout de ta propre conscience… Cela ne signifie pas s’isoler de tout et de tous : tu peux être quelqu’un de solitaire et vivre avec ta femme, voir tes potes, être affable avec tes collègues de boulot… Simplement il y a une nécessité de fréquents retranchements dans le silence et l’introspection. La solitude est un peu un état de refus. Peut-être même une forme de fuite… Dans le cas de ma musique, cet état d’esprit est à la source de tout. C’est un étrange équilibre entre tristesse et bonheur…

Paradoxalement j’aime écrire dans des lieux de passages, comme les bars. Cette frénésie tout autour marque encore plus le contraste avec la solitude. D’ailleurs à certaines heures de la journée, j’ai l’impression que ces lieux de passages deviennent en fait les réceptacles de toutes les âmes solitaires du coin. C’est drôle quand j’étais gosse, j’allais souvent manger avec mes parents dans une célèbre chaîne de restaurants en « libre-service » dans la galerie marchande du supermarché après avoir fait les courses du vendredi soir… et j’en ai gardé une image en particulier : je ressentais une peine immense quand je voyais un homme ou une femme manger seuls, assis à leur table, l’œil un peu éteint… Aujourd’hui je me demande s’ils étaient simplement esseulés et tristes, ou s’ils mûrissaient un roman ou une toile.

SC : Dans quelle mesure la poésie nourrit ton rap ?

LB : Ça je ne l’analyse pas vraiment. Je lis énormément, et ça me fait écrire énormément. Le contacte avec les visions, les styles et les mots font fourmiller les idées. Ce qui est certain, c’est que la littérature et la poésie m’ont permis d’acquérir un bagage lexical important, ce qui est tout de même l’élément essentiel quand tu affirmes « écrire ».

D’un côté, tu es très critique envers les institutions, l’autorité et le capitalisme et de l’autre, envers la modernité et ce que certains, comme Jean-Claude Michéa, appellent « la religion du progrès ». Tu te définirais comme « anarchiste conservateur » ?

LB : Je ne sais pas. Je n’aime pas trop ça entrer dans un groupe politiquement ou socialement prédéfinit. C’est plus complexe il me semble. Vraiment je ne sais pas… J’essaye seulement de refuser ce qui me parait vain et injuste, et de défendre ce qui me parait essentiel et bénéfique (fondamentalement) pour les hommes et les femmes. Je ne souhaite pas être un militant mais seulement un homme de bien à ma minuscule échelle : « Soit le changement que tu souhaites pour le monde.» (Nabilla)

SC : Tu es plus quel genre d’anarchiste : Bakounine, Kropotkine ou Orwell ?

LB : Kropotkine, à cause de L’Entraide, et Orwell, à cause de sa « common decency ». Chez Bakounine ce qui me gène, c’est le rejet absolu et sans condition de la spiritualité. Je préfère être ouvert à toutes choses. Je hais les frontières closes telles qu’elles soient : elles ne font naître que des haines.

« La réalité c’est qu’un paquet de mecs de partout en France continu à voir le rap comme ce moyen d’expression libéré des contraintes diverses qu’imposent l’industrie du disque à ses obséquieux domestiques. »

SC : Dans Sans Signature, tu définis le rap comme étant à l’origine une « culture libertaire ». Mais tu ne penses pas que le hip hop « peace, love and having’ fun », très festif et consumériste du début était plus proche de ce que Michel Clouscard nommait le « libéralisme-libertaire » que du socialisme libertaire d’un Bakounine ou un Kropotkine ?

LB : Oui tu as tout à fait raison… en ce qui concerne les Etats-Unis en tout cas. Mais en France la réception du hip hop s’est faite de manière différente. Elle s’est teintée d’une couleur sociale d’entrée. Elle a laissé espérer quelque chose qui s’est effondré assez vite avec les signatures en major et la médiatisation. Néanmoins, les premiers temps le rap est apparu comme un moyen simple et abordable de faire de la musique. Pour nous, ça a été une occasion formidable d’écrire et de se libérer, du moins d’échapper à des langages artistiques et musicaux qui ne nous parlaient pas forcément. Et surtout il n’y avait pas encore de codification, du coup la liberté artistique était un champ vierge.

Mais bon malgré ce qu’est devenue en partie cette musique (la partie la plus voyante), la réalité c’est qu’un paquet de mecs de partout en France continu à voir le rap comme ce moyen d’expression libéré des contraintes diverses qu’imposent l’industrie du disque à ses obséquieux domestiques. Je préfère parler de ces gens…

SC : Tu déclares souvent qu’avoir étudié l’histoire t’as fait prendre conscience de ton désintérêt pour cette discipline. Pourtant, ton rap n’est pas dénué de références historiques (« l’Empire Canut », par exemple). De plus, tu ne penses pas que l’histoire, avec ses « 10 000 ans d’humanité », est l’une des clés de compréhension du monde ?

LB : L’histoire oui ! L’histoire officielle non !

Je m’explique : j’ai bouffé 10 années d’enseignement universitaire dans ce domaine vaste et indéfini qu’est l’histoire… et je n’ai appris qu’une seule chose : comment les puissants (0,5 % environ de l’humanité) se sont refilés les uns aux autres notre monde depuis toujours. D’accord, je caricature un peu, mais enfin l’histoire « officielle » c’est à peu de choses près cela. La raison en est simple : pourquoi ceux qui détiennent le pouvoir (peu importe l’époque et la géographie) auraient-ils enseignés à leurs peuples de quelles façons ils les contrôlent afin de rester riches et puissants ?

Pour le collège et le lycée : Marc-Aurèle qui écrit sur le bonheur tout en brûlant des chrétiens, Montesquieu qui écrit sur la liberté tout en possédant je ne sais combien d’esclaves, 1789 vu comme une libération du peuple, Napoléon vu comme l’archétype du génie français, 1905 vu comme la libération de la France des griffes autoritaires de l’Eglise, la 1er guerre mondiale (pognon, pognon, pognon…), le traité de Versailles vu comme une punition juste de L’Allemagne, l’ONU (sans commentaire), le Plan Marshall vu comme une aide des Américains, la décolonisation vue comme un geste de bonté de de Gaulle, l’ultralibéralisme vu comme la liberté de chacun de devenir millionnaire et de baiser un maximum de femmes en buvant du champagne… L’enseignement historique dans ce pays est devenu une vaste plaisanterie.

D’ailleurs en France on porte un intérêt tellement poussé à l’histoire que cela ne choque personne que les livres de nos enfants soient publiés par un marchand de bombes… qui n’est pas vraiment un grand opposant aux puissants ni un fervent défenseur des valeurs humaines, j’imagine…

Pour ce qui est de l’enseignement universitaire c’est un peu moins vulgaire, plus raffiné, plus complexe, mais le résultat est sensiblement le même : histoire des puissants de l’Antiquité, histoire des puissants du Moyen-âge, histoire des puissants de l’Ancien Régime, histoire des puissants de la Renaissance, histoire des puissants de l’Epoque Contemporaine…

En réalité, la véritable histoire demande de la curiosité, de la recherche, le tout détaché absolument de l’université et des publications officielles. Quand tu vois qu’un génie comme René Girard a été méprisé par les « autorités intellectuelles » de ce pays parce qu’il n’était pas universitaire ! Mais qui lit René Girard de toute façon… quelle idée…

Par exemple j’ai découvert il y a un an ou deux les recherches de Cheik Anta Diop, et notamment ses travaux sur l’Afrique précoloniale. Concrètement il explique qu’avant l’invasion blanche, l’Afrique ne se résumait pas à quelques types dans la jungle avec des tam-tam et à peine de mots pour communiquer (ce qu’on t’enseigne encore à peu de choses près) mais plutôt à de vastes empires modernes (réseaux de transport, systèmes bancaires, commerce développé, urbanisme étendu, riche industrie…), à des systèmes linguistiques élaborés et extrêmement variés, des spiritualités réellement « humanistes » et « naturalistes », des réseaux d’entraide des plus fortunés vers les moins fortunés (avec l’image des rois pauvres, dont tous les biens sont offerts aux basses classes par soucis d’un équilibre naturel du monde)… Et bien en 3 années d’histoire de l’Afrique à l’université, je n’ai jamais entendu prononcer le nom de Cheik Anta Diop

SC : Un mot pour finir ?

LB : Vivons de la bonne façon. Pas de celle que l’on nous impose.

Pour aller plus loin :

 

 

A2H : « Rappeur hype, ça ne me parle pas ! »

Interview publiée à l’origine le 18 juin 2014

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A2H par Jeanne Frank

Rappeur originaire de Melun dans le 77, A2H n’entre dans aucune catégorie. Kickeur né et producteur de talent, le MC se distingue avant tout par son style cool et décalé. Si l’artiste a fait ses premières armes au début des années 2000, ce n’est que depuis quelques années que le buzz est réellement au rendez-vous.  A coups de freestyles et de mixtapes (5 juste pour l’année 2011 !!!), le melunais a réussi à se faire un nom dans le rap game. C’est à l’occasion de son 2ème album solo, après un skeud commun avec en Aelpéacha, que Sound Cultur’ALL a rencontré le MC.

Sound Cultur’ALL : D’abord présente-toi pour ceux qui ne te connaissent pas !

A2H : C’est le « A », c’est le « 2 », c’est le « H ». Rappeur, producteur, beatmaker du 77, Melun-City zoo ! Heureux de faire partager sa potion.

SC : De Svinkels à ton 2ème album solo, en passant par celui avec Aelpéacha, tu peux nous expliquer un peu ton parcours ?

A2H : Non, mais Svinkels n’a jamais été un point de départ. C’était plutôt une petite étape, dans le sens où c’est par hasard que j’ai rencontré Gérard Baste. Les gens font souvent l’amalgame, mais je ne suis pas du tout de cette école. Moi, j’ai grandi avec NTM et Lunatic, dans ma banlieue sud à vendre du shit. Bref, j’ai eu le parcours de n’importe quel jeune de banlieue. Mais toute cette ouverture vers le rap « alternatif » est arrivée plus tardivement, vers la fin du lycée. Et j’ai bien apprécié. On va dire que mes inspirations vont de J’appuie sur la gâchette [NDLR : 2ème album du groupe NTM sorti en 1993] à Pharell Williams. Pour résumer mon parcours, j’ai grandi dans la banlieue sud, j’ai commencé par le rap, puis j’ai arrêté un peu pour faire du reggae, puis un peu de fusion et de rock, après je suis revenu au reggae avec des musiciens, ensuite, j’ai refait du rap avec des musiciens. Ce n’est qu’après que j’ai découvert cette école: les Gérard Baste et tout. On a fait un concert ensemble. Après, j’ai développé ma carrière solo à coups de mixtapes. Mon premier album est sorti en 2012. Celui avec Aalpéacha en 2013. Nous voilà aujourd’hui en 2014 avec Art de vivre.

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A2H par Jeanne Frank

 

SC : Tu as un style musical très éclectique, tu nous citerais les artistes qui t’ont le plus influencé, à la fois dans le hip hop, mais aussi en dehors ?

A2H : On va dire : les Wailers, NTM, Snoop, Dre, Pharell Williams, Radiohead, les Red Hot, j’ai aussi été beaucoup Ben Harper un moment. Après, je pourrais mettre également beaucoup d’électro.

SC : Comment un gosse du rap se retrouve à faire du reggae, et pire à faire du rock ?

A2H : C’est très simple, j’habite à Melun dans le 77. C’est-à-dire que je suis à mi-chemin entre les blocs et les pavillons à la campagne. Ce qui veut signifie que j’avais des potes qui sortaient de prison, autant que j’en avais fils de médecins ou d’avocats. Donc, je pouvais aussi bien me retrouver dans des ambiances rap/cave que dans des ambiances bœuf dans un pavillon. J’avais vraiment l’ouverture à tous les styles de classes sociales et de personnes. J’ai donc découvert toutes les ambiances en même temps. Moi, je suis de classe moyenne, avec pas trop de thunes, donc j’ai surtout été dans la mouvance rue. Mais, j’ai quand même été ouvert à tout le reste.

« Comme je dis souvent, je ne suis ni un bobo, ni une caillera. On m’invite à un vernissage ou dans une cave, les deux me plaisent »

SC : C’est peut-être aussi ce qui fait que tu t’insères aussi facilement dans le rap actuel qui est plus parisiens et moins ghetto…

A2H : Ouais, carrément. Je pense que ça m’aide à faire la transversal entre les blocs et les milieux un peu plus bobos parisiens.  Comme je dis souvent, je ne suis ni un bobo, ni une caillera. On m’invite à un vernissage ou dans une cave, les deux me plaisent (rires).

SC : Tu fais un peu partie de ce qu’on peut appeler « la génération Can I Kick It », t’as peur d’être considéré seulement comme un rappeur hype et de ne pas être crédible ?

A2H : Non. Si j’étais seulement un rappeur, ça aurait été vrai. Mais, j’ai créé une entreprise, j’ai monté un label, je développe des artistes, je fais des arrangements et je fais des voix off à la TV et au ciné. Je produis également énormément de gens, même s’ils ne sont pas forcément très connus, je fais de la musique, je monte des projets pour les jeunes… Donc « rappeur hype », ça ne me parle pas (rires) ! Rapper, c’est 30 % de ce que je fais tous les jours.

SC : Et comment t’es venu le beatmaking ?

A2H : Au bout d’un moment, quand tu fais des freestyles sur Shook Ones Part II de Mobb Deep depuis 2/3 ans, t’as envie de rapper sur autre chose (rires) ! Donc tu demandes à un pote de te prêter Groove DJs. Après, tu trouves que Groove DJs, c’est horrible, tu décides de passer à Fruity Loops. Ensuite, Fruity Loops tu trouves ça cheap, tu passes à Risen. Puis, Risen, tu trouves ça trop électro, et ainsi de suite. Maintenant, je bosse un peu avec tout et c’est vraiment par la force des choses.

SC : Tu viens de sortir de sortir Art de vivre [ndlr : l’interview a été réalisée le 29 mai 2014] : comment définirais-tu cet album ?

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A2H par Jeanne Frank

A2H : Sincère ! Tout ce qui est dedans est spontané. Rien n’est réfléchi en termes de buzz. C’est vraiment ce que j’avais envie de faire. Des morceaux, comme Dans ma chambre traduisent un sentiment que j’ai souvent, celui de vouloir me renfermer sur moi-même.  De plus, c’est moi qui produit et il n’y a pas de samples. Il y a des morceaux comme Trivette qui sont des blagues, mais ce ne sont que des private joke. J’ai vraiment mis une très grande sincérité dans ce disque.

SC : Parle-nous des featurings : Kenyon et 3010 ?

A2H : Kenyon, c’est un mec que j’apprécie. On partage un peu la même vision de la musique.On passe du rap au chant et on aime s’ouvrir à d’autres choses.  C’est pareil pour 3010, qui est rappeur-producteur. Il est très consciencieux en termes de sons et de sonorités. Niveau ouverture d’esprit et thématiques, ce sont deux gars du rap français qui sont comme moi. Je sais que les gens n’ont pas forcément tout compris de leur personnage. 3010 peut être perçu comme un « rappeur hype », plus que moi encore, alors que c’est un type qui bosse beaucoup. Il se prend la tête et produit super bien. Kenyon peut être perçu comme un genre de roots, mais c’est un putain de kickeur et un gros improvisateur. Il est très fort en chant en plus.

SC : Comment s’est passé le choix des prods ?

A2H : J’ai demandé à Gregarson de Bel-Air, Kobébeats, Dtwice et Wizi-P de m’envoyer des prods.Kobé est ultra-productif et même s’il n’en a que 3 sur cet album, il m’en a balancé 70 ! Dtwice m’en a proposé une bonne trentaine et j’en ai pris une dizaine. Quant à Wizi-P, ils m’en ont envoyé 3-4. Ils sont sur Mad Decent, le label de Diplo, ils ont de plus gros contrats que le mien à honorer (rires). C’est pour cela qu’ils ne pouvaient pas m’en envoyer beaucoup, mais j’en ai pris une. Le reste a été produit par moi.

SC : Revenir en solo après un duo avec Aelpéacha, ça fait quoi ?

A2H : Ça fait du bien, parce qu’il est un peu autoritaire. Il est très à cheval sur la sonorité que ça doit avoir, car il a une patte bien à lui. Ça a été une superbe expérience, très enrichissante, mais j’aime bien être le patron de mon truc. C’est moi qui arrange et réalise mes albums et je trouve cette position agréable.

SC : Un mot pour finir ?

A2H : Allez acheter Art de vivre, cet album va changer votre vie (rires) !

Pour aller plus loin :

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Doc Gynéco : « Les cités sont remplies de footballeurs et de rappeurs qui ont raté leur carrière. »

Entre son humour, son style nonchalant et sa passion pour le ballon rond, Doc Gynéco est un personnage atypique dans le monde du rap. Malgré une carrière en dents de scie, celui qui se revendique « chanteur de rap » restera à jamais l’auteur de l’un des meilleurs albums de l’histoire du rap français : Première consultation. Alors que beaucoup pensaient sa carrière finie, Bruno Beausir de son vrai nom a annoncé un retour imminent. L’occasion pour RAGEMAG de le rencontrer à son entraînement à Courbevoie pour parler football et rap.

Tu es un grand passionné de foot. Que penses-tu de la nouvelle formule du PSG ?

C’est toute une histoire depuis que le Qatar a pris le pouvoir ! Cette équipe a de l’argent mais plus d’âme. Ça ne sera même pas profitable au football français, d’ailleurs est-ce qu’il y a des joueurs français dans cette équipe ?

Dans le 11 type, il y a Blaise Matuidi, voire Adrien Rabiot de temps en temps.

C’est bien ce que je dis. Deux, c’est rien !

Mais s’ils font un jour comme l’OM de 1993 et remportent la Ligue des Champions ?

Ils n’auront jamais l’esprit. Ils pourraient faire mieux que Marseille sur le plan sportif mais pas sur le plan humain. C’est juste une machine de guerre comme dans Ocean’s Eleven. Avec l’argent qu’ils investissent, ils vont devenir les Harlem Globetrotters du foot et recruter le joueur qui serait capable de marquer en pétant ? (il éclate de rire) Mais nous on s’en fout, on n’a pas besoin de joueurs qui savent tout faire. Une équipe doit avoir une âme et un esprit. C’est une équipe composée de bêtes curieuses.

Selon toi, Paris, Monaco et leur pléiade de stars vont-ils rendre la Ligue 1 plus attractive ?

Ces équipes sont trop financières. Ce n’est que du business tout cela. Le football français a besoin de Guy Roux ou d’Arsène Wenger. Ils ont une âme et vont chercher des joueurs inconnus pour les lancer. Un type comme Eto’o, c’est une belle histoire : son manager me racontait qu’il était tellement pauvre que la première fois qu’il a goûté à un yaourt, il avait 18 ans.

Eto’o est pourtant souvent décrit comme un joueur égoïste et vénal.

Malheureusement, oui. Mais en réalité, il vient d’une case surpeuplée où ils dormaient à même le sol. Elle est là la vérité. Il a connu la misère. Bref, il n’y a plus qu’Arsène et Guy Roux qui ont encore cette culture de lancer de jeunes joueurs français qui nous ressemblent. Et ça nous fait plaisir, car le foot est notre opium à nous. On ne lit pas Jean-Paul Sartre : pour se distraire on n’a que le foot. Regarde Djibril Cissé : c’est Guy Roux qui l’a fabriqué. Aujourd’hui, il fait le malin et le mec fashion mais ce n’est pas vrai. Je l’ai vu petit, quand Guy Roux le sortait, il lui ordonnait de mettre sa veste pour qu’il n’attrape pas froid.

On sait que les rappeurs et les joueurs de football s’apprécient : quel lien vois-tu entre rap et foot ?

Le lien, c’est la cité ! On vient de la rue, du même monde. Et puis, le foot et le rap c’est un rêve pour tout le monde. Le rêve suprême d’un mec de cité c’est de monter une équipe de foot ou une maison de production de rap. Les filles sont les plus sérieuses aux quartiers, elles réussissent mieux (rires). Mais les ghettos sont remplis de footballeurs et de rappeurs qui ont raté leur carrière.

Et que penses-tu de l’affaire Evra ?

Je crois que les joueurs ne devraient pas trop parler de trucs comme ça. Ils ont un sport qui est au centre de la société, c’est vrai. Tout le monde est focalisé sur les grandes compétitions, que ce soit la Coupe du Monde ou l’Euro. Paraît que certains tueraient leur femme pour ça. Mais les footballeurs ne sont que des pions. Quand un club t’a acheté 100 millions, pour lui tu n’es rien d’autre que de l’argent, il ne s’attend pas à ce que tu l’ouvres. Ils ne devraient pas s’exprimer si ce n’est pour le caritatif.

Dans une interview récente à France Info, tu dénonces le rap bling-bling et  déclares que le rap est une musique de droite qui s’imagine de gauche dans sa Ferrari. N’est-ce pas contradictoire avec le soutien à un Président de droite largement décrié pour son côté bling-bling ?

Pas du tout ! Parce qu’à l’époque j’ai voulu marquer les esprits. J’ai vu que le rap tournait en rond. Comment faire la différence entre un mec qui écoute du hip hop et un mec qui écoute du hard rock ? Rien, si ce n’est qu’ils ont chacun été pris par un souffle différent. Un chanteur peut réellement changer la phase du monde, la musique c’est quelque chose de très fort. Quand je me suis associé à Sarkozy, j’aurais pu soutenir aussi un candidat de gauche. C’est la politique qui est réductrice car elle a toujours été en dessous de ce que nous sommes réellement. Ségolène Royal m’aurait appelé, j’aurais été la voir. Le but est que les gens réussissent et s’en sortent. Quant à ma personne, elle n’est jamais trahi que ça soit avec l’extrême gauche ou l’extrême droite. Mais il faut comprendre que beaucoup de rappeurs sont passés par la gauche pour faire croire qu’ils s’intéressaient au peuple afin de vendre n’importe quoi à n’importe qui. Ceux-là sont des hypocrites qui servent le système et c’est moi qui suis intègre. La preuve, c’est que je suis ici et pas à Los Angeles en train de sniffer de la coke où je ne sais quoi d’autre.

« Il faut comprendre que beaucoup de rappeurs sont passés par la gauche pour faire croire qu’ils s’intéressaient au peuple afin de vendre n’importe quoi à n’importe qui. »

Tapis avec qui tu as chanté est aussi le symbole des dérives bling-bling de gauche…

D’un angle journalistique, tu as raison. Normalement, je n’étais pas sensé discuter avec toi. J’ai grandi près des poubelles, à Porte de la Chapelle. Allez y faire un reportage, vous verrez ce que c’est. Moi je ne suis ni un journaliste, ni un politique. Tapis ça reste le mec qui a fait gagner la Ligue des Champions à Marseille en 1993. Je ne suis peut-être pas assez intelligent mais j’agis avec mon cœur et pas par calcul.

Mais au-delà du bling-bling, le hip hop peut être perçu comme une culture provenant des quartiers dits « populaires ». Tu ne trouves pas que l’association à la gauche est logique ?

Non parce que ce discours est mort. Depuis longtemps, les quartiers ont compris que la gauche les a trahis et qu’elle se sert d’eux pour obtenir des voix. Même s’il y a quelques représentants de « couleur », personne n’est dupe : tout le monde sait que c’est du cinéma. La gauche est aussi bourgeoise que la droite. La France est cependant une société de castes. Gauche et droite ne sont que des frères bourgeois qui s’engueulent (rires). Les immigrés, les pauvres ou les ouvriers ne sont pas leurs priorités. Ils n’ont donc pas à prendre parti dans ces disputes de grandes familles : qu’est-ce que ça peut leur faire ?

On croyait que tu avais quitté le rap game : pourquoi cette envie d’un retour ?

C’est une demande expresse du public qui se morfond du rap d’antan. Il suffit de tous les écouter dire que « c’était mieux avant ». Et puis il y a aussi toute une nouvelle école qui essaie de remettre au goût du jour le rap d’avant. La différence avec nous, c’est que nous essayions d’amener quelque chose de nouveau. Mais le niveau du rap a baissé ces dernières années. Il se situe en-dessous du zéro aujourd’hui. Comme tu le dis si bien, c’est devenu un game. Ce n’est plus une musique avec une histoire. On a fini par oublier les éléments et les fondateurs. Voilà pourquoi inconsciemment tout le monde est à la recherche de l’esprit perdu. Ce que je dis c’est vrai pour tous les activistes, que ce soit les premières bandes – avant moi – ou les plus jeunes. Mais contrairement aux autres, moi j’ai ouvert le rap à des gens qui n’étaient pas censés en écouter.

Que penses-tu de cette nouvelle vague de MC’s qui rappent comme les anciens ?

Comme ce groupe, que je trouve très intelligent, qui essaie de ressusciter l’esprit années 1990 ? Comment il s’appelle ce groupe ? C’est tout un collectif, ils sont nombreux dedans…

1995 ?

Oui, 1995 ! Ils sont très intelligents. Ce sont des jeunes qui ont compris que le rap avait perdu son âme et son essence et qui sont assez cultivés pour savoir où aller piocher. Les jeunes qui n’ont pas ce recul croient souvent, à tort, que le rap est une musique de sauvages. En plus, c’est une musique pratiquée majoritairement par des noirs : ils ne manquent plus que les lances pour les amalgamer à des zoulous (rires). Mais en réalité, c’est une musique qui était très en avance sur les autres. C’est, compte tenu de l’époque, l’égal du rock ou de la pop. Chaque musique a ses grands artistes et ses grands groupes. Mais aujourd’hui, le hip hop est devenu un game qui court après le fait divers. Ce mouvement a perdu toute son intelligence et tout ce qu’il pouvait apporter aux jeunes qui l’écoutaient. Il avait des codes et même une mode. Actuellement, ils sont repris par des bourgeois. Ce sont des éléments qui ont été pris et piochés un peu partout dans la société. Le hip hop a été brisé en mille morceaux et chacun a pris ce qu’il voulait. Maintenant certains font des casques, d’autres reprennent le langage…

Dès ton premier album, avec Classez-moi dans la varièt’ par exemple, tu es très critique vis-à-vis du rap game. Est-ce que le hip hop n’a pas toujours été trop réducteur pour toi ?

Les autres rappeurs ne sont pas assez intelligents, ils ne m’intéressent pas. Qu’est-ce que j’en ai à faire d’un mec qui me raconte ses années de prison et qui m’explique qu’il est très doué dans tel art martial ? Moi, je m’en fous. (rires) Ça n’intéresse personne d’ailleurs. Et pire encore, ça ne fait peur à personne. Les rappeurs ne sont pas des voyous.  Des vrais voyous, tout le monde en connaît et ce n’est pas dans les studios qu’on les trouve. Un voyou c’est quoi ? Un Guadeloupéen, un Corse ou un Algérien. (rires) Plus sérieusement, les vrais durs sont dans la rue et pas dans le rap. Les rappeurs ne sont que des enfants qui rêvent de la vie d’Al Pacino dans Le Parrain. Va demander à MC Solaar ou à n’importe qui d’autre si les rappeurs sont des grands durs !

Tu as récemment dénoncé la misogynie de Booba et tu as dit qu’il était bidon. Pourtant, il n’y a pas si longtemps tu disais qu’il était intelligent. On s’y perd.

Les propos rapportés par les médias marchent de la même manière que les téléphones arabes. Tu dis un truc à une première personne et la dixième ressort totalement autre chose. Je maintiens que Booba est quelqu’un de très intelligent qui joue avec tous les codes. Il s’inspire parfaitement de ce qu’il a observé des plus anciens, sans en refaire les erreurs. Plus jeune, quand on m’a demandé de vendre des t-shirts, j’ai rigolé et refusé. J’ai répondu que j’étais là pour faire de la musique et pas de la vente. Pareil, quand on m’a demandé de jouer au dur et de jouer au voyou. À l’époque, je voulais m’en sortir. J’ai des amis qui se sont retrouvés en prison ou sont morts. J’ai souffert de cette vie de voyou et je voulais la laisser derrière moi. Et puis je pensais à ma famille qui pouvait me voir à la télévision. Mais le public ici a tendance à aimer le radical et veut voir en nous des gens violents. Au fond qui est le rebelle ? C’est celui qui joue de son image de noir pour servir la machine ? Ceux qui jouent aux durs, même quand ils le sont réellement, servent la machine, car c’est ce qu’elle attend de nous. C’est le rôle qu’on nous a assigné. Ce que pourrait faire de mieux Booba, ce serait de faire un album avec Rohff que je produirais : on serait riches comme les noirs américains (rires). Il pourrait aussi dire qu’il arrête la drogue et essayer de donner une bonne image aux jeunes. Mais non, il préfère se montrer de plus en plus fonce-dé et casser des gueules…

Les femmes ont toujours joué un rôle central dans ta musique : penses-tu que leur image s’est dégradée dans le rap ?

Diam’s avait son rôle à jouer mais elle a préféré la religion. Elle a fait ce qu’elle avait à faire et elle a emmené le rap féminin où elle le voulait. Mais à notre époque, nous parlions pour les femmes, en tant que rappeurs. Puis quand Diam’s est arrivée, ça a été son tour. Aux États-Unis, ils ont des Queen Latifah et des Lil Kim. Mais il n’y a pas que l’image de la femme qui est en danger dans le rap. C’est toute l’image du rap qu’il faut sauver. Regarde à quoi ressemble un rappeur ou un amateur de rap dans un film : ils sont vus comme des sauvages.

Pourtant sur Paris, le public rap s’est beaucoup démocratisé ces dernières années…

« Les vrais durs sont dans la rue et pas dans le rap. . Les rappeurs ne sont que des enfants qui rêvent de la vie d’Al Pacino dans Le Parrain.  »

Espérons ! Mais d’après moi les bobos n’écoutent plus de rap, ils ont juste gardé les baskets. C’est fini, ils ont compris qu’il n’y avait rien à gratter de positif. Pourquoi écouter des chansons qui parlent de meurtre ? De même, les rappeurs qui décrivent leur quartier, ça n’a pas de sens, ça n’intéresse personne.

Il n’y a pas que dans le rap qu’on voit cela pourtant : un chanteur comme Renaud, avec Dans mon HLM par exemple, le fait aussi.

Exactement !

Et ton affection pour Renaud est bien connue.

Je dirais de l’affection mais aussi de la désaffection. J’ai fini par comprendre que c’était le genre d’artiste qui profite de la faiblesse des autres. Sauf que je l’ai compris trop tard. Ces artistes jouent aux simples mais ne le sont pas. Tu ne peux pas parler aux gens simples assis dans un salon à Saint-Germain. Après, ça existe aussi des milliardaires rouges… Beaucoup d’artistes sont faux, ils ne sont pas en accord avec leur discours.

Que des numéros 10 dans nos teams

IAM versus NTM. OM contre PSG. Il n’y a décidément pas plus belle époque que ces années 1990. Du temps où coups de coudes et tacles à hauteur de genoux venaient animer le fameux classico français, OM – PSG. Le rap français, lui aussi, s’est cherché une rivalité. Celle-là même qui enflammait déjà côte Est et Ouest des États-Unis. Les groupes IAM et NTM sont choisis pour disputer le match. L’arbitre se nomme Les Inrockuptibles. Match d’idéologie où tensions et joutes verbales se mêlent à l’inévitable question des couleurs footballistiques. Kool Shen attaque le premier : « Moi, je suis PSG. […] [Les Marseillais] vous avez ce côté parano vis-à-vis des Parisiens, mais il y a combien de supporters du PSG à Marseille ? Douze ? À Paris, il y a énormément de supporters de l’OM. » Réponse d’AKH, « Le PSG est une belle équipe, mais on ne peut pas supporter le kob de Boulogne et France Football. » Rien à faire, le Sud et le Nord ne passeront jamais leur vacances ensemble (enfin, à part lors de ce maudit chassé-croisé de fin juillet).

Quelques années plus tard, Nord et Sud de la France reparlent ballon rond. Le collectif IV My People signe la bande originale du très bon documentaire À la Clairefontaine qui suit le destin du fleuron de la formation française. Sur la Cannebière, ce sont les Psy 4 de la Rime qui rappent l’Ohème à l’occasion du projet OM All Stars (2004). La même année, Booba électrise le rectangle vert à coups de crochets et de football champagne.
N°10 permet à Coach B2O d’expérimenter son nouveau schéma de rap uniquement basé sur le culte du meneur de jeu. Le football-rap romantique est né. Arrigo Sacchi, lui, ne peut qu’applaudir.

Mais c’est bel et bien Doc Gyneco qui écrasera la concurrence avec le célèbre Passement de jambes. Sur un beat monstrueux, le Doc accumule les clins d’œil au monde du foot tout en livrant une prestation microphonique remarquable. De Bebeto à Marc Landers, en passant par le célèbre jeu vidéo Kick Off, tout y passe. C’est ce qu’on appelle réussir son passement de jambes tout en flambant sur le beat.

Lamine Belharet

Boîte noire

Koriass : « Les rappeurs québécois n’ont jamais essayé de s’exporter en France. »

Interview publiée le 23 octobre 2013 sur Sound Cultur’ALL

Koriass_BB-600x425Avant nos Rap Contenders, les Québécois avaient le Word Up Battle ! C’est d’ailleurs pour cette raison que lors des événements internationaux francophones, les MC’s outre-Atlantique font preuve de plus de maturité que nos artistes hexagonaux. Koriass fait partie de ces nombreux clasheurs qui se sont révélés auWUB. Mais à la différence de nombre de ses concurrents, il a su s’exporter et a déjà deux albums à son actif. C’est à l’occasion d’un bref passage à Paris pour un concert que Sound Cultur’ALL s’est entretenu avec le MC.

Sound Cultur’ALL : Déjà présente-toi !

Koriass : Moi c’est Koriass rappeur canadien, de Montréal pour être plus précis.

SC : T’as commencé quand le rap ? Et quels artistes t’ont influencé ?

K : J’ai commencé à écrire à 14 ans avec mes copains. A l’époque on écoutait beaucoup de rap ensemble. Je dirais que mes influences françaises majeures sont IAM, Passy, Fabe. Ce sont eux qui m’ont incité à faire du rap en français, alors que j’écoutais en majorité du rap américain.

SC : Et niveau rap us, tu citerais qui ?

K : Plein de choses ! En premier lieu des trucs comme Nas, Jay-Z, Ruff Ryders… Mais j’ai écouté aussi des sons plus west coast comme Snoop. Puis avec l’âge mes goûts se sont affinés et je me suis mis à écouter des choses un peu plus obscures. Mes influences sont très larges et j’écoute encore beaucoup de rap us.

« Mes influences sont très larges et j’écoute encore beaucoup de rap us »

SC : Comment définirais-tu ton rap ?

K : C’est du rap très technique. Mais rimes sont souvent multisyllabiques. Sinon, au niveau du contenu je peux faire un peu de tout. Je suis capable de thèmes engagés comme de faire dans le dérisoire. Je le fais au feeling, mon rap humain.

SC : Et les battles, ça t’es venu comment ?

K : C’est venu très naturellement. Avec l’arrivée d’internet, il y a eu une vague de battles audio enregistrées sur un forum au Québec. J’ai commencé comme ça, puis je me suis mis à en faire en live dans des soirées. J’appréciais vraiment et c’est ce qui m’a poussé à faire les Word Up Battle !

SC : Donc ça ne vient pas de 8 Mile ?

K : Non ! J’ai commencé 4 ans avant.

SC : Et tu n’as pas peur de ne pas réussir à te défaire de l’image de simple clasheur ?

K : Pas du tout ! Ma carrière de rappeur a largement pris le dessus au Québec. J’ai sorti 2 albums et un maxi. C’est dessus que je mets mon énergie et c’est sur la musique que je mise le plus. Je ne pense pas avoir une image de clasheur.

SC : Avec quel artiste rêverais-tu de collaborer ?

K : En ce moment l’artiste que j’aime le plus, c’est Drake. En plus d’avoir un attrait commercial assez énorme, il est musicalement intéressant. Il fait ce qu’il aime et c’est très bon.

SC : Et en français ?

K : Dans les rappeurs français, je dirais que j’ai beaucoup d’affinités avec OrelSan. On a énormément de points communs et on se connaît un peu. Sinon, j’adore ce que fait Youssoupha : il a une plume très aiguisée.

SC Être francophone dans un pays à majorité anglophone et à quelques heures de bagnole des States, ça a influencé comment ton rap ?

K : Premièrement, je suis bilingue. Ensuite, j’écoute beaucoup de rap us. C’est pour cela que l’on trouve beaucoup d’anglicisme dans mes couplets. Ça m’offre une certaine liberté dans mes créations de phases. Être capable de mixer des mots en français et des mots en anglais permet beaucoup d’ouverture en terme de créativité. C’est donc un point positif

SC : Comme t’expliquerais que la scène québécoise, pourtant très talentueuse, s’exporte très mal en France, hors du Roi Heenok. ?

K : Je pense que les rappeurs québécois n’ont jamais essayé de s’exporter en France. Mais c’est très compliqué d’aller dans un pays et dire « Salut, moi je fais du rap et je sors un album ! » Le travail de promotion et d’investissement est énorme. Voilà pourquoi on ne met jamais beaucoup d’espoir dans nos visites en France, on essaie juste de voir ce que le public en pense et s’il accroche, tant mieux.

SC : Quand on écoute L’Homme Moderne, on se demande si tu es pessimiste sur notre époque ?

K : Oui, je suis très cynique et très pessimiste. Mais d’un autre côté, il y a pleins de morceaux plus positifs. Je reste quelqu’un qui a du plaisir dans la vie. Je vis de manière positive en étant très cynique : je n’attends pas grand-chose.

SC : Et Puzzle t’as inspiré ?

K : A cause du scratch ?

SC : Sur leur second album, ils ont un titre qui s’appelle L’Homme Moderne

K : Non, je connais un peu leur travail mais ça ne m’a pas inspiré du tout.

« Je peux faire un peu de tout. Je suis capable de thèmes engagés comme de faire dans le dérisoire. »

SC : Dans ton 2ème album, on trouve Gagnant, Loser, Petite défaite, Petite victoire…. T’es un peu un homme à contradiction ?

K : Je parle de la victoire come de la défaite mais c’est un peu le concept de l’album. Il s’appelle quand même Petite victoire. Mais oui, je suis quelqu’un d’assez contradictoire, je peux autant faire l’éloge de mes succès de façon exagérée –même si c’est souvent pour déconner– comme je peux être dans l’autodérision, me moquer de mes défauts ou de mes échecs et même m’auto-mépriser.

SC : Un mot pour finir ?

K : Si vous avez accès à internet, comme toute personne de 2013, allez checker mes vidéos sur youtube ! L’album, Petite Victoire, est déjà sorti en digital et le prochain, Rue des Saules, arrive bientôt.

 

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